Grace et Frankie, Saison 1

Ce qu’il faut savoir avant de se plonger dans Grace et Frankie, c’est que la série est adepte de l’humour pince sans rire. Ceux qui s’attendaient, en voyant le nom de Marta Kauffman, à retrouver l’humour hilarant de Friends, celui qui vous forge la ceinture abdominale, seront sans doute déçus. Et pourtant, il serait bien dommage de passer à côté de cette pépite. Déjà, parce que c’est une première de voir tous les acteurs principaux d’un show dépasser les 70 ans ou même, dans le cas de Jane Fonda, approcher les 80 ! Ensuite parce que la série dédramatise la vieillesse si bien que même au coeur du drama noué par le divorce, le ton reste léger. Mais ce que la série fait de mieux, c’est lever les tabous. Bien sûr, il n’y aura pas de jeux de mots qui vous feront taper du pied mais le comique de situation allié au brio de ces deux petites vieilles, qui n’hésitent pas à parler sécheresse vaginale ou flirt d’un soir, est délectable, presque jouissif.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste puisque les enfants deviennent de plus en plus attachants, surtout lors des derniers épisodes de la saison. Comprenons bien que leur potentiel n’a pas encore été exploité, que des pistes ont peut-être été jetées de manière éparse (de la vie sentimentale de Brianna à l’esprit tourmenté de Coyote, l’ancien junkie) sans justification, nous permettant simplement d’espérer qu’elles se déploieront la saison suivante. Autre bémol : Sol et Robert sont effacés, traités comme de simples miroirs de de leurs ex-femmes et peinent à trouver leur place dans la série ; par leurs valeurs ou modes de vie, ils reflètent chacun leur alter-égo féminin. Puisque nous n’avons pas vu naître leur histoire d’amour, on s’intéresse à la manière dont ils construisent un quotidien qui leur est propre et l’on fond devant les moments de tendresse. Malheureusement, les personnages sont seulement esquissés et relativement peu déterminés, on ne sait pas grand chose sur eux, mis à part qu’ils sont avocats et associés. L’un est sensible, altruiste et plein d’empathie… mais aussi relativement lâche et manquant d’assurance, l’autre un peu plus snob et pragmatique. Grosso modo, nous ne savons rien d’autre.

On n’abordera pas spécifiquement leur coming out puisque ce n’est pas le véritable sujet de la série qui préfère se porter sur la solitude du troisième âge mais l’on soulignera la normalisation de cet ancien tabou. Tout comme dans Transparent, qui ne se fait jamais moralisateur et très peu militant, la série banalise les parcours non-normatifs. Ainsi, les thématiques de l’adoption ou de l’homosexualité chez les générations des septuagénaires sont toujours abordées de manière indirecte, au travers de scènes quasi anecdotiques. En cela, les personnages ne sont jamais réduits à des archétypes (et encore moins à des stéréotypes), c’est pourquoi on s’attend à ce qu’ils gagnent en consistance par la suite. Il n’y aura donc que peu de conflits autour de l’homosexualité des pères de famille vieillissants, et c’est tant mieux puisque cela montre l’ouverture de notre société. Soit, mais alors, outre le divorce et la recomposition familiale, quels sont les enjeux de la série ? Une embrouille entre la fille de Grace et Coyote, le fils de Frankie, semblait amorcé, excitant la curiosité du spectateur par la mention d’un obscur passé mais on s’en désintéresse rapidement.

Devant les retours en demi-teinte d’un certain nombre de critiques, on se demande où Grace et Frankie pêche et pourquoi son humour ne fait pas mouche, au delà de quelques problèmes d’écriture. Ne serait-ce pas la faute à un manque de conflits et à des clivages finalement peu crédibles ? Sans que cela soit forcément un défaut rédhibitoire, cela montre les besoins du public de voir se heurter des antagonismes francs et de savourer des moments ultimes de dramas. La mélancolie planante ou l’humour décalé sont bien plus difficiles à appréhender même s’ils confèrent aux personnages un fort capital sympathie. On reprochait à Norah de Brothers & Sisters d’en faire trop mais on l’aimait pour ça, on reproche peut-être désormais à nos héroïnes de ne pas en faire assez. C’est pourtant en accord avec l’identité de Frankie et de son alter-ego Sol qui ont grandi ensemble en chérissant pacifisme et respect de l’autre, en parfait accord avec des principes hippies. De la folie, il y en a chez Frankie mais la septuagénaire brille pour désamorcer les conflits et verbaliser ses maux intérieurs. Elle aide d’ailleurs Grace à résoudre ses incertitudes par une philosophie maïeutique.

Par conséquent, on peinera à blâmer Grace et Frankie de sa maladresse à gérer les conflits. Il semble en effet qu’ils soient systématiquement, dans cette saison d’exposition, des prétextes à dévoiler les personnages. Ces derniers sont si emplis d’amour les uns envers les autres et tous (y compris les jeunes générations) liés par leur marginalisation de la société qu’ils ne peuvent que se serrer les coudes. Les figurants, quant à eux, brillent par leur absence ! Cela nous donne l’impression que le cadre de la série est un cocon où les membres de la communauté se sont construits, un refuge où les uns pansent les plaies des autres. Sol apaise Frankie lors des séismes, Mallory s’inquiète de l’addiction de Coyote pour la drogue, etc. Plus révélateur encore : c’est Grace qui offre à sa fille Brianna le poste de sa vie alors que celle-ci est souvent rejetée par ses collègues en raison de son fort tempérament. Il s’agit de rendre à l’autre la fonction dont la société le privait. C’est en ce sens que Grace et Frankie miment des disputes mais ne voilent jamais leur affection mutuelle : elles ont besoin l’une de l’autre pour continuer à exister dans un monde qui les oublie. Leurs maris ne sont pas en reste ; les avocats se verront peut-être rejetés en entrant en phase de retraite et l’on voit déjà cette éviction à l’oeuvre puisque leur homosexualité n’est pas toujours bien perçue, leur valant même les foudres de leurs pairs. Tous retranchés dans la fameuse “maison sur la plage” à la douce atmosphère, ils ne réussissent pas à rendre crédible leurs disputes qui feraient pourtant d’eux des “gens comme tout le monde” et les re-situeraient dans l’ère du temps, support des indignations et coups d’éclat. Voilà pourquoi, s’ils voulaient être les héros d’un drama américain, ils n’en sont que la mimesis.

Et finalement, c’est tant mieux. Nous finissions par être fatigués des clash à tout-va et malgré un attrait pour les anti-héros, on se repose en découvrant ce type de personnages. Ici, la bromance féminine n’est pas fondée sur des disputes éclatantes mais bien sur des chamailleries sans conséquence. On souligne aussi que les personnages, en plus de se soucier les uns des autres, sont relativement peu rancuniers. L’annonce du divorce semble avoir suscité chez nos héroïnes plus de tristesse que de colère et jamais leur tendresse pour leurs ex-maris n’a été entâchée. En outre, ils ne sont pas si égoïstes qu’on voudrait nous leur faire croire : on pense à Grace et Robert qui démontrent à plusieurs reprises leur grand cœur et leur amour pour la fidélité. C’est ainsi de toute logique que les scènes de dramas tombent à plat, comme désavouées par leurs protagonistes. Non, définitivement quand on a 75 ans, on ne se fatigue plus d’inutiles conflits et on laisse affleurer au quotidien la sagesse de l’âge. Si l’on est encore attiré par les affres de la jeunesse, les envies de nuit blanche ou de douce défonce au bord de l’eau, on a toutefois dépassé l’attrait pour les coups d’éclat.

Jane talks about the “f–k-you fifties, I so understand that. You get to a certain point where you just don’t care anymore what people say or what they think because you’re at a certain age. But what you do care about is being ignored, and being marginalized, and not being considered an important member of society.

Marta Kauffman

La prise de recul des personnages face à l’image que la société peut avoir d’eux serait l’apanage de la vieillesse et permet dans la série des scènes hautes en couleur, notamment quand, dans un supermarché, le caissier ignore totalement nos deux compères qui font les pitres pour attirer son attention et finissent par l’insulter à base de jurons désuets. Il ne s’en rendra même pas compte.

Mais revenons vers nos deux stars : les drôles et pétulantes Grace et Frankie qui savent aussi être bouleversantes quand elles laissent apparaître leur faille : une solitude grandissante. Les intrigues sentimentales ne surprendront pas les habitués du petit écran (ou même du grand), beaucoup de péripéties seront attendues et certaines vannes retomberont à plat, mais le charme demeurera et l’on s’attachera rapidement à la petite famille. Après quelques épisodes, la série prendra donc la direction de ses consoeurs : les drama-comédies familiaux. On appréciera d’ailleurs l’apparition de Craig T. Nelson, alias le patriarche de Parenthood (Jason Katims) à laquelle on pourrait rattacher Grace et Frankie, que ce soit pour son art de la nuance et de la simplicité ou son opposition au soap opera. Malgré le thème progressiste du couple âgé qui fait son coming-out ou le ton libéré de l’ensemble, l’originalité ne sera pas celle de Transparent, ne serait-ce que par la narration qui est déjà plus conventionnelle. Et finalement, la souplesse du ressort comique qui n’est pas toujours maîtrisé sert surtout à mettre en valeur des actrices qui peuvent s’amuser, improviser et prendre du plaisir en se retrouvant. Cette joie est communicative, c’est pourquoi l’on adhère si rapidement aux personnages. Tout repose finalement sur le jeu d’acteur, on laisse de la place aux comédiennes qui peuvent y mettre toute leur énergie. La créatrice explique d’ailleurs que le projet initial était de produire une série pour Lily Tomlin et Jane Fonda, le pitch et notamment l’idée des maris respectifs qui fricotent est venu bien après, avec l’aide des stars qui contribuaient aux recherches scénaristiques. Le format est donc taillé pour faire la part belle aux quatre acteurs principaux et surtout aux deux femmes. C’était l’ambition première de Grace et Frankie, et c’est mission réussie.

CRÉATION : Marta Kauffman, Howard J. Morris
DIFFUSION : Netflix
AVEC : Jane Fonda, Lily Tomlin, Martin Sheen, Sam Waterston, June Diane Raphael
SCÉNARIO : Marta Kauffman, Howard J. Morris
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie
STATUT : En cours de production
FORMAT : 25 minutes
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Entre l’élégante Grace et l’excentrique Frankie, c’est la mésentente cordiale. Pourtant, les destins des deux femmes se rapprochent contre toute attente lorsque leurs époux révèlent qu’ils sont amants depuis 20 ans et vont se marier. Le partenariat d’affaires de leurs maris avocats prenant ainsi une toute nouvelle tournure, Grace et Frankie accusent le coup. Les voilà forcées de réinventer leurs vies sur le tard. Dans leur mauvaise fortune, elles découvriront qu’elles peuvent compter l’une sur l’autre… Et si ce n’était pas la fin du monde mais juste un nouveau départ ?

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Tale of Tales

[...] Et au-dessus de tout ce petit monde, on aperçoit un saltimbanque qui joue les funambules sur une corde en...

Fermer