La Méthode Kominsky ou le secret de la jeunesse éternelle

Sacrée meilleure comédie aux Golden Globes 2019, La Méthode Kominsky fait la part belle à Michael Douglas et Alan Arkin, deux acteurs bien connus des cinéphiles et à l’alchimie inégalable – pour le mesurer, on ne saurait que vous conseiller de visionner les interviews qu’ils ont données en duo. Grâce à ce casting expérimenté, Chuck Lorre (Mon Oncle Charlie, The Big Bang Theory) peut explorer une thématique nouvelle : la vieillesse et ses affres. Nul doute qu’il saura la traiter sous un angle personnel…

Croisement de Grace and Frankie et Bojack Horseman, la comédie suit le quotidien d’un septuagénaire désabusé, Sandy Kominsky. Comme son alter ego équin, l’acteur est vieillissant et ne peut s’empêcher de blesser son entourage par son attitude désinvolte, sa manière de considérer pour acquise toute relation mais aussi une foule de négligences dont il n’a même pas conscience. Son meilleur ami et agent, Norman, peut lui aussi être assimilé à Bojack puisqu’il est réputé pour ses sarcasmes intempestifs et son humeur irrémédiablement massacrante. Ils se complètent parfaitement, le premier étant relativement nonchalant et l’autre au contraire très incisif. C’est là leur point commun avec nos amies Grace et Frankie : ils forment une parfaite bromance. Comme avec le couple féminin, on retrouve l’organisé versus le bordélique, le sociable versus le misanthrope, etc. En revanche, la série de Marta Kauffman et Howard J. Morris dépeint moins finement ses personnages masculins, la relation amoureuse entre les deux personnages principaux manque parfois de crédibilité mais ici, la bromance n’a pas besoin d’artifices pour qu’on l’intègre, il est évident dès le premier épisode que l’agent et l’acteur sont amis depuis des décennies. La raison de cette formidable alchimie tient peut-être des rapports “off-camera” des deux acteurs, complices et taquins, la preuve par l’image. À l’approche de ses 70 ans (oui, oui, Chuck Lorre a bien 66 ans) et après une carrière télévisuelle haute en couleurs, le showrunner semble signer le pendant masculin de Grace and Frankie soit l’oeuvre de la maturité. On y retrouve une volonté de lever les tabous liés à la vieillesse, par une sexualité mise à nue mais aussi par la mise en dérision de divers problèmes physiques : le cancer de la prostate chez les uns répondant à la sécheresse vaginale des autres. La série semble moins déjantée peut-être et sa galerie de personnages secondaires est plus discrète mais La Méthode Kominsky se veut tout autant touchante. Cependant, il semble bien réducteur de la limiter à une volonté de dérider la vieillesse car là n’est pas sa seule originalité. Si la série s’ouvre sur un cours d’arts dramatiques, ce n’est probablement pas un hasard…

La Méthode Kominsky : une ode à la formation

Sandy et son école d’Arts dramatiques

Sandy Kominsky à travers l’apprentissage et l’enseignement

La carrière d’acteur de Sandy n’a jamais été si florissante qu’il l’aurait souhaité et il est mieux reconnu pour son job de coach artistique que pour ses rôles passés. Ses trois mariages furent un échec et sa réconciliation avec sa fille ne doit qu’au caractère résilient de cette dernière. Nous avons d’ailleurs hâte d’en connaître plus sur sa mère, laquelle a eu droit à une référence aussi courte qu’acide lors du season final, ce sera donc très certainement au programme de la saison 2 (oui, la saison 2 est déjà dans les tiroires de Netflix). Alors qu’il se considère comme un raté, tout le renvoie irrémédiablement vers son école, école à laquelle il semble tenir profondément mais aussi véritable trait d’union entre lui et sa fille Mindy. En donnant cours à ses étudiants, il semble confiant et serein, il est par ailleurs le seul à ne pas comprendre l’apport intellectuel de cette activité et l’épanouissement qu’il lui apporte. Si sa carrière d’acteur n’a pas eu le succès escompté, personne n’a jamais remis en question la qualité de ses enseignements, c’est même pour cela qu’il est reconnu socialement. Lorsqu’il dialogue avec ses étudiants, on le découvre sous un jour infiniment plus sympathique que lors de ces tribulations quotidiennes. En effet, il se montre aussi perfectionniste que pédagogue ; c’est avec beaucoup de tendresse qu’ il leur permet de se dépasser et de découvrir leurs capacités réelles. Il ne se contente pas d’enseigner puisqu’il apprend lui-même beaucoup de cette jeunesse qui l’entoure, il n’hésite pas non plus à fréquenter une femme qui le challenge et le rend meilleur. Si Sandy pense avoir tout raté, c’est donc qu’il néglige la valeur de l’apprentissage, ne perçoit pas lui-même qu’il s’agit de sa raison d’être.

Les mauvaises langues (Norman) pourraient dire qu’il souhaite “jouer au jeune” par son style vestimentaire, sa coiffure ou son attitude mais au contraire, on peut en faire un personnage qui cherche à comprendre son époque. Chaque soir en se couchant, il éteint sa lampe de chevet en claquant des mains, preuve que les nouvelles technologies ne l’effraient pas et qu’il en comprend tout l’intérêt. Il maîtrise à merveille son smartphone et ne manque pas de railler Norman pour ses difficultés à en saisir le fonctionnement. Par ailleurs, il semble parfaitement à l’aise au milieu de jeunes gens issus de la génération Y ; il ne surjoue jamais, ne cherche pas à adopter artificiellement leurs codes mais leur parle avec sincérité. Cette question de la sincérité revient souvent dans ses propos et non sans ironie puisqu’il est souvent mené à jouer la comédie. Cependant, c’est ainsi qu’il définit le métier d’acteur et c’est probablement la sincérité qui rend la relation à Mindy si touchante (et il y aurait sûrement beaucoup à dire de la quasi paronomase entre leurs deux prénoms, Sandy et Mindy).


Picture via PinsDaddy.com

Chuck Lorre, un showrunner éminent qui rencontre deux icônes du cinéma américain

Or, dans ses récentes interviews, Chuck Lorre se pose en éternel apprenant. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la thématique de la maturité n’y est pas si dominante et se mêle à ses traits d’esprit une volonté d’apprendre perpétuellement. Il ne cache pas son admiration pour Michael Douglas et Alan Arkin, suit leur travail depuis environ 50 ans et trouve époustouflant de les voir dire son propre texte. Pour le webzine Entertainment Weekly, il explique avoir encore bien du mal à le réaliser et montre donc une posture de fan vis à vis de ses deux acteurs principaux. Régulièrement, il dérive depuis sa position de showrunner vers celle de spectateur : sur le tournage, il observe avec attention le travail de ses deux stars et essaie de mémoriser chacun de leur geste, conscient de la leçon qu’ils peuvent donner à tout cinéphile. La thématique ne transparaît finalement pas seulement dans son produit fini mais aussi dans son élaboration : la production du show a été placée sous le signe de la collaboration, de la bienveillance et surtout de la formation.

Chuck Lorre qui rencontre ces deux grands noms du cinéma, c’est l’union de deux univers. D’un côté, un showrunner qui a fait ses preuves dans l’univers de la sitcom, de l’autre deux icônes du “vieux monde”. Dans un article consacré au rapport de plus en plus fort entre l’industrie télévisuelle et Hollywood, Slate évoque brièvement la méthode Soderbergh, un exemple à suivre dans le respect mutuel qui a pu animer le travail des scénaristes et du réalisateur, un travail équilibré qui fait la synthèse de tout ce qui fait la particularité du genre sériel et l’apport du cinéma. On retrouve le même respect quand Michael Douglas parle de Chuck Lorre et Chuck Lorre regarde Michael Douglas. Et d’une certaines manière, tous trois ont vécu cette série comme un apprentissage. Pour Chuck Lorre, habitué aux sitcoms, il s’agit de trouver un nouveau rythme à ses situations comiques. Sans public présent pour y réagir, il ne peut jouer avec la mécanique du rire que l’on enregistre et calquer ses dialogues en fonction d’eux. Ici, il explique (The EW) que la caméra peut s’approcher davantage des acteurs qu’elle ne le ferait dans une sitcom. Cela permet de jouer davantage avec le spectre des émotions humaine – avec des acteurs aussi expérimentés, il est large – ce qui ne serait pas possible dans une série où l’on utilise simplement des caméras placées aux quatres coins de la pièce. C’est un changement radical pour celui qui a commencé sa carrière en tant que musicien et a toujours été coutumier de l’expérience de la scène. Tourner La Méthode Kominsky a pu lui donner l’impression de tourner un mini film chaque semaine, une expérience plus proche du cinéma que ce qu’il avait vécu auparavant.

Une comédie Netflix qui se veut intergénérationnelle

Cependant, Michael Douglas et Alan Arkin, dans une moindre mesure, ont aussi vécu La Méthode Kominskycomme une expérimentation. En effet, le premier n’avait jamais tourné pour Netflix contrairement au second qui est déjà au casting de Bojack Horseman. Dans une interview organisée par Daily Blast, Michael Douglas et Alan Arkin se prêtent au jeu des millenials : une jeune journaliste tente de leur faire deviner le sens d’expressions employées par la génération Z (le type d’expression que vous retrouverez sûrement dans l’urban dictionary). Ne comprenant pas une question de la jeune femme (à l’accent très prononcé), Alan Arkin réplique avec autodérision “I’m deaf, I’m old! ”. Cet échange est intéressant tant il rend visible l’écart entre des générations qui essaient de dialoguer mais peinent à se comprendre. Grâce au medium Netflix, ce sont les générations les plus jeunes qui découvriront ces acteurs et apprendront à les aimer. Hors des plus cinéphiles, ils sont sûrement rares à les avoir vus à l’écran et deviendront certainement fans, séduits par un charisme évident. En est la preuve la réaction de la jeune journaliste qui représente les millenials : euphorique, elle éclate de rire en concluant, riant comme si elle découvrait l’aspect badass d’un grand-père qu’elle avait toujours cru dépassé. Les étoiles d’Hollywood sont alors confrontées non seulement à un nouveau mode de diffusion et de nouvelles méthodes de production mais aussi à un nouveau public, la génération Netflix.

La série ne s’arrêtera pas là avec l’apprentissage puisque l’on tire ce fil jusqu’à la saison 2. Le season final nous montre un Norman désireux de se plonger dans une quête initiatique, il cherche un nouveau sens à sa vie, en dehors de l’amour et du sexe qui ne peuvent plus être des fins pour lui car il les a déjà réalisés. Selon lui, ce sont les premiers moyens par lesquels on souhaite donner un sens à sa vie, alors que reste-t-il quand on les a dépassés, comment trouver de nouvelles raisons d’être ? Via la religion, via la solidarité ? Des questionnements qui auront de quoi nous hanter longuement, tant leur résonance est universelle…. La série applique donc au troisième âge des thèmes que la fiction avait souvent attribués à l’adolescence : le parcours initiatique et l’apprentissage. Nulle surprise alors à voir Chuck Lorre et Alan Arkin narrer la même anecdote, à savoir qu’ils sont systématiquement surpris en découvrant leur visage ridé dans leur miroir, comme s’ils contemplaient un parfait étranger. Eux d’expliquer que leur esprit n’a pas changé d’un iota et est resté celui d’un adulescent ; on le croira aisément tant on prend plaisir à les écouter tous les trois, eux qui respirent justement la modernité. À croire qu’en cherchant toujours à s’actualiser, il est bel et bien possible d’interrompre le vieillissement (de l’âme et de l’esprit), on tâchera de s’en souvenir !

CRÉATION : Chuck Lorre
DIFFUSION : Netflix
AVEC : Michael Douglas, Alan Arkin, Sarah Baker, Nancy Travis
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie
STATUT : Renouvelée
FORMAT : 30 minutes
ANNÉE : 2018
BANDE-ANNONCE

Synopsis : L’histoire n’est pas encore finie pour l’ancienne star Sandy Kominsky et son agent de longue date Norman Newlander. L’ancien acteur à succès se reconvertit en coach hollywoodien pour comédiens débutants.

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