Projet X

REALISATION : Nima Nourizadeh
PRODUCTION : Silver Pictures, Green Hat Films
AVEC : Thomas Mann, Oliver Cooper, Jonathan Daniel Brown, Dax Flame
SCENARIO : Matt Drake, Michael Bacall
PHOTOGRAPHIE : Ken Seng
MONTAGE : Jeff Groth
BANDE ORIGINALE : Divers
ORIGINE : Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : Project X
GENRE : Comédie, Teen-movie, Found footage
DATE DE SORTIE : 14 mars 2012
DUREE : 1h27
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Alors qu’ils semblaient jusque-là se fondre dans la masse, trois lycéens décident de sortir de l’anonymat. En apparence, leur projet est plutôt inoffensif puisqu’ils ont l’intention d’organiser une fête des plus mémorables. Mais rien n’aurait pu les préparer à la soirée qu’ils s’apprêtent à vivre… La rumeur se propage alors rapidement, tandis que les rêves des uns s’effondrent, les résultats scolaires des autres dégringolent, et des légendes se forgent…

Nous sommes un lundi matin. Il fait vraiment très beau. Le soleil brille. Le ciel est totalement bleu. Pas de nuages à l’horizon. Un couple rentre d’un long week-end de détente après avoir laissé la maison à leur jeune lycéen de fils Thomas, qui profitait de ces deux jours de libre pour fêter son anniversaire avec ses deux potes. Sauf qu’en rentrant chez eux, voilà qu’ils retrouvent leur maison (et le reste du quartier, soit dit en passant) dans un état assez… particulier. Histoire de schématiser, disons qu’on a l’impression que l’ouragan Katrina a fait un petit détour par une banlieue américaine du centre des Etats-Unis, afin de venir foutre un bordel pas possible le temps d’une soirée. Logique, vu qu’hier soir, le quartier a subi les dommages collatéraux d’une fête très animée qui s’est très vite métamorphosée en cocotte-minute incontrôlable. Un destin tragique pour Thomas et ses deux abrutis de potes, Costa et JB, pour qui tout avait pourtant bien commencé : une fête tranquille avec tout juste une cinquantaine de personnes, pas trop inconnus, et une bonne maîtrise de l’effervescence des invités. Qui plus est, en lisant le synopsis, on imaginait même un nouvel ersatz de SuperGrave, où trois adolescents bien crétins se lanceraient à nouveau dans la création d’une méga-teuf du tonnerre afin d’accroître leur popularité auprès de la totalité de leur lycée. Mais bien sûr, chez Greg Mottola comme dans les films de John Hughes, la transgression est surtout l’occasion non pas de devenir aussi branché que les autres mais d’inverser littéralement la donne, de se montrer tel que l’on est, dans une démarche excessive qui n’est pas sans rappeler une certaine rage nihiliste. Sauf que voilà, à force de viser trop haut, les choses ont mal tourné : aussi irascible qu’obsédé par la nécessité de s’épuiser dans la débauche, Costa a surtout pensé à lui avant tout, et, en envoyant des invitations à la planète entière (merci Facebook), aura généré malgré lui le pire débordement que l’on pouvait envisager.

C’est ainsi qu’au lieu des cinquante personnes attendues, environ deux mille invitations répondent à l’appel durant la soirée, défilé ininterrompu de débiles bourrés jusqu’à la moelle, de biatches en tenue légère (il n’y a que les sirènes, moitié-femmes moitié-thons, qui sont interdites) et de détraqués inattendus qui vont vite saccager la maison jusqu’au point de non-retour. Avec, pour égayer tout ça, un supplément non négligeable : pour monter sur le podium de la coolitude et atomiser les connards de leur bahut, ces trois débiles sous Roacuttane n’ont pas hésité à empoigner leurs outils de communication pour enregistrer chaque micro-événement de la mégateuf. C’est d’ailleurs l’un de leurs collègues, un gothique quasi invisible du nom de Dax, qui est choisi pour capter tout cela autant que possible. Ce qui est intéressant alors, c’est que la seule fois où l’on verra son visage, c’est lorsqu’il braque sa caméra sur un miroir de chambre, comme si son reflet dans le miroir avait un intérêt artistique. Et vu la gueule qu’il tire alors, on préfèrera y voir un allumé intégral qui s’imagine cinéaste en captant du vide, un peu à l’image de ce qu’une fenêtre comme YouTube tend à vouloir illustrer (aujourd’hui, il suffit à n’importe qui de filmer sa merde dans une cuvette pour devenir célèbre en trois clics) et de ce que Projet X, sous son allure de foutoir totalement vain, réussit in fine à rendre cohérent et perceptible.

La question mérite d’être posée : au vu de ces trois guignols dont la seule finalité est d’obtenir un maximum d’amis (peu importe s’ils ne le sont pas vraiment) pour tutoyer le zénith de la popularité, tiendrait-on enfin le film définitif sur la génération Facebook ? C’est encore un peu tôt pour le dire, mais il y a beaucoup de ça si l’on en juge par la facilité déconcertante avec laquelle ce genre de fête peut très vite dégénérer en raison des réseaux sociaux (pour la petite histoire, des faits divers identiques se sont récemment produits au Texas et dans le Var). Contre toute attente, Projet X est avant tout un film de son temps, ne serait-ce qu’au travers de sa bande-son (où se bousculent Dr Dre, Kanye West et Yeah Yeah Yeahs), et réussit même à trancher avec le tout-venant de la comédie américaine trashouille et mal élevée (dont le surestimé Very bad trip est devenu l’étendard). A cela une jolie raison : le film n’est absolument pas ce qu’il semblait être au départ. On s’attendait logiquement à un gros délire potache dans la lignée des précédents films de Todd Phillips, mais ce n’est pas réellement ça. On espérait aussi (dans le meilleur des cas) une nouvelle preuve que le found-footage, qui aura trouvé cette année son mètre-étalon avec le génial Chronicle, allait pouvoir redevenir un outil ambitieux pour des réalisateurs désireux de capter quelque chose du monde moderne, mais ce serait trop prétentieux. On pouvait aussi envisager (mais avec un pourcentage de sûreté très réduit) une condamnation sans appel de la déchéance sociale de notre belle jeunesse, biberonnée aux réseaux sociaux et perfusée à l’adrénaline de l’instant présent, mais c’était peine perdue. Non, toute la réussite du premier film de Nima Nourizadeh réside justement dans le fait de ne jamais savoir ou contrôler ce qu’il est en train de faire, de se laisser porter par l’énergie interne de ce qu’il filme, de plonger tête baissée dans la démesure d’une party incontrôlable et dégénérée.

Certains ne manqueront pas de gueuler contre la vacuité absolue du propos ou de fustiger l’absence de discours moral sur ce genre de comportement asocial, mais on n’y prêtera aucune attention, tant l’objectif du film est ailleurs : moins appel à l’anarchie totale que tableau chaotique et décadent d’une jeunesse irresponsable qui lâche un bon gros « fuck you » à la face du monde, Projet X ne prétend pas analyser ce genre de phénomène (déjà exploité par Alexandre Aja à travers le Spring Break de Piranha 3D), et se contente alors de capter de façon hyperréaliste ce « spleen » de la défonce. Avec, en bout de course, un spectateur qui sort du film dans un état de fatigue intense, avec tout un tas de vibrations et d’images éparses qui se bousculent dans la tête (pas toujours dans le même ordre), et avec les neurones grillées par tant de folie destructrice. Et il en faut pour y arriver. Jugez plutôt : des hectolitres d’alcool, une sono qui fait trembler les murs de tes voisins, deux mioches qui jouent les gardes du corps à grands coups de tasers et de nunchakus, un chien qui apprend à voler grâce à des ballons d’hélium, deux nains qui viennent foutre la merde (le premier vient du jardin et contient des pilules d’ecstasy, le second est humain et se retrouve enfermé dans le four), un tas de cojones écrabouillées, du vomi un peu partout, des vitres éclatées, un taré équipé d’un lance-flammes, une piscine transformée en orgie, et bien sûr, un bon millier de bombes sexuelles dont la seule et unique fonction sera d’enlever le haut (et parfois le reste) en se déhanchant devant le caméra. Dans le genre rollercoaster qui fonce à 200 à l’heure, on a rarement vu ça.

On l’aura donc compris : c’est un épuisement complet que le film tente de susciter chez celui qui le visionne, doublé d’un pied monstrueux pour quiconque aime ressentir le frisson de la fête dans tous les sens du terme. Au niveau de la jouissance démente qu’il sait procurer et de la cadence éperdue avec laquelle il enchaîne les situations extrêmes de façon exponentielle (la dernière demi-heure vire à l’anarchie totale façon Ma 6-T va crack-er sous ecstasy), le film ose surtout rappeler une règle précise : plus une gueule de bois s’avère méchante, plus il est souvent de bon ton de garder en mémoire le déroulement de la super soirée qui va avec. Pourtant, après coup, bien que certaines images marquantes et le souvenir d’une party démente nous restent dans la tête, on a un peu de mal à savoir exactement quoi retenir du projet. A croire que, tout comme chez ses trois héros, Projet X ne viserait à susciter qu’un plaisir immédiat, le chaos absolu qu’il tend à vouloir accroître minute après minute n’ayant au final pas la moindre utilité.

En cela, il se révèle cohérent avec son sujet, et plus encore avec le processus de filmage à la sauce found-footage : en effet, les images numériques, ici déclinées sous la forme d’extraits furtifs pêchées par iPhone ou caméra vidéo, réussissent à témoigner de l’impossibilité du filmeur à pouvoir contrôler la totalité de la fête. Se plaindre d’un montage trop rapide ou trop brouillon ne sert donc strictement à rien, puisque cette idée de juxtaposer des instantanés de réel ne fait que renforcer le chaos de la situation, d’une part en raison d’un rendu HD qui donne à chaque scène un vrai sentiment d’authenticité, d’autre part en raison d’un découpage ultra-speed qui ne laisse que très peu de temps à l’œil humain pour apprivoiser tout ce qui arrive. C’est cet esprit de jouissance de l’instant présent que Nima Nourizadeh n’hésite pas à appuyer, parfois jusqu’au malaise lorsque la situation se met à dégénérer sous des angles moins fun que prévu : il faut y voir le sadisme pratiqué sur le corps humain pour avoir l’air cool (crânes rasés, articulations broyées…) ou tout simplement le rapport amoureux qui se pervertit (Thomas craque pour sa meilleure amie blonde, mais se détourne cinq minutes pour se taper la brune la plus hot du lycée). Et dans son refus de poser un regard précis sur tout ce bordel, son film réussit même à se rapprocher d’un film comme Human traffic, chef-d’œuvre absolu sur le phénomène de clubbing où une phrase du satiriste Bill Hicks se posait comme constat objectif sans appel : « Le monde est cinglé, mais je suis fier d’en faire partie ».

Alors, en fin de compte, que manque-t-il à Projet X pour être totalement convaincant ? A première vue, peut-être un casting un poil plus maîtrisé, mais qui ne provoque pas de gène colossale quand on sait que celui-ci était ouvert au monde entier, et que l’on voit à quel point ce désir d’authenticité participe au plaisir suscité par le film. A la réflexion, ce serait plutôt sa dimension Jackass qui finit un peu par le parasiter de l’intérieur. Néanmoins après visionnage, à force de baser la totalité de sa narration sur une enfilade de situations extrêmes que l’on sait fausses et calculées mais qui font « vrai », le résultat pêche par manque d’ambition et, si l’on souhaite faire une analogie, rejoint parfois le défilé de Polaroïd trash qui peuplait le générique de Very bad trip. Une simple performance aussitôt savourée, aussitôt évaporée, en somme. Toutefois, si la bande à Johnny Knoxville rate le coche à chaque tentative pour cause de complicité forcée avec le spectateur (il est vrai que, lorsqu’on regarde Jackass aujourd’hui, on ne rigole plus vraiment), les trois ados déviants de Projet X ont au moins le (très) bon (mauvais) goût de se lâcher dans l’excès, sans aucune inhibition, et avec le refus total de savoir de quoi demain sera fait. Une attitude no-future, quasi punk, dont les débordements suffisent à apporter un max de folie et de fraîcheur dans la comédie américaine. Ça tombe bien, on n’attendait que ça, et donc la fête valait vraiment le coup d’être vécue.

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