Iris

REALISATION : Jalil Lespert
PRODUCTION : Nexus Factory, Universal Pictures International, WY Productions
AVEC : Romain Duris, Charlotte Le Bon, Jalil Lespert, Camille Cottin, Adel Bencherif, Sophie Verbeeck, Gina Haller, Nicolas Grandhomme
SCENARIO : Andrew Bovell, Jalil Lespert, Jérémie Guez
PHOTOGRAPHIE : Pierre-Yves Bastard
MONTAGE : Mike Fromentin
BANDE ORIGINALE : Dustin O’Halloran, Adam Wiltzie
ORIGINE : France
GENRE : Policier, Thriller
DATE DE SORTIE : 16 novembre 2016
DUREE : 1h39
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Iris, la femme d’Antoine Doriot, un riche banquier, disparaît en plein Paris. Max, un jeune mécanicien endetté, pourrait bien être lié à son enlèvement. Mais les enquêteurs sont encore loin d’imaginer la vérité sur l’affaire qui se déroule sous leurs yeux…

Jalil Lespert réalisateur, ce n’est pas une chose facile à analyser. Non pas en raison des aptitudes techniques du bonhomme (elles sont plutôt indiscutables), mais plutôt au vu du chemin parcouru et des sujets abordés. Depuis un sous-Iñarritu de sinistre mémoire (24 mesures), on ne peut pas dire que sa filmographie avait bâti une vraie cohérence thématique et formelle, d’autant que ni le larmoyant Des vents contraires ni le défilé de mode Yves Saint-Laurent n’avaient réellement convaincu. D’une certaine manière, Iris valide notre propension à considérer Lespert – acteur au demeurant brillant – comme un réalisateur touche-à-tout, une sorte de Joel Schumacher hexagonal qui carbure au coup de cœur et à l’inexploré, histoire de ne pas se répéter. Hélas, il arrive que l’inexploré touche à un sujet sur lequel le cinéma – surtout américain ou japonais – a déjà fait son beurre depuis très longtemps. On pouvait laisser planer quelques espoirs incertains sur Iris en raison de sa bande-annonce et de sa magnifique affiche, dessinant a priori les contours d’un thriller manipulateur et sulfureux avec trois brillants acteurs en tête d’affiche – dont une Charlotte Le Bon que l’on espérait découvrir ici sous un jour moins comique qu’à l’accoutumée. Mais un simple petit regard sur le bas de l’affiche installe le doute : on a ici affaire ni plus ni moins qu’à un remake du méconnu Kaosu, petit thriller japonais que Hideo Nakata avait pris soin de réaliser en 1999 entre les deux premiers Ring. De ce fait, en ayant encore en mémoire le « truc » qui faisait tout le sel de ce film nippon, Lespert avait-il la capacité de nous surprendre ?

La réponse à cette question ne mettra pas bien longtemps à arriver, tout au plus une vingtaine de minutes. Le temps nécessaire, en tout cas, pour assimiler la complète soumission de Lespert à un matériau narratif retranscrit tel quel, avec les mêmes enjeux, la même juxtaposition de flash-back, la même succession de twists et le même travail permanent sur les faux-semblants. Certes, il y a bien quelques variantes narratives par rapport à Kaosu, mais celles-ci se contentent d’alimenter l’idée que Lespert a considéré le potentiel gigogne de l’intrigue comme étant secondaire. En effet, le point de départ (un kidnapping) et son premier revirement (la kidnappée est en fait la complice du kidnappeur) sont ici fusionnés et révélés dès la cinquième minute, là où le film de Nakata laissait une bonne demi-heure entre les deux événements afin de faire évoluer graduellement le suspense. Quant au fameux événement à l’origine de tout ce puzzle manipulateur (un meurtre, mais n’en disons pas plus…), il est ici modifié de façon à faire rejaillir l’attention générale sur le personnage central du film. Clairement, le problème est là : Iris se veut moins un thriller à twists qu’un pur film de personnages, plaçant ainsi Lespert le cul entre deux chaises vis-à-vis du scénario qu’il avait entre les mains – et sur lequel il a travaillé à l’écriture des dialogues.

Le point d’équilibre qu’il a su trouver se limite ici à installer majoritairement son intrigue dans les nuits parisiennes et d’en explorer par instants la dimension interlope, avec ce que cela suppose de secrets cachés, de bars enfumés, de clubs privés, de prostituées de luxe et de soirées bourgeoises à la mode SM. Première erreur : Lespert ne s’est hélas pas rendu compte que Philippe Lefebvre lui avait déjà damé le pion avec l’éblouissant Une nuit, polar à la Michael Mann qui utilisait la nuit parisienne à des fins immersives et définissait tout au long du trajet effectué un vrai questionnement existentiel. Deuxième erreur : chez Lespert, le monde de la nuit n’est qu’une façade, un simple add-on visant à conférer un petit caractère porno-chic à une intrigue qui se suffisait à elle-même. Là où Nakata s’en tenait à une maîtrise narrative à toute épreuve et à une mise en scène volontairement minimale (plans fixes, montage limité, intérieurs peu éclairés), Lespert tente de l’imiter en y ajoutant des ingrédients qui l’alourdissent plus qu’ils ne l’enrichissent. Intégrer une imagerie sexuelle qualifiée de « japonisante » (notamment la pratique du bondage) n’arrive même pas à être jugé comme un apport « exotique », tant le nombre de films européens l’ayant exploitée crève désormais le plafond. Et de ce fait, le réalisateur ne fait que plaquer un souffre sexuel assez frelaté sur un contexte bourgeois bien ciblé, à savoir le système financier qui laisse les moins riches sur la paille. Après s’est pris cette année une sacrée claque signée Paul Verhoeven (Elle), on se dit tout bêtement que Lespert n’avait pas placé le curseur subversif au bon endroit.

Pour le reste, si l’on s’en tient à l’idée de creuser le mystère de ses personnages, Iris peine là encore à se relever. Le duel qui s’installe peu à peu entre Romain Duris (le kidnappeur) et Jalil Lespert (le mari de la kidnappée) nous renvoie ici à une dichotomie éculée, remettant l’indémodable sujet de la lutte des classes au premier plan, et ce en creusant très mal le contraste entre les deux personnages. Pour faire simple, l’un tente de se démener avec un fils dont il a la garde partagée, avec une ancienne femme qui le rabaisse sans cesse et avec un travail de garagiste qui l’obsède (« retaper une vieille moto = réparer son couple », merci, on a compris…). Quant au second, il vit dans des intérieurs de luxe, savoure un travail surpayé et s’adonne au sadomasochisme avec des prostituées quand sa femme n’est pas là. Que des clichés, que des stéréotypes archi-convenus et jamais contrastés par l’enquête policière elle-même. A noter que si Camille Cottin (l’inoubliable « Connasse » de Canal+) prouve ici sa réelle aptitude à jouer des rôles plus sombres, la vacuité de son personnage de flic, ici dévoilée au détour d’un dialogue au-delà de la vulgarité gratuite, ne sert pas les intérêts du film. Il faut s’en remettre à Charlotte Le Bon pour qu’Iris révèle sa seule grande qualité : un personnage quasi hitchcockien, subtil et insaisissable, dont la quête de survie et l’ambiguïté sous-jacente dessinent de manière savante les enjeux de pouvoir au centre d’un duel entre deux hommes. L’actrice, jusque-là cantonnée à des rôles comiques, contourne le piège du « rôle-silhouette » par un jeu volontiers éthéré et offre un vrai rapport d’empathie à un personnage qui focalise sans cesse l’attention, aussi bien la nôtre que celle des deux hommes qui l’entourent. Le film lui doit beaucoup. Ou plutôt, il lui doit tout.

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