Mars Attacks !

REALISATION : Tim Burton
PRODUCTION : Warner Bros
AVEC : Jack Nicholson, Glenn Close, Annette Bening, Pierce Brosnan, Danny DeVito, Martin Short, Sarah Jessica Parker, Michael J. Fox, Rod Steiger, Lukas Haas, Natalie Portman, Sylvia Sidney, Jim Brown, Pam Grier, Tom Jones, Lisa Marie, Jack Black, Joe Don Baker, Paul Winfield, Jerzy Skolimowski
SCENARIO : Jonathan Gems
PHOTOGRAPHIE : Peter Suschitzky
MONTAGE : Chris Lebenzon
BANDE ORIGINALE : Danny Elfman
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 26 février 1997
DUREE : 1h46
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Des milliers de soucoupes volantes en provenance de la planète Mars se dirigent vers la Terre. L’événement provoque les réactions les plus diverses sur la population mondiale : alors que certains les pensent pacifiques jusqu’à croire qu’ils sont venus pour les sauver, d’autres pensent qu’ils sont hostiles et qu’ils représentent un danger pour l’humanité. Le Président des États-Unis, quant à lui, suivant les conseils de ses collaborateurs, décide d’accueillir les Martiens avec un tapis rouge, pensant qu’ils sont venus en paix. Mais lorsque ceux-ci débarquent sur notre planète, les choses ne se passent pas comme prévu…

En authentique sale gosse nanti de très gros moyens, Tim Burton venge l’esprit de son mentor Ed Wood avec l’invasion extraterrestre la plus tordante et corrosive de l’Histoire du cinéma. On ne s’en lasse pas.

Mars Attacks ! se voulait-il vraiment l’anti-Independence Day ? Pas par choix délibéré – le hasard a voulu que les deux films soient tournés en simultané et sortent la même année – mais par effet de bord, cela va de soi. On a beau considérer que le triomphe planétaire – et les valeurs patriotiques – du film de Roland Emmerich devrait suffire à expliquer le flop de celui de Tim Burton au box-office US, on est très sûrement en-dessous de la vérité. Parce qu’en l’occurrence, les fortes variations entre les deux films tiennent aux signes d’un ton satirique qu’une certaine Amérique, trop peu adepte de l’autodérision dès lors qu’on cible ses valeurs fondatrices, rechignerait à tolérer. En gros, dans le cadre d’une invasion du « monde libre » (on ajoute les guillemets par pure provocation) par une race extraterrestre très agressive, osez caractériser l’armée en administration aussi incompétente que débordée et non en force motrice de la contre-attaque, le couple présidentiel en tandem échappé de Madame est servie et non en facteur d’identification, les scientifiques en grands neuneus aux théories vaseuses et non en geeks ultra-cool à la Jeff Goldblum, et c’est le bide assuré. En optant aussi bien pour une satire sociale des valeurs américaines que pour une parodie des films de science-fiction des années 50, Tim Burton prenait donc de gros risques. D’autant que, chose surprenante, la Warner alla jusqu’à débourser pas moins de 70 millions de dollars pour un film ne visant qu’à tourner en dérision leur propre fonds de commerce. La raison ? Très simple, en réalité : tous les acteurs engagés – un large parterre de stars populaires qui file le vertige – ne réclamaient qu’à se joindre à Tim Burton dans son entreprise de saccage. Un cas qui rappelle assez bien celui de 1941 : à l’instar d’un Steven Spielberg jouissant de très gros moyens pour passer la psychose ricaine post-Pearl Harbor sous les chaînes d’un char d’assaut incontrôlable, Burton s’en donne à cœur joie dans le dynamitage hystérique de tout ce que l’Oncle Sam peut compter d’icônes, de conventions, d’étroitesse d’esprit et (surtout) de manque d’humour. Parce qu’ici, le massacre n’est pas tant affaire de méchanceté que de plaisir.

DEPENDENCE DAY

Si l’on doit remonter l’historique du projet, la référence sera triple en plus de s’accorder à chaque fois sur une double décennie – celle des années 50-60. Il y a d’abord une série éponyme de cartes à collectionner éditées en 1962 par la firme Topps, à travers lesquelles les auteurs Wallace Wood et Norman Sanders avaient imaginé l’invasion de la Terre par une civilisation martienne. Idée typique d’une époque où l’immixtion des dinosaures et des extraterrestres dans l’imaginaire des foyers américains changeait peu à peu la couleur du « péril » visant le pays (le vert prenait ainsi la relève du jaune et du rouge). Vendues avec succès pour une cinquantaine de cents et en général accompagnées d’un chewing-gum, ces soixante-six cartes furent pourtant victimes de la censure, qui n’hésita pas à en retirer onze de la vente pour cause de visions jugées trop apocalyptiques, graphiques ou osées, telles que des femmes nues mises en cage ou des soldats soumis à d’horribles expériences. Des visions que Burton, en fan revendiqué des images violentes et colorées, priorise dans son adaptation, trop désireux de rendre hommage à tout un pan d’une contre-culture aussi kitsch que sournoisement subversive… Il y a ensuite un large panel de romans et de films de science-fiction, allant de La Guerre des mondes d’H.G. Wells (adapté en 1953 par Byron Haskin) aux Survivants de l’infini de Joseph M. Newman, auxquels le cinéaste emprunte moins qu’il ne cherche à en réactiver la fibre par bon nombre d’éléments – aujourd’hui facilement assimilables à des clichés. Démarche de synthèse, certes, mais aussi de détournement de cette fibre post-Guerre Froide qui devenait lecture métaphorique de l’invasion… Il y a enfin – et cela se devine d’entrée au travers de ce petit objet sphérique qui chatouille le logo de la Warner – l’âme spirituelle d’Ed Wood à laquelle Burton avoua s’être senti constamment connecté, cherchant durant tout le tournage du film à tutoyer cet enthousiasme dont le réalisateur de Plan 9 from outer space faisait preuve sur ses tournages. Mais cela va ici beaucoup plus loin…

Que Mars Attacks ! ait été réalisé dans la foulée du magnifique film-hommage que Burton consacra au « plus mauvais réalisateur de tous les temps » nous amène à donner raison à ceux – nombreux – qui voyaient dans cette invasion martienne le moyen détourné de venger la vie et l’œuvre d’Ed Wood par disciple interposé, en prenant ainsi pour cible tous ceux qui ne l’avaient pas pris au sérieux. Si le film Ed Wood avait théorisé l’idée d’une victoire par l’échec (la persistance vaut de l’or quand le talent est contesté mais que la passion consume tout), Mars Attacks ! ose la plus radicale des mises en pratique : l’échec d’Hollywood par la victoire de cette contre-culture dénigrée sur laquelle il a pourtant trop longtemps fait son beurre. C’est donc avec le sourire de celui qui veut laver l’affront que Burton impose ici ses caprices les plus coûteux, armé pour l’occasion de l’arme idéale du parfait petit entriste dans le système hollywoodien, à savoir le casting de stars que l’on évoquait plus haut. En l’état, pratiquement que des têtes d’affiche issues de toutes les strates filmiques des Etats-Unis (stars télévisées, légendes vivantes, valeurs montantes) et fermement acquises au projet satirique de leur cinéaste. Vu que le thème de l’invasion extraterrestre partage bon nombre de points communs avec le film catastrophe (et pas seulement le goût des scènes de destruction à grande échelle), il y a là de quoi composer une affiche bien plus hallucinante que celle de La Tour infernale, dont l’intérêt résiderait là encore moins dans le jeu du « qui va survivre ? » que dans celui du « qui va mourir avant qui ? ». Et sur cet art du body count qui se voit soumis à des paris aussi honteux que jouissifs, le cinéaste lâche sa carte maîtresse : seuls ceux qui prétendent avoir tout compris sur l’imaginaire en apparition vont passer à trépas – ça ne laisse pas beaucoup de survivants possibles au vu des caractères gratinés qui s’enchaînent ici à la queue leu leu.

Il faudrait bien plus qu’un paragraphe pour rendre justice aux spécimens de la diversité yankee que Burton place ici en cobayes consentants de son jeu de massacre. Histoire de bien poser les bases de sa démarche, le cinéaste déroule une longue introduction d’au moins trois quarts d’heure, sorte de narration en corde à linge qui épingle chaque caractère/enjeu tout au long d’un fil scénaristique avec lequel le film s’acharnera ensuite à faire le plus de nœuds possibles avec un sourire de crâneur. Et bien sûr, tout ceci fait aussi office d’amorce de tout ce que Burton va lâcher ensuite en matière de piques satiriques et de missiles outranciers. En vrac : un couple présidentiel (Jack Nicholson et Glenn Close) qui meuble la Maison-Blanche plus qu’il ne la dirige, un milliardaire roublard (encore Jack Nicholson) qui enfile les manigances pour faire émerger son propre casino à Las Vegas, son ex-alcoolo d’épouse (Annette Bening) qui vire à la baba-cool über-timbrée, un couple de présentateurs TV (Michael J. Fox et Sarah Jessica Parker) à fond dans la vanité et l’égocentrisme, des conseillers militaires tantôt bellicistes (Rod Steiger) tantôt pacifistes (Paul Winfield), un porte-parole politique très porté sur les tapineuses (Martin Short), des scientifiques trop intellos et prétentieux (Pierce Brosnan et Jerzy Skolimowski) pour croire à une coexistence pacifique ou pour traduire correctement une langue inconnue, une famille de culs-terreux du Kansas (dont Joe Don Baker et Jack Black), une mamie zinzin qui s’occupe d’un chat empaillé (Sylvia Sidney), un joueur de casino bling-bling (Danny DeVito), on en passe et des meilleurs… Tant de spécimens d’Américains cinglés que Burton raccorde par des valeurs érigées en étendard. D’abord la télé, soit exploitée par ceux qui en tirent une image déformée et valorisante d’eux-mêmes, soit défendue les armes à la main par ceux qui s’en gavent à longueur de journée. Ensuite le mauvais goût, ici matérialisé par un Las Vegas surpeuplé d’escrocs, de marchands et d’idéalistes à deux de QI. Enfin la perception du groupe, sinon de la foule, comme un ensemble sujet à la déficience tous azimuts – les bouseux comme les puissants de ce monde en prennent ici autant plein les dents que les figures consensuelles et non masquées de Batman, le défi.

Au vu de l’éternelle fascination de Tim Burton pour les freaks (en particulier) et pour la perception de tout ce qui est « différent » (en général), il paraîtrait logique que les Martiens soient ici les dépositaires de son propre point de vue. Or, rien n’est moins sûr. Déjà, en matière de pure caractérisation, ces créatures ne font que décliner – certes sous un angle ouvertement comique – l’éternel cliché du petit homme vert tel que la bande dessinée et le 7ème Art ont pu l’imposer. En gros, rien de moins ici que des bipèdes à la cervelle disproportionnée, dessinés en allusion directe aux aliens des Survivants de l’infini, et sur lesquels Burton plaque ses idées loufoques : ses Martiens causent comme Donald Duck, bavent devant Playboy, ne supportent pas les piafs et les montres, et n’ont pour seule faille fatale que la musique country (en l’occurrence le yodel très accentué de Slim Whitman dans la chanson Indian Love Call). De même que la planète Mars, ici visualisée en vingt secondes chrono lors des plans inauguraux du film, se limite à un relief peint en rouge vermillon et recouvert de stalagmites en carton-pâte. En réalité, la déformation vient ici moins de la nature des Martiens que de leur comportement déviant et des expériences farfelues qu’ils pratiquent ici (vision sidérante à la Salvador Dali d’une humaine qui se retrouve avec la tête greffée sur le corps de son chihuahua !). Comme nous sommes chez l’auteur d’Edward aux mains d’argent, c’est la normalité qui finit toujours par devenir source d’anormalité, et vice versa.

Si tous les Américains que l’on a décrits un peu plus haut passent sans aucune difficulté pour de jolis candidats à l’asile, qu’en est-il des rares personnages à conserver un minimum d’empathie aux yeux du spectateur ? En réalité de faux marginaux sur lesquels Burton n’hésite pas à en rajouter une couche. A titre d’exemple, le couple formé par Pam Grier et Jim Brown doit ici se farcir une marmaille qui tend de plus en plus vers la délinquance… ce qui n’empêchera pourtant pas cette dernière de sauver la vie du Président des Etats-Unis lors de l’attaque de la Maison-Blanche en mettant à profit ses aptitudes pour les jeux vidéo violents ! Et du côté des autres (rares) survivants de cette « guerre des mondes », la fille du Président (Natalie Portman) exhibera une franche niaiserie en fin de bobine après avoir fait preuve de lucidité sourde, tandis que le sauveur de l’humanité, ici un jeune et brave vendeur de donuts joué par Lukas Haas, passera in fine pour un crétin au détour d’un discours édifiant. Si l’on regarde bien, Burton cherche moins à stigmatiser ses personnages qu’à les soumettre à un scanner inédit, où tendresse, décalage et impitoyable lucidité font jeu égal pour s’amuser d’autrui et non pour le juger. En outre, dans ce film qu’il n’hésite pas à définir lui-même comme « bizarrement réaliste sur notre monde complètement cinglé », on ne peut pas foncièrement dire qu’il ait fait acte de parodie. Tout juste peut-on estimer qu’en utilisant les Martiens comme force révélant l’obsession des Américains à vouloir tout catégoriser, et en truquant toutes nos attentes à propos de l’utilité scénaristique de tel ou tel personnage, Burton œuvre davantage en faveur d’un cinéma de genre capable de transgresser ses codes les plus téléphonés pour mieux les revivifier. Et qu’en lieu et place de ce fatal effet d’hypertrophie propre à la parodie, il a plutôt visé l’exponentielle d’un grand spectacle à la générosité sans limite, créant autant d’énergie qu’il en dépense sur une courbe ascendante et ne tutoyant jamais la surchauffe tout au long de son crescendo.

JE ZAPPE ET JE MATE

Les fanatiques de la filmographie burtonienne n’auront pas manqué de repérer un détail tout sauf anodin : avec Mars Attacks !, c’est la première fois qu’un film de Tim Burton ne porte pas le nom de son héros. Parce qu’il n’y a plus de héros ici ? Bien vu. Et parce que seule l’attaque elle-même s’impose en noyau dur de notre attention et de celle du cinéaste, les personnages n’étant que des électrons tout juste bons à s’agiter tout autour jusqu’à tomber comme des mouches. La mécanique se révèle des plus teigneuses tant Burton, aussi vert (de rage et de rire) que les petits hommes qu’il met en scène, veut en découdre avec la planète entière, et avec la psyché de l’Oncle Sam en particulier. Dès le court pré-générique, le ton est donné par la transformation d’un troupeau de vaches du Kentucky en barbecue géant – on n’en est pourtant encore qu’au stade des amuse-gueules – et par le surgissement d’une BO signée Danny Elfman, dont l’usage particulièrement savant de la thérémine joue très fort sur nos terminaisons nerveuses et notre cinéphilie (ce timbre proche de la scie musicale habilla en effet les ambiances sonores de bon nombre de films de science-fiction des années 50). La suite du banquet n’étonnera guère : une fois la longue entrée savourée avec délice, le déferlement d’action et de désastres à grande échelle ne cessera d’aller en s’amplifiant, de la première confrontation désastreuse en plein désert du Nevada jusqu’aux mille et une façons de redessiner Las Vegas en terrain vague apocalyptique.

Cela dit, tout au long de cette invasion toujours plus ravageuse, on se surprend très souvent à guetter les micro-détails dans chaque plan magistralement composé par Burton et chaque effet de montage opéré à telle ou telle articulation du récit. De façon très anecdotique, cela peut tenir dans un raccord de plan a priori gratuit (pourquoi avoir casé ce plan spatial de cinq secondes sur les soucoupes volantes entre deux scènes décorrélées ?), dans un choix de casting qui interpelle (savoureuse auto-parodie par Joe Don Baker du registre beauf-texan qui fit sa réputation), voire même dans la simple démarche d’un acteur (celle, ondoyante, de la Martienne jouée par Lisa Marie frise ici le pastiche de celle des grandes actrices hollywoodiennes). De façon plus large, c’est que Burton joue sur les symboles, inverse et transgresse leur logique, en use même pour tisser des lectures subversives. L’exemple le plus parlant est celui qui déclenche les festivités : une foutue colombe lancée dans les airs par un hippie débile à la suite d’une traduction erronée. Quelques jours après cette rencontre du troisième type plus foireuse tu meurs, les Martiens iront jusqu’à se lancer à l’attaque de la Maison-Blanche après avoir aperçu un aigle sur son logo. Colombes et aigles… ça ne vous dit rien ? Fastoche : l’Amérique est déjà divisée entre ces deux types d’oiseaux, les pacifistes niais d’un côté, les bellicistes voraces de l’autre. Chacun n’est ici qu’un piaf destiné à finir en squelette cramoisi (rouge ou vert, ça dépend – Burton persiste ici à saloper l’esprit de Noël en faisant de ses deux couleurs des signes d’effroi) sous les effets du pistolet désintégrateur des Martiens. Et plus les conséquences des dégâts sont déformées parce que grossies jusqu’à l’outrance, plus le rire et la moquerie gagnent en force, surtout quand la télévision se fait le relais du désastre.

Tiens, la télé, remettons-en une couche là-dessus… On l’évoquait plus haut comme outil de communication ou de décervelage généralisé, et ce n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Le film va infiniment plus loin en illustrant par le détournement un état des lieux commun de la philosophie ricaine, à savoir la mise en scène de la paix comme de la guerre, et ce par le biais d’un politiquement correct qui assèche toute réflexion (grand moment d’un journaliste puritain qui questionne la sexualité des Martiens !). C’est ce que cherchent aussi bien le Président et son staff d’intellos confits (ceux qui veulent mettre la paix en spectacle) que tous les bellicistes frappadingues qui gravitent autour d’eux (ceux qui veulent mettre la guerre nucléaire en branle). Pas de bol pour chacun d’eux : les Martiens ont toujours une longueur d’avance sur eux, pour la simple raison qu’à l’instar des envahisseurs de La Guerre des mondes, ils ont pris le temps d’assimiler les ruses terriennes – surtout tout ce qui relève de la stratégie politique – et que le désir de foutre en l’air chaque recoin de la planète bleue rejoint pour eux le fait de zapper à volonté sur une télévision (dès que ça n’est plus amusant, on passe à autre chose). Une courte scène du film en donne d’ailleurs l’illustration littérale : paisiblement assis devant son écran dans sa soucoupe volante, l’empereur martien observe les dégâts causés dans la capitale japonaise (avec la résurgence de ce cher Godzilla qui se met à tout casser dans Tokyo !), et préfère alors changer de chaîne pour se taper un banal épisode de Shérif fais-moi peur !

Plus globalement, le film case ici et là de petites vignettes planétaires censées illustrer en quoi les attaques des Martiens ont tout d’une mise en scène ricaneuse. D’un côté, on essaie moins de raser la globalité d’une grande ville avec un gros rayon laser façon Independence Day que de cibler les constructions à connotation phallique ou sexuelle (le Big Ben, la tour Eiffel, l’obélisque de Washington, la pyramide de Las Vegas, les coupoles du Taj Mahal, un building-casino coiffé d’un toit-nichon…). De l’autre, on réutilise d’autres « créations » pour en trahir le sens premier : les statues moais de l’île de Pâques deviennent des quilles de bowling, les visages sculptés du Mont Rushmore sont soumis au palimpseste, et même un simple missile nucléaire se retrouve ici fumé comme s’il s’agissait d’un cigare ! Et histoire de revenir à quelque chose de plus pragmatique, voir les Martiens foutre le feu au Capitole provoque ici l’effroi du cercle présidentiel et l’hilarité d’une grand-mère dans un hospice – tout ce qui sort du tube cathodique ne peut plus être lu autrement que par le filtre primaire de la série B (on flippe ou on se marre). Au fond, la planète est devenue elle-même une télévision, et Burton en prend acte par une approche très métatextuelle, zappant à loisir d’un coin à l’autre du globe parce que tout n’est ici qu’une suite de sketchs à mater, un spectacle pop-corn joyeusement corrosif dont il jubile à nous faire déguster l’anthologie. Avec, en guise de cerise sur le gâteau, des personnages qui ne tardent jamais à devenir eux-mêmes le sujet et le témoin de leur propre spectacle. Que le chanteur Tom Jones joue ici son propre rôle avec une pointe d’auto-parodie s’avère moins parlant que ce court instant de l’intervention télévisée du Président onctueusement joué par Jack Nicholson : lorsque ce dernier prophétise un grand système solaire uni pour les Terriens et les Martiens (tout en citant Abraham Lincoln au passage sans lui demander son avis !), la seule réaction de moquerie (« Qu’est-ce qu’il raconte, ce con ? ») provient d’un milliardaire timbré joué par… Jack Nicholson lui-même !

Replacer a posteriori Mars Attacks ! dans la filmo du lutin farceur d’Hollywood est très important en soi, tant ce film de commande – il n’en est pas l’auteur du scénario – a valeur de tournant décisif. On peut certes l’estimer comme la troisième étape de ce qui apparaît comme un quadruple zénith créatif pour le cinéaste, entamé avec Batman, le défi, poursuivi avec Ed Wood puis achevé avec le magnifique Sleepy Hollow. On peut aussi le lire comme la concrétisation délirante d’un autre film aux allures de répétition générale dont il fut l’instigateur et non le réalisateur : L’Etrange Noël de Monsieur Jack, qui s’amusait à montrer le parasitage du doucereux monde de Noël par les créatures grimaçantes d’Halloween – les lobes cervicaux géants des Martiens prennent ainsi en quelque sorte la suite des citrouilles d’antan. Un changement de taille dans la mesure où ses précédents films – bien plus poétiques – se focalisaient davantage sur des freaks excentriques et/ou mélancoliques qui visaient plutôt la mise en retrait, seuls contre tous, le plus loin possible du commun des mortels. Au fond, pour l’ami Tim, ce fut surtout une parenthèse acide et décomplexée avant un retour – tout aussi brillant – à ses fondamentaux poético-gothiques. En laissant de côté les héros au sens large et en prenant la planète entière pour sa chambre à jouets transformée en champ de bataille, rien ne comptait alors plus que de tirer sur tout ce qui bouge, de casser tous les jouets très chers qu’on lui mettait entre les mains, le tout en visualisant l’invasion de la planète Terre par l’improvisation des fulgurances les plus loufoques. Tout ça pour quoi, au final ? Ni plus ni moins qu’un épilogue improbable à la Disney où, au beau milieu des ruines du « monde libre », la génération future (pas très fute-fute) décore les survivants sur fond de mariachis mexicains qui entonnent l’hymne américain (de quoi faire hurler quelques conservateurs attardés !) tandis que Tom Jones danse joyeusement avec les animaux sur l’un de ses propres tubes. Double conclusion gonflée mais parfaitement cohérente pour ce qui n’était au fond rien d’autre qu’un gigantesque film de sale gosse.

2 Comments

  • Bon, je crois que je reverrai d’abord le film, dont je ne me rappelle guère (j’aurais dit que la musique fatale était du rock et pas de la country…), avant de revenir finir la lecture de l’article!
    A l’occasion d’une prochaine « année martienne », sans doute en 2024…
    En tout cas, je ne connaissais pas l’histoire des cartes à collectionner (avec chewing-gum)!
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

  • Pauline F Says

    Je viens de revoir Mars Attacks pour la nième fois et tombe sur votre analyse. C’est drôle, je me souvenais particulièrement de la jubilation qu’avait généré ce film chez moi, surtout après avoir vu Ie navrant Independance Day, et je dois bien avouer m’être sentie comme une sale gosse prenant plaisir à tout ce dégommage de bienséance. Oui, le petit drapeau martien sortant du corps du président des États Unis m’a rendue hilare à l’époque – et me rend encore hilare aujourd’hui. Sale gosse, je vous dis !

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