Piranha 3D

REALISATION : Alexandre Aja
PRODUCTION : Chako Film Company, Intellectual Properties Management
AVEC : Steven R. Mcqueen, Christopher Lloyd, Ving Rhames, Adam Scott
SCENARIO : Alexandre Aja, Grégory Levasseur, Pete Goldfinger, Josh Stolberg
MONTAGE : Baxter
PHOTOGRAPHIE : John R. Leonetti
BANDE ORIGINALE : Michael Wandmacher
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Horreur
DATE DE SORTIE : 01 septembre 2010
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Alors que la ville de Lake Victoria s’apprête à recevoir des milliers d’étudiants pour le week-end de Pâques, un tremblement de terre secoue la ville et ouvre, sous le lac, une faille d’où des milliers de piranhas s’échappent. Inconscients du danger qui les guette, tous les étudiants font la fête sur le lac tandis que Julie, la shérif, découvre un premier corps dévoré… La journée va être d’autant plus longue pour elle que Jake, son fils, a délaissé la garde de ses jeunes frères et sœurs pour servir de guide à bord du bateau des sexy Wild Wild Girls !

Le piranha : un poisson prédateur connu pour sa voracité et son agressivité en cas de contact aquatique avec du sang. La dernière fois qu’on avait eu la chance de voir cette sale bestiole à dents pointues sur un écran de cinéma, c’était avec les deux films signés Joe Dante et James Cameron : le premier, honnête série B surfant sur le succès planétaire des Dents de la mer, s’était révélée être une très bonne surprise tout en marquant la fin du réalisateur de Gremlins au sein de l’écurie Roger Corman, et le second, grosse série Z assez merdique à base de piranhas volants (!), a bien failli être le premier vrai film du papa d’Avatar si celui-ci n’avait pas été éjecté du tournage au bout de huit jours par le producteur italien Ovidio Assonitis, lequel s’est vite empressé d’en faire le film débile et irregardable que l’on connait aujourd’hui. Dans les deux cas, la recette était simple : un script qui flirte avec la parodie (pour le premier) et le grotesque (pour le second), des effets gore très efficaces et des acteurs uniquement là pour montrer leur tronche avant de se faire bouffer. Une recette qui a fait ses preuves, et qui, fallait bien s’y attendre, n’allait pas tarder à subir un lifting en ces temps de remakes incessants et de reboots en tous genres. Auréolé aux Etats-Unis pour le succès de Haute tension et de son génial remake de La colline a des yeux, Alexandre Aja aura pris très vite les rênes d’un projet pas très rassurant à la base, d’une part en raison d’un script qui aura subi un nombre de réécritures aussi élevé que la quantité de cadavres présents dans le film, et d’autre part en raison de la présence de ces gros psychopathes de frères Weinstein derrière les épaules du jeune réalisateur. Le point fort, c’est qu’Aja et son scénariste Grégory Levasseur ne sont pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, et qu’ils auront bataillé ardemment pour aboutir à un résultat aussi déroutant que réjouissant. Déroutant parce que le film reste inachevé dans sa facture, la faute à une conversion 3D assez ratée et à des effets spéciaux inaboutis pour les piranhas, ce qui, on l’expliquera plus bas, n’est finalement pas plus mal. Réjouissant parce qu’en renouant avec l’esprit irrévérencieux des films d’exploitation des années 80, Aja signe un blockbuster immoral sous forme d’orgie gore et outrancière, avec la ferme intention de laisser les cinéphiles les plus déviants avec une étrange excroissance sous le slip. « Sea, sex and blood », comme le dit l’affiche ? Oh yeah… 

Au programme de cette fiesta méga-sanglante : un casting composé à 75% de mannequins ou d’actrices porno (bikini et sous-vêtements très facultatifs !), des piranhas en images de synthèse dont la seule fonction est de déchiqueter de la chair fraîche encore plus vite que ne le ferait un boucher diplômé à Rungis, sans oublier des hectolitres de faux sang et de maquillages gore pour transformer tout ce petit monde en steak tartare grandeur nature. Un bain de sang d’une outrance souvent incroyable où Aja réussit le pari de faire encore plus sanglant que Braindead : 3000 litres d’hémoglobine pour Peter Jackson, 100 fois plus pour le jeune prodige. Avec aussi, pour rendre la fiesta gore encore plus amusante, l’utilisation du relief 3D qui va permettre d’épicer un peu tout ça, histoire que les innombrables bimbos du film nettoient l’objectif de la caméra avec leurs nichons siliconés et que les morceaux de barbaque giclent à n’en plus finir sur nos gueules rassasiées.

Reste que, comme il est désormais coutume de le répéter, l’usage de la technologie 3D ne sert définitivement plus à grand-chose si l’on ne s’appelle pas James Cameron ou Robert Zemeckis, et surtout si l’on juge l’utilisation répétitive du procédé depuis quelques années, lequel commence à lasser une bonne partie des spectateurs. Après avoir tourné son film de façon classique avec l’intention d’user par la suite du processus de conversion 3D utilisé sur quelques scènes du King Kong de Peter Jackson, Aja n’aura pas caché lors de ses interviews que le processus n’avait pas pu être finalisé comme prévu. Et en effet, durant son premier quart d’heure, Piranha 3D laisse augurer du pire : la simple lecture du générique est si insupportable qu’elle donne presque envie d’enlever les lunettes, le relief donne l’impression que les visages des acteurs ont grossi de volume, et la mise en scène des attaques sous-marines se révèle parfois franchement illisible, le temps d’une scène d’ouverture relativement foireuse avec le vieux briscard Richard Dreyfuss en guise d’amuse-gueule périmé pour les poiscailles. On se surprendra donc à apprécier davantage le film en version plate sur support numérique HD, laquelle offre au film des conditions de visionnage optimales et permet d’être plus attentif sur le projet initial d’Aja : un authentique revival du film d’horreur décomplexé comme prétexte au plaisir coupable le plus ultime possible, le tout avec une peinture aussi corrosive que je-m’en-foutiste de la jeunesse américaine.

Car le scénario du film, initialement conçu tel quel avant d’être rebidouillé par Chuck Russell et ensuite repris à nouveau par Aja et Levasseur, prend place au cœur d’une période très particulière de la vie étudiante américaine, le « spring break », dont le concept est finalement assez simple : des étudiants partent en vacances au bord de la mer ou d’un lac afin de boire le plus d’alcool possible et de s’envoyer en l’air avec le plus de conquêtes possibles ! Du coup, les hormones sont en ébullition, les concours de t-shirts mouillés se mêlent au défilé des fesses les plus rebondies, le tournage de porno soft entre filles s’effectue à coups de shots de tequila léchés sur la poitrine des actrices, la musique techno fait péter la sono pour faire vibrer des clones décérébrés de David Guetta, et la faune locale (flics, habitants, scientifiques, etc…) ne sait plus quoi faire pour contenir tout ce bordel désinhibé où le nombre de neurones semble avoir cruellement diminué. Sauf que voilà, un tremblement de terre se produit au fond du lac, et libère une nuée de piranhas préhistoriques qui vont foutre en l’air toute ce défilé de clichés ambulants, histoire que l’eau claire du lac passe du bleu transparent au rouge bolognaise.

A partir de là, à moins d’avoir vécu plus de trente ans sur une île déserte sans lecteur DVD, le plaisir de voir des corps broyés et déchiquetés par des créatures voraces se fait clairement ressentir, à la seule différence qu’il s’agit d’un jeune cinéaste français posant un regard personnel sur tout un pan de la culture américaine : on se souvient que, dans La colline a des yeux, Aja osait la subversion la plus démente en filmant le massacre d’une famille américaine par des rednecks mutants, victimes des essais nucléaires effectués par l’armée dans le désert américain, et captait alors le retour aux pulsions primaires de violence et de survie tout en atomisant l’image propre et inoffensive de la famille américaine. Même chose avec Piranha 3D, si ce n’est qu’Aja va beaucoup plus loin dans l’outrance. A l’image d’un Tim Burton révélant la connerie humaine dans la première heure de Mars attacks pour ensuite se livrer à un massacre jubilatoire de la Terre entière, le jeune réalisateur s’amuse à faire jouir son spectateur de la vulgarité excessive qu’il met en scène dans sa première partie, pour finalement le mettre dans la position inverse en l’invitant à se mettre du côté des piranhas. Sans oublier la valise insensée de références que le cinéaste prend soin de dissimuler au détour d’une réplique ou d’un coin de décor, signe d’un hommage assumé et sincère au cinéma bis qui tâche.

Et sur ce canevas plus minimaliste tu meurs, Aja installe donc le suspense avec parcimonie, et laisse monter la sauce de façon progressive, le temps de s’attacher réellement aux personnages. Qu’on veuille le croire ou pas, le réalisateur prend le genre au sérieux et tend clairement à développer les relations humaines au cœur de l’intrigue. Des relations qui n’ont rien d’extraordinaire au regard du potentiel subversif du projet, se limitant ici en gros à des conflits intergénérationnels autour de l’indépendance et du désir de liberté des enfants d’une famille américaine tout ce qu’il y a de plus banal. Pour autant, aussi attachants soient-ils, les clichés s’invitent à la messe chez cette smala de personnages : une femme-flic coriace qui use du taser avec pugnacité (Elisabeth Shue), un shérif massif et bienveillant (Ving Rhames), un jeune scientifique au physique de gendre idéal (Adam Scott), un adolescent qui cherche le plaisir inaccessible en surfant sur des sites de cul (Steven R. McQueen) et une bimbo lucide et attachante pour qui voit plus haut que son Wonderbra (Kelly Brook).

En outre, à l’inverse de bon nombre de péloches horrifiques récentes, étirant l’exposition de façon trop forte jusqu’à lasser le spectateur, Aja sait ménager quelques péripéties qui font avancer l’action et maintiennent l’intérêt du spectateur, dont une expédition scientifique qui vire au carnage, et surtout, un magnifique ballet saphique avec Kelly Brook et Riley Steele qui ridiculise les productions 3D de l’ami Marc Dorcel. Quant à la nature improbable des piranhas, ici délivrée par un Christopher Lloyd au look de professeur Weetos asthmatique, elle se fait non pas à partir de bavardages surligneurs mais à l’aide d’un vieux fossile posé sur une étagère (et bien mis en évidence, merci pour les yeux !), ce qui installe dès le départ un second degré fort réjouissant. Un second degré qui s’épanouit définitivement lors de la la fameuse et déjà culte scène d’hécatombe sur les bords du lac, où les nuées de piranhas affamés se ruent sur tout ce que l’Amérique peut posséder de plus crétin et de plus désincarné. Dès cet instant, Aja déverse probablement plus de sang et de gore en vingt minutes que dans vingt films d’horreur réunis (productions Troma incluses !), et le cinéaste ose tout, même l’impensable dans une production hollywoodienne à cent patates, qu’il s’agisse de filmer quarante déchiquetages à la seconde, de viser les instincts les plus primaires en mélangeant sexe et violence dans la même scène, de montrer comment une bimbo peut perdre son enveloppe corporelle en coinçant ses cheveux dans une hélice, ou, plus hilarant encore, de montrer un piranha mastiquer le pénis d’un débile juste avant de nous le recracher en pleine gueule ! Difficile de penser qu’un film aussi immoral a pu sortir sur les écrans américains sans passer sous les sécateurs de la censure, mais Aja signe ici un défouloir ultra-jouissif qui, loin de chercher à choquer ou à révulser, n’a pour seul objectif que d’en mettre plein les mirettes.

Au bout du compte, on sort de Piranha 3D heureux, rassasié, comblé. Avec l’étrange sensation que les imperfections du film ont finalement eu un effet bénéfique sur le plaisir suscité durant 1h30. Que les effets spéciaux soient inégaux ou franchement ratés ne pose finalement aucun souci, car un autre niveau de lecture, plus métatextuel, vient s’ajouter au pur divertissement : à force d’y voir des corps bien réels et paradoxalement creux (à part sous le bikini et le slip) qui se font déchiquetés par des bestioles qui frisent le numérique inachevé et mal branlé, ce que filme Aja à travers son jeu de massacre, c’est presque l’intrusion du corps « faux » à travers un cadre où les jeunes cherchent un bonheur illusoire en baignant dans le « faux ». La peinture du « spring break », passant d’un univers de pure coolitude à un cadre moins enchanteur où tout semble calculé et malsain, et la vulgarité des piranhas, au look aussi invraisemblable que visuellement moche, est presque équivalente à celle de la faune adolescente dont le film se fait à la fois le révélateur et le témoin. A se demander si le vrai piranha du film ne serait pas en fin de compte le personnage de Jerry O’Connell, hilarant pornocrate aux allures de gros pervers cocaïné jusqu’à la moelle, dont le comportement imprévisible et quasi menaçant évoquerait presque celui d’un prédateur visant sa proie pour ne plus la lâcher. Au final, sans jamais hésiter à dézinguer la culture américaine dans tous les sens, Alexandre Aja accomplit un idéal de série B sanglante et impertinente : pousser le voyeurisme jusque dans ses ultimes retranchements, filmer le gore jusqu’à basculer dans l’excès le plus total, empiler les clichés un par un pour ensuite les atomiser avec humour, et surtout, jouer avec le côté factice du cadre qu’il investit pour le répercuter sur son propre film. Pas sûr que Joe Dante et James Cameron auraient eu les cojones de faire ça. Aja réussit à les surpasser sur tous les points, et ça, fallait oser.

2 Comments

  • Grosso modo d’accord avec cette critique. En attendant la version longue du film, qui ne devrait pas trop tarder (pour coïncider avec la sortie de sa suite). Concernant la 3D du film, si ce n’est certes pas la meilleure, elle s’en tire tout de même pas mal pour un film converti, surtout en Blu-Ray 3D. D’ailleurs, sans chercher à trop faire de pub, je voulais signaler à ceux qui seraient réticents aux TV 3D et Blu-Ray 3D, que la 3D est bien meilleure sur les TV qu’au cinéma, et ce, peu importe le film (y compris Avatar, oui). Cela est dû aux systèmes de vidéoprojections 3D au cinéma qui ne peuvent pas faire le point sur toute la surface de l’écran, mais seulement sur un endroit, et également à la taille de l’écran, souvent 2K, soit une résolution à peine supérieure à la HD, alors que l’écran en terme de taille est bien plus grand qu’une TV, d’où la perte de qualité. Bref, une grosse parenthèse, mais qui permet de souligner que, converti ou tournés en 3D, tous les films en relief s’apprécient mieux sur une TV 3D qu’en salle, du moins du point de vue de l’image.

  • Pas vraiment d’accord avec toi. Je n’ai que très rarement trouvé Piranha fun, et par contre très souvent chiant. Car on le sait, la première heure n’est qu’un prétexte, elle sert à combler le temps en attendant de passer au massacre final. Résultat, on se fou totalement des personnages (stéréotypés à mort), car la psychologie n’est pas du tout travaillée (tout juste éprouvera-t-on de la compassion pour le personnage de Kelly Brook – attachant [et non ça n’a rien à voir avec sa plastique parfaite :p]). Ainsi, on s’ennuie plus qu’autre chose, d’autant plus que les quelques meurtres présents dans cette première partie ne sont pas vraiment réjouissants. De plus – et c’est étonnant de la part d’un réalisateur aussi talentueux – la réalisation est tout sauf réussie. Les plans sous-marins font mal à la tête (avec ou sans 3D) et l’introduction – comme tu le dis – est tout simplement ratée. Alors qu’en est-il de cet acte sanglant final ? Il est relativement sympathique en effet, même si finalement on ne voit que rarement les piranhas à l’action (les scènes de mort les plus mémorables sont plus causées par la panique qu’entraînent les bestioles que par les bêtes elles-même). Certes on apprécie les traits d’humour ponctués ici et là par le scénario (le coup du pénis recraché par le piranha est sympathique en effet), mais l’évolution narrative est tellement décevante qu’on peine réellement à la défendre (en ce qui me concerne en tout cas). J’espère que la version longue sera mieux foutue et qu’elle intégrera la scène présente dans la bande annonce qui a l’air tout simplement jouissive (celle que tu as utilisée pour illustrer ton article sur la page d’accueil sur site). Mais en attendant, Piranha reste une déception de taille : rarement fun, long et chiant, mal scénarisé, on ne retiendra que la dernière demi-heure (même si elle se révèle moins jouissive que prévue) et Kelly Brook qui apparaît attachante et nous fait gentillement profité de son ÉNORME talent, notamment durant une séquence plutôt cool sous l’eau (même si totalement inutile à la narration).

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