Batman Contre Le Fantôme Masqué

Avec la sortie de The Dark Knight Rises se déchaîne une mélodramatique avalanche de superlatifs chargée de qualifier le nouveau chef-d’œuvre de Christopher Nolan. « S’il n’a pas 10/10 alors personne ne peux avoir cette note », « Un nouveau palier a été franchi ! », « Ça va être dur de voir un autre film de super-héros après celui-là », « Si ça ne suffit pas à briser les codes et gagner l’oscar du meilleur film, jamais un film de comics n’y arrivera »… Des citations parmi tant d’autres laissant entendre à quel point la simple admiration s’est muée en une folie furieuse. En soit, cette batmania n’est pas nouvelle. Avec la sortie des adaptations de Tim Burton à la fin des 80’s et au début des 90’s, le chevalier noir avait déjà eu droit à son concert de louanges dépassant toutes considérations critiques. Alors qu’aux côtés d’un Nolan qui intègre avec talent les préoccupations de son époque, les films de Burton offraient des spectacles dont le gigantisme constituait le summum des techniques de l’ère pré-numérique. Bien sûr, qui dit phénomène d’adulation, dit folie consumériste hors de propos. Qui dit folie consumériste, dit exploitation dans tous les sens du matériau. En ce sens, Batman : The Animated Series semblait surtout là pour occuper le temps de cerveau disponible de nos bambins entre deux long-métrages. Il n’en est pourtant rien. C’est que les exécutifs auront l’intuition de demander les services de Bruce Timm et Eric Radomski. Produisant eux-mêmes le show, ils feront du bête objet d’exploitation une œuvre ambitieuse qui fascinera autant les gamins que les fans les plus endurcis du caped crusader. Extrêmement recherché visuellement avec ses ombres de films noirs et ses architectures art déco, la série montrera un incroyable respect envers les comics et ne manque pas d’explorer ses personnages sans se laisser démonter par l’argument « Mais enfin c’est pour les chtis nenfants ». Plus que les films de Tim Burton dont la ligne de conduite influencera toutes les autres adaptations cinématographiques (Batman est une réaction au mal et est donc en retrait par rapport à celui-ci), Batman : The Animated Series s’affirme aux yeux de beaucoup comme la meilleure adaptation de la création de Bob Kane.

Naturellement, le succès immédiat de la série conduit à l’exploiter avec la mise en chantier d’un long-métrage pour une sortie vidéo. Une question naturelle se pose : quelle histoire mérite d’être contée dans un format trois fois plus long qu’un épisode standard ? Plusieurs pitchs sont envisagés pour bénéficier d’un développement plus conséquent. Il y a notamment Procès où Batman se retrouve prisonnier de l’asile d’Arkham et soumis à un examen kafkaïen par ceux qu’il a lui-même emprisonné. Un concept pour le moins festif (une grosse partie des bad guys répond à l’appel) mais qui est finalement écarté (l’histoire donnera lieu quand même à un épisode classique). Finalement, c’est l’histoire initialement imaginée pour clôturer la série qui est sélectionnée. Ironiquement, cette conclusion nous renvoyait à la genèse de notre héros. En soit, cela pourrait s’apparenter à un choix trop évident et sécuritaire que de se concentrer sur une énième présentation des origines. Néanmoins, l’histoire en question est la preuve même de la capacité extraordinaire de la série à transcender son matériau. Timm et son équipe offrent ainsi un angle inédit et radicalement bouleversant de l’histoire connue.

Mais avant de rentrer dans le détail, il conviendrait d’évacuer ce qui constitue le défaut majeur de Batman Contre Le Fantôme Masqué. Il s’agit sans nul doute de sa facture technique des plus pauvres. Malgré son caractère plus ambitieux, l’animation reste au niveau basique fixé par la série. En ne remettant aucunement en cause la qualité graphique du film, on tiquera donc devant le statisme des images et l’économie des moyens. On plaindra sans mal le public américain qui a découvert le film au cinéma, Warner ayant décidé au dernier moment de le sortir en salles. Un choix entraînant un changement en précipitation du format d’image pour un résultat pas toujours convaincant. Techniquement, le seul moment d’envergure vient du générique d’ouverture. Alors que se déchaîne la musique de Shirley Walker inspirée par les partitions de Danny Elfman, la caméra plane à travers les buildings d’un Gotham généré par ordinateur. En réalité, il s’agissait là d’un test en vue d’utiliser des décors en CGI pour la série. Une idée qui n’aboutira pas. Dans tout les cas, la réutilisation de ces images tests en ouverture offre un sentiment d’ampleur que le film ne retrouvera pas par la suite. Il n’y a cela dit aucune tromperie sur la marchandise puisque la scène se voit surtout comme une intrigante invitation.

Le film repousse ainsi la filiation avec le film noir posé par la série. Par son format plus étendu, les scénaristes ont pu ainsi se permettre une construction en flashback. La structure typique du genre permet alors d’opposer le héros et ses fêlures aux origines de celles-ci. A partir de ce point, il convient de poser un avertissement spoiler. La suite de l’article va dévoiler des pans de l’intrigue et surtout l’identité du fantôme masqué du titre. Si vous désirez éviter ce genre de mauvaises surprises, il convient donc d’arrêter là la lecture (et de cliquer sur ce lien http://www.wideo.fr/video/iLyROoafMC2o.html parce que vous n’aurez pas d’autre moyen de constater l’objet sur pièce). L’affaire du fantôme masqué va donc conduire Bruce Wayne à revenir sur son passé et plus précisément le moment où il endossa le costume de justicier. Le film respecte tous les principes de bases : le trauma originel (même si celui-ci ne sera pas illustré frontalement), la nécessité de devenir une figure, la découverte de gadgets comme la batmobile… Le train-train d’un tel canevas quoi. Mais à ces éléments se rajoute un personnage central : Andréa Beaumont. Personnage inédit des comics, celle-ci devient le grand amour de Bruce Wayne et une potentielle issue de secours à l’expression de ses névroses. Il pourrait vivre une vie normale avec Beaumont, loin d’une quête vengeresse aussi obsessionnelle qu’inassouvissable. L’ajout du personnage de Beaumont à l’histoire connue permet ainsi de mettre en relief la psychologie de Wayne et sa folie. Incapable de s’offrir à Beaumont, il ira jusqu’à implorer sur la tombe de ses parents la possibilité de le libérer de sa promesse.

Celle-ci y arrivera pourtant (comment résister à une telle femme fatale à la Lauren Bacall ?) et ce malgré une quantité d’obstacles. Que ce soit la raclée que lui mettront des motards certifiant son incapacité à combattre le mal en tant que simple individu ou cette nuée de chauve-souris menaçant le couple lors de la demande en mariage, les évènements poussent Wayne à s’écarter d’un tel choix de vie. Le destin arrivera bien sûr à ses fins. Car Beaumont et Wayne sont littéralement des âmes sœurs, se devant de suivre le même parcours. Initialement échappatoire, Beaumont va devenir le miroir des tourments de Batman. Marqué par l’assassinat de son père, Beaumont revêt le costume du fantôme masqué pour envoyer ad patres les membres de la mafia qui en sont responsables. Un tracé similaire donc, à celui de Batman dont le reflet est rendu d’autant plus troublant par les sentiments liant les deux personnages. C’est que le fantôme masqué est moins clément que Batman et n’a pas honte de se salir les mains. C’est bien la seule différence qui les sépare. Jouant comme à son habitude le rôle de conscience (non sans sarcasme comme lorsqu’il expliquera à son modèle d’équilibre de maître que ses collants sont lavés et ses grenades à gaz explosives rangées), le majordome Alfred résumera la situation au final. Beaumont est tombé au fond des abysses où Wayne menace constamment de tomber. Incapable de pouvoir se concilier car trop semblable, Beaumont n’est plus une porte de sortie mais la version ténébreuse qu’il se refuse à assumer.

Au gré de ce renvoi de personnalité, Batman Contre Le Fantôme Masqué se construit comme une tragédie sur deux êtres que les circonstances ne pourront jamais réunir. La fin les laisse ainsi isolés. L’une sur un bateau en exil, l’autre enterré au fond de sa sombre grotte. Les deux n’ont plus que des regrets à partager. Il est d’ailleurs à noter que ces choix de décors ne sont pas les seules idées ingénieuses imaginées par la mise en scène. L’environnement dans lequel évoluent les personnages est souvent conçu avec soin. La première rencontre du couple a lieu dans un cimetière comme pour indiquer que l’idylle est enterrée d’avance. De manière plus récurrente, l’intrigue nous renvoie plusieurs fois à une exposition universelle. Dans les flashbacks, celle-ci nous ramène à une vision idéalisée du futur dans lequel convolent les tourtereaux. Au temps présent, on retrouve le décor en ruine et squatté par le Joker. Un état des lieux, en quelque sorte, de la relation présente des personnages dont l’esprit est gangréné par le même complexe. D’ailleurs si on prend en compte que la série est le prolongement des films de Burton, le Joker est le géniteur des deux héros masqués. Il sera également leur fossoyeur puisqu’en faisant exploser la place lors du climax, il réduira en cendres le lien entre les deux amoureux.

Ce conflit sur un Wayne devant choisir entre Batman et une potentielle nouvelle vie, on le retrouve ironiquement dans The Dark Knight Rises. Sauf que là où Batman Contre Le Fantôme Masqué arrivera à pleinement composer sur le caractère ambigu de son personnage, Christopher Nolan multipliera les choix de montage charger de le réduire à néant. Alors que la Warner pense désormais au prochain reboot de la franchise, on ne saurait trop les conseiller de se retourner vers le scénariste en chef Paul Dini. Une petite partie des jeux vidéos Arkham Asylum et Arkham City, dignes héritiers de la série animée et de son film dérivé, devrait suffire à leur faire voir l’intérêt de la démarche.

Réalisation : Eric Radomski et Bruce W. Timm
Scénario : Alan Burnett, Paul Dini, Martin Pasko et Michael Reaves
Production : Warner Bros Animation
Bande originale : Shirley Walker
Origine : USA
Titre original : Batman : Mask Of The Phantasm
Année de production : 1993

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