Twister

REALISATION : Jan de Bont
PRODUCTION : Amblin Entertainment, Universal Pictures, Warner Bros
AVEC : Helen Hunt, Bill Paxton, Cary Elwes, Jami Gertz, Lois Smith, Philip Seymour Hoffman, Alan Ruck, Todd Field, Joey Slotnick, Sean Whalen, Jeremy Davies, Scott Thomson, Wendie Josepher, Zach Grenier, Alexa Vega
SCENARIO : Michael Crichton, Anne-Marie Martin
PHOTOGRAPHIE : Jack N. Green
MONTAGE : Michael Kahn
BANDE ORIGINALE : Mark Mancina
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Catastrophe
DATE DE SORTIE : 21 août 1996
DUREE : 1h53
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Jo Harding n’était encore qu’une enfant lorsqu’elle vit son père emporté par une tornade de catégorie F5 (une tornade extrêmement dévastatrice et puissante). Vingt-sept ans plus tard, à la tête d’une équipe de météorologues et rejoint par son mari Bill (avec qui elle s’apprête à divorcer), elle traque ces mystérieuses intempéries qui ravagent les plaines américaines. Cet été, la météo prévoit la plus violente tornade qui ait frappé l’Oklahoma en trente ans…

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui ont rompu parce que madame était trop obsédée par le sèche-cheveux. Mais c’est surtout un spectacle décoiffant, doublé du meilleur film de Jan de Bont.

La scène la plus mémorable de Twister inclut un intéressant effet de mise en abyme. Tout commence par un cadre Scope qui, d’un ciel nocturne chargé d’orages et annonçant une possible tempête, est soudain absorbé de bas en haut par l’écran d’un drive-in qui diffuse Shining (on y voit alors la rencontre entre le jeune Danny et les jumelles fantomatiques dans un couloir de l’hôtel Overlook), et tout s’achève par une tornade géante de type F4 qui désintègre le drive-in au moment même où l’on voit Jack Nicholson défoncer la porte de la chambre de son épouse à grands coups de hache. Voir le monument horrifique de Stanley Kubrick intégré dans la diégèse d’un autre film fait désormais sourire (producteur exécutif du film, Spielberg a depuis fait de même dans Ready Player One), mais la tactique élaborée par Jan de Bont (Speed) n’a au fond rien d’incongru. Un phénomène naturel qui installe sa menace en arrière-plan d’une œuvre de cinéma jusqu’à finalement la « dévorer » lors du contact : difficile de ne pas voir là une métaphore du film comme du genre ultra-codifié auquel il se rattache. Ici, point de building qui s’enflamme ou de volcan qui éjacule sa lave, et place à ces gigantesques Moloch ventus que sont les tornades, prêtes à élargir le champ des possibles en matière de chaos propagé. En gros, à force de tourbillonner jusqu’à 300 km/h, elles peuvent déplumer des poulets vivants, transporter des piles d’assiettes sur plusieurs centaines de mètres sans les casser, assécher un lac en à peine quelques minutes, apprendre le roulé-boulé à une habitation, ou faire décoller du sol aussi bien des vaches que des moissonneuses-batteuses. Coupons court au suspense : cette matière destructrice est la raison d’être du spectacle proposé, et le film en fait parfaitement le tour en noircissant une à une toutes les cases à cocher sur sa check-list. Sauf qu’à l’inverse de nombreux fleurons du genre (dont La Tour infernale reste l’Everest insurpassable), l’intérêt de Twister ne tient pas dans le décompte de stars qui cassent leur pipe au fil de la catastrophe, ni même dans cette tendance actuelle qui place l’éthique familiale en épicentre du récit.

Coécrit par Michael Crichton (vous savez, le gars qui aime les dinosaures…), le scénario démarre les festivités par une scène très impressionnante : traumatisée par ce moment-clé de son enfance où une violente tornade la priva définitivement de son père, Jo Harding (Helen Hunt) prend la tête d’une équipe d’exaltés, vite rejointe par son ex-mari (Bill Paxton), qui sillonnent les routes de l’Oklahoma afin d’étudier ces phénomènes et favoriser la création d’un nouveau système d’alerte. L’enjeu humain qui cimente ce récit somme toute très mince s’avère en tout point identique à celui d’Abyss – deux divorcés qui réapprennent à s’aimer dans la tempête. Les membres de l’équipe sont ici présentés moins comme des candidats sérieux au body-count – ici proche du zéro – que comme des hippies pas très épaissis, caractérisés par des goûts musicaux très bigarrés (on relève un amusant montage musical qui évolue de Deep Purple vers le registre classique) et incarnés par des visages à l’époque plus ou moins inconnus. On y retrouve ainsi une Helen Hunt pas encore oscarisée, un Philip Seymour Hoffman pas encore remarqué chez Paul Thomas Anderson, un Todd Field pas encore réalisateur de Little Children, un Alan Ruck sur le point de devenir l’impayable Stuart Bondek de la série Spin City, mais aussi Jeremy Davies, Joey Slotnick, Zach Grenier, etc… Quant à l’antagoniste météo, il prend une place si importante que son ersatz humain – un Cary Elwes toujours à l’aise dans le rictus de connard – se cale pépère dans une bagnole à l’abri du vent jusqu’à se faire inévitablement souffler le brushing par ce sèche-cheveux géant. A ce stade-là, Twister semble avoir balayé tout effet de surprise d’un revers de la main. Le spectateur sait à quoi s’attendre : il prépare son pop-corn et arme ses cinq sens en vue de savourer les effets secondaires d’un tas de vent destructeur qui viendrait tout balayer sur son passage, que ce soit le suspense scientifique résolu d’avance (les petits capteurs monteront-ils au ciel ?) et les ressorts dramatiques (surtout cette love-story dont on se fiche un peu…). Or, si le plaisir d’un spectacle à l’état pur est constamment au rendez-vous, le film ne peut pas se résumer à cela.

A sa sortie durant l’été 1996, le film de Jan de Bont se calait pile poil sur les rails d’une forte résurgence de la destruction à grande échelle au sein du blockbuster US (Independence Day, Mars Attacks !, Le Pic de Dante, Volcano…), et ce quelques années avant l’heure de gloire de Michael Bay et Jerry Bruckheimer, artisans d’une formule pyrotechnique aussi gratuite que jouissive. Si le genre a toujours été soupçonné – et pas forcément à raison – de refléter les angoisses (les fantasmes ?) de destruction qui animent l’Amérique, Twister est peut-être le seul prototype récent à prendre cette lecture au pied de la lettre. En effet, la tornade n’est pas ici une menace qu’il s’agit de freiner et encore moins de fuir, mais un épicentre autour duquel il faut tourner sans cesse et se rapprocher toujours plus, un peu à la manière des cercles concentriques. Au vu d’une première tornade – celle du traumatisme originel – que la caméra capte en tant que force abstraite au travers d’un hublot, il apparaît clair que le film réactive en quelque sorte la logique morbide de Moby Dick, offrant à Helen Hunt un rôle de simili-Achab chez qui se venger de l’objet de son malheur consiste à s’en rapprocher toujours plus pour mieux réussir à le « transpercer » (il s’agit moins de « tuer » la tornade que d’en percer les secrets). L’éternel combat contre le Mal – ici matérialisé par un nouvel avatar naturel – est donc avant tout une danse avec une obsession, laquelle ne cesse de grossir à chaque nouveau contact. D’où le fait que la narration épouse ouvertement la courbe évolutive de l’échelle de Fujita, montant en crescendo d’un « tube » qui fait s’envoler les vaches (une F2) à ce fameux « doigt de Dieu » qui redessine la topographie locale en terrain vague (une F5). Crescendo qui ne faiblit jamais en intensité et ne singe en aucun cas l’esquive en matière de visualisation des dégâts, surtout quand les éléments s’inversent au cœur de la tempête (pluie horizontale, courant dédoublé, etc…). Ceci ne tient que par le regard aiguisé d’un cinéaste extrêmement exigeant dont le credo favori a toujours été de pomper l’adrénaline de son audience.

Ce n’est plus un secret pour personne : la sensibilité de Jan de Bont en tant que chef opérateur était à la base moins proche des standards hollywoodiens que de la Nouvelle Vague hollandaise – il suffit de se souvenir que l’homme a débuté sa carrière sur les premiers films à petit budget de son ami Paul Verhoeven. Or, si certains des cinq films qui composent sa courte carrière de réalisateur ont parfois pu déroger à la règle, Twister apparait a posteriori comme le point de convergence le plus adéquat entre ces deux styles. La quête de réalisme tourne ici à plein régime : caméra à l’épaule, tournage en extérieurs, acteurs et effets spéciaux intégrés en simultané (un gros moteur de Boeing 707 fut mis à contribution pour servir de soufflerie !), captation de vraies tornades via une seconde équipe, sans oublier les impondérables d’un tournage-galère qui aura souvent frisé la catastrophe (acteurs mis en danger, engueulades en série, démissions en cascade…). Or, ce qui frappe le plus, c’est de voir à quel point la météo est ici traitée à la fois comme un vecteur de suspense et un pur enjeu de découpage. Dès l’intro, la menace se fait sourde via ce montage inaugural et silencieux sur un ciel toujours plus assombri. Animé par un souci d’authenticité autant que d’amplification spatiale, De Bont met les bouchées triples pour saisir les variations de lumière, dessiner les passerelles infrasensibles entre le ciel bleu et le ciel orageux, bref capturer les états multiples qui traversent ces grands espaces américains. La présence du chef opérateur Jack N. Green – collaborateur récurrent sur les films de Clint Eastwood – n’est sans doute pas étrangère à ce parti pris. Partant de là, les trois quarts des plans déploient une grammaire immersive en diable (usage savant des plans aériens et des panoramiques à 180°) tandis que le récit adopte le tracé des voitures au sein d’espaces naturels toujours plus agités, où la tornade devient presque comme une ombre à repérer dans chaque recoin du décor. Ainsi va Twister, film-sonde qui ne cesse de traquer lui-même la force abstraite capable de lui faire quitter le plancher des vaches, et ce dans une partie de chat-tempête qui rebondit à chaque fois par une perspective soufflante de jamais-vu. Qu’on en ressorte décoiffé et épuisé est déjà un bonheur en soi, mais il y a là un « plus » qui amplifie l’impact de cette danse avec les éléments. Allez, laissez-vous twister…

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