La Relève

REALISATION : Clint Eastwood
PRODUCTION : Kazanjian/Siebert Productions, Malpaso Productions, Warner Bros
AVEC : Clint Eastwood, Charlie Sheen, Raul Julia, Sonia Braga, Tom Skerritt, Lara Flynn Boyle, Marco Rodriguez, Tony Plana, Pepe Serna, Paul Ben-Victor, Hal Williams, Xander Berkeley
SCENARIO : Boaz Yakin, Scott Spiegel
PHOTOGRAPHIE : Jack N. Green
MONTAGE : Joel Cox
BANDE ORIGINALE : Lennie Niehaus
ORIGINE : Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : The Rookie
GENRE : Action, Policier
DATE DE SORTIE : 26 juin 1991
DUREE : 2h01
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Nick Pulovski est un vétéran de la police de Los Angeles aux méthodes peu orthodoxes. Alors qu’il essayait de capturer des voleurs de voitures, son coéquipier Powell est abattu par leur chef, un certain Strom. David Ackerman, fils d’un richissime PDG, entre dans la police pour protéger les innocents et se racheter de n’avoir pas pu sauver son frère, mort à cause de lui. Choisi pour remplacer Powell et faire équipe avec Nick, David essaie de l’aider à capturer Strom et son gang, mais le caractère désagréable de Nick rend leur duo explosif…

A défaut d’avoir réellement pu transcender des attentes toujours très élevées sur un nouveau film signé Clint Eastwood, la récente sortie de La Mule aura au moins permis de nous remettre à jour sur la faculté de l’acteur-réalisateur à tenir d’une main ferme le moindre de ses récits, tout particulièrement quand la modestie du filmage fait montre chez lui d’une certaine propension à la coolitude, l’air de rien, sans effort et sans calcul. En la matière, si l’on prenait alors soin de rembobiner sa passionnante filmo, on se surprenait à guetter dans La Relève un mélange délicat – mais très maîtrisé – entre le respect des codes du genre sans arrière-pensée subversive et la modestie du petit film efficace qui se veut carré à défaut d’être prétentieusement trop rond. Et on aurait presque l’impression de paraître un peu trop élogieux pour un film que d’aucuns continuent de juger comme étant le « navet authentique » du territoire eastwoodien (go ahead, Télérama, make my day…). Et pourtant, les faits sont là : ce petit polar tout sauf honteux s’impose en point de bascule décisif sur la ligne claire d’Eastwood. Flash-back. Nous sommes en 1991, l’inspecteur Harry a raté sa sortie trois ans plus tôt avec un cinquième opus assez décevant (La Dernière cible), et entre-temps, le polar moderne a vu ses codes redéfinis par ceux du buddy-movie avec les triomphes successifs de 48 heures et (surtout) de L’Arme fatale. De plus, la carrière du grand Clint se retrouve alors en position délicate après quatre échecs commerciaux. De plus en plus proche de la soixantaine et animé par d’autres ambitions artistiques, l’homme accepte donc l’ultimatum de la Warner : celle-ci financera son magnifique Chasseur blanc, Cœur noir s’il accepte de réaliser en même temps La Relève, qui sortira quelques mois après. Bon calcul, pour l’un comme pour l’autre.

Doit-on considérer que Clint n’avait pas envie de réaliser La Relève ? Ou alors – pour citer les mots de son biographe Richard Schickel – que ce film-là, casé entre ces deux pièces maîtresses de sa filmo que sont Bird et Impitoyable, ferait figure de contre-sens total par rapport à son image actuelle et son parcours artistique ? P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non… En tout cas, au-delà des codes déjà un peu usités du buddy-movie (signalons que L’Arme fatale 3 pointera son pif l’année suivante…), La Relève n’a rien du film d’exploitation opportuniste, calibré pour engranger les pépettes et capitaliser sur l’image d’un acteur à la posture badass désormais mythifiée. On osera davantage y voir un authentique « passage de relais » pour Clint Eastwood, utilisant le traditionnel tandem formé par le vieux flic vétéran (celui qui a tout vécu) et la jeune recrue impertinente (celle qui va découvrir la dure réalité du métier) en vue de transmettre son héritage – ici infusé dans chaque scène – à la génération émergente, plus jeune et plus frondeuse sans pour autant se montrer digne de ses aînés ou de l’héritage qui l’a constituée. Preuve en est qu’à partir de ce film, le film d’action pointera aux abonnés absents chez Clint, le laissant ainsi élever son cinéma vers de plus hautes cimes via de magnifiques drames intimistes. En attendant, ce qu’il s’offre avec ce film initialement destiné à un autre cinéaste (Craig R. Baxley pour ne pas le citer…) n’en reste pas moins une vraie récréation sans prétention, un pur plaisir d’artisan d’un cinoche d’action orienté 70’s, réaliste dans son approche de la violence et frontal dans ses partis pris mal élevés, qui honore le cahier des charges du blockbuster 90’s en y rajoutant un vrai supplément d’âme.

Le « rookie » du titre original, c’est donc Charlie Sheen, dont la première apparition a valeur d’avertissement pour la future génération vis-à-vis du genre : ce que l’on assimile à une audition pour la jeune recrue policière a tôt fait de virer au tribunal déplacé (on le pousse dans ses ultimes retranchements pour lui faire avouer sa responsabilité dans la mort de son frère), du moins avant de réaliser que tout ceci n’était qu’un cauchemar. Tout est dit sur ce qui attend « Junior » : ce métier n’a rien d’une plaisanterie, et demande surtout une parfaite gestion des affects afin de pouvoir tracer efficacement sa ligne. Le début du récit prend d’ailleurs acte de l’héritage des aventures de l’inspecteur Harry : quand Clint a un coéquipier, on peut être sûr que ses jours sont comptés (ici, il passe à trépas en à peine dix minutes !), et le remplaçant a donc intérêt à se montrer à la hauteur. Comment faire, alors ? Clint a la solution : pour lui comme pour son poulain, il suffit tout simplement d’assumer la prise de risques que peuvent constituer aussi bien l’enquête policière que le genre policier, et traiter ces deux notions-là avec une sorte de détachement vénère. D’où la jubilation suscitée par un film qui aborde la science du bon mot et la pyrotechnie massive de la même façon, bombardant ici et là un récit linéaire de punchlines fulgurantes (« Il doit y avoir mille raisons de ne pas fumer cette chose – Oui mais là, j’en vois aucune ! » : cette remarque sur le tabagisme sera reprise en fin de film pour illustrer une toute autre signification du verbe « fumer » !) et de morceaux de bravoure enfilés comme des perles. Sur ce dernier point, il faut hurler à quel point La Relève ne démérite pas : un interrogatoire d’indic dans une décharge à grands coups d’électro-aimant, un accrochage brutal entre deux avions de ligne, un saut en voiture du haut d’un immeuble qui explose tout à coup, et surtout une poursuite furieuse sur l’autoroute où un camion décharge au compte-gouttes sa cargaison de bagnoles (on jurerait que Michael Bay a pompé littéralement cette scène pour Bad Boys 2 !).

Tant d’énergie et l’implication dans le geste et la démarche sont bien la preuve que Clint vise à (se) faire plaisir. Il en est de même lorsqu’il prend soin, au détour de quelques scènes fugaces, d’injecter une bonne dose d’héritage glorieux de sa période Harry Callahan. Son personnage de vieux briscard de la police, tout à fait dans la lignée de ceux qui ont fait sa gloire par le passé, s’en donne tellement à cœur joie dans l’exécution sommaire et la réplique bazooka qu’il a tôt fait de contaminer son jeune successeur. A ce titre, il faut voir avec quelle fureur Charlie Sheen, intronisé deux minutes plus tôt via une entrée iconique à la Sudden Impact, met littéralement le feu à un bar interlope inondé de néons rougeâtres ! De même qu’on y découvre déjà une part de son fétichisme des objets ancrés dans la culture américaine – Clint n’a pas encore une Gran Torino à protéger mais déjà une moto qu’il galère à retaper. Et face à eux trône un couple anthologique de bad guys formé par Raul Julia et Sonia Braga : le premier s’éclate à froncer les sourcils en usant autant que possible de sa voix vénéneuse, tandis que la seconde, depuis revenue sur le devant de la scène grâce à sa prestation dans le superbe Aquarius de Kleber Mendonça Filho, se la joue perverse, sanguinaire et sexuellement déviante, allant même jusqu’à violer littéralement ce cher Clint tout en lui léchant les plaies sur le visage – une scène aussi jouissive que dérangeante qui saborde l’image de dur à cuire de notre star favorite. Tout cela pour dire que La Relève, aussi transitoire soit-il, a de quoi faciliter le transit cinéphile. Clint Eastwood, lui, continue de faire son boulot avec la virtuosité des plus grands et, surtout, choisit de paraître maximal dans son ambition minimale. Allongé sur son fauteuil de boss avec les santiags sur le bureau et un gros cigare entre les lèvres, il s’éclate, et nous aussi. Il est de purs plaisirs de cinéphiles pervers qui ne se refusent pas.

3 Comments

  • Élias_ Says

    Je partage ton enthousiasme et les qualités que tu y loues, mais persiste à ne le considérer que comme une « récréation » comme tu l’écris, concession commerciale entre deux œuvres plus personnelles. Mais oui, récréation brillante dans son exécution et son écriture calibrée pour un Clint qui rejoue sa partition du vieux briscard aux répliques cinglantes. Je le mets à côté d’un Maître de guerre, autre plaisir coupable qui me réjouit régulièrement. Mon avis sur The Rookie développé ici :
    https://elias-fares.blogspot.com/2015/11/clint-31990-1999.html

    É.

  • Je viens de le revoir avec un plaisir insoupçonné

  • Hocine Says

    Effectivement, La Relève et Le Maître de Guerre semblent être issus de la même veine. Cependant, Le Maître de Guerre est un film bien supérieur à La Relève, ne serait-ce que pour la belle performance d’acteur de Clint Eastwood.

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