Exes

REALISATION : Martin Cognito
PRODUCTION : Bwatah Productions, Canal+, Wild Bunch
AVEC : Grégoire Colin, Annie Lâm, Sylviane Combes, Pierre-Loup Rajot, Marcia Delahaie, Tom Novembre, Patrick Kodjo Topou, Abel Ferrara, Manuel Blanc, Samuel Le Bihan, Erick Deshors, Suzanne Combeaud
SCENARIO : Martin Cognito
PHOTOGRAPHIE : François About
MONTAGE : Francine Lemaître
BANDE ORIGINALE : Varou Jan
ORIGINE : France
GENRE : Fantastique, Ovni, Policier, Thriller
DATE DE SORTIE : 4 octobre 2006
DUREE : 1h27
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Virginie, un écrivain très célèbre, est rattrapée par son passé. Un tueur en série à la cruauté inhumaine, Exes, héros de son premier roman, veut se venger d’elle. Un psychopathe s’est sans doute procuré le livre et marche sur les pas de ceux du personnage de fiction… C’est du moins ce que la romancière et la police croient…

« Exes, comme premier projet cinéma de ma jeune société, est tout d’abord un projet de cœur. Il est guidé par le caractère radical et engagé de Martin Cognito, qui nous jette au visage un miroir tendu sur nos violences intérieures que chacun souhaite inhiber. J’aime la façon dont il utilise la sexualité comme moyen d’expression et langage philosophique à notre quête d’identité. Plus encore, son cinéma explore notre perception de la féminité, traitée ici de manière symbolique, en cherchant une réponse cachée à travers un être qui n’est ni homme, ni femme. Le dénouement est brutal comme l’est Exes qui impose son droit à la révolte et à une humanité dont-il est spolié. Face à une telle violence, l’échappatoire et la renaissance, que le personnage trouve dans l’écriture, proposent une porte de sortie à ses démons intérieurs, mais également un refuge acceptable et noble pour la condition humaine. C’est un film risqué, violent et sans concessions. C’est une œuvre plastique résolument moderne, comme le sont les tableaux de Francis Bacon qui jette son emprunte sur la toile dans une rage tribale, qui n’est jamais ni gratuite, ni aveugle »

Samuel Le Bihan

Toujours cette éternelle dichotomie entre le discours et la mise en pratique… Entendre l’acteur du Pacte des loups présenter ainsi sa première production maison – dans laquelle il fait aussi l’acteur le temps d’une scène – est à double tranchant en fonction d’où on place le moment du visionnage : si c’est avant, on est intrigué, et si c’est après, on est interloqué. Parce que le premier long-métrage traditionnel du vidéaste Martin Cognito n’a pas la prétention de parler de quoi que ce soit, ni même de déployer une créativité autre qu’irréfléchie. Parce que son réalisateur lui-même, punk et insoumis au-delà du raisonnable, fuit la prétention comme la peste. Laisser parler l’envie au lieu d’avoir envie de parler de quelque chose : voilà ce qui guide cet hurluberlu caché derrière un pseudonyme qui suscite pas mal de fantasmes. A ce propos, tous ceux qui croient déceler derrière ce nom la personne de Gaspar Noé, de Laurent Bouhnik, de Nicolas Boukhrief ou de Bertrand Bonello peuvent tout de suite arrêter les frais : pour avoir vu quelques « morceaux » du bonhomme dans le making-of du film, on peut affirmer avec certitude que ce n’est aucun de ces quatre-là. Tout ce que l’on sait de lui, c’est qu’il aura chatouillé pas mal de domaines artistiques (pub, clip, photo, graphisme, etc…) avant d’embrasser la mise en scène par la voie du porno. A ce titre, on lui doit jusqu’ici une trilogie conceptuelle de films X centrés sur une trinité féminine (Claudine, Axelle et Virginie, tournés pour la société Colmax entre 2002 et 2003) sur lesquels le mot d’ordre fut simple : refuser tout cahier des charges d’un gonzo jugé trop hégémonique et privilégier avant tout la force du récit – le résultat était un peu mitigé là-dessus. Avec Exes, c’est un peu le même principe : équipe réduite et fidèle, tournage-guérilla de quinze jours, et surtout un scénario bien lézardé de la cafetière, certes expurgé de son contenu hard – il s’agissait au départ d’un scénario de film porno – mais armé de l’envie de privilégier les contre-allées provocatrices aux grands axes conformistes. La France aurait-elle trouvé son Takashi Miike ?

On n’ose pas une telle connexion avec le cinéaste barré d’Audition pour faire joli. Tout ce qui caractérise Exes, de sa liberté de ton jusqu’à sa gratuité totale en passant par sa mise en scène approximative et ses péripéties lancées à fond les manettes dans le trash-punk, va de pair avec cette lecture du cinéma comme exutoire d’idées et de visions, fussent-elles osées ou transgressives, qui ont toujours caractérisé les films du cinéaste japonais. On jurerait que Martin Cognito se frotte les mains à l’idée d’être conspué par la critique – ce qui n’a pas manqué d’arriver lors de la sortie du film – ou d’être accusé de jouer les petits malins à partir d’un scénario qui ne veut rien dire. Ne lui faisons pas cet honneur si facile et si prévisible, et essayons au contraire de lire entre les lignes de ce qui apparaît comme un ovni singulier, donc avec un jugement ni aisé ni définitif. Rien que le titre, très malin en tant qu’anacyclique impliquant deux sens définis (l’excès et le trouble sexuel), est un sacré indice pour préfigurer l’entrée dans ce faux labyrinthe. Sur ce scénario qui semble en effet avoir une case en moins, avouons que le film ne se montre jamais avare en idées et en obsessions à dénicher : en effet, sous couvert d’une structure de thriller souhaitant investir une zone interdite où la réalité et la fiction se brouillent (avec un bouquin en ligne de mire pour mettre en perspective le statut d’une œuvre d’art… tiens tiens…), il y a cette belle idée d’un personnage fictif surgissant dans le réel pour réclamer des comptes à son propre créateur. Un personnage par ailleurs asexué, coincé entre virilité et féminité, au-delà du Bien et du Mal, qui donne son nom au film et qui entame une série de meurtres gratuits, aussi bien pour obéir à la logique du roman dont il est le héros que pour avancer contre cette humanité dont il est privé. Autre belle idée : ce personnage – incarné par un Grégoire Colin extrêmement troublant – se trimballe une conscience muette qu’il s’efforce de rendre autonome en lui offrant une « voix » (il essaie en vain de lui greffer des cordes vocales).

En tant que quête identitaire d’une entité fictive conflictuelle qui libère ses pulsions les plus sauvages, Exes compte donc sur la symbolique pour avancer ses pions, et ce jusqu’à un point d’interrogation final parfaitement assumé – un individu totalement asexué et privé de sa dualité peut-il incarner cet « être parfait » fantasmé par l’auteur ? Là où ça coince, c’est dans ce que cette architecture narrative propose entre ses extrémités, nous laissant alors croire à un Cognito désireux de réinventer le champ lexical du portnawak à chaque raccord de plan. S’y côtoient alors des cadavres sur lesquels on place un escargot au milieu d’une spirale de gouache rouge, un flic totalement improbable (Pierre-Loup Rajot, jamais crédible et mal perruqué) qui se trimballe une lycéenne bêta en guise d’acolyte sur une enquête criminelle (!), un chirurgien esthétique en fauteuil roulant (Tom Novembre) que l’on croirait sorti d’un film de Jean-Pierre Mocky, un parking souterrain bien glauque où se déroule une partie de mah-jong entre trois individus extérieurs à l’intrigue (dont Samuel Le Bihan avec un œil de verre), un threesome dans une ruelle où l’on finit par sodomiser Manuel Blanc avec un poisson mort, et même ce cher Abel Ferrara dans le rôle d’un clochard nommé Caïn qui réclame à tout « frère humain » qu’il croise de le tuer (attention la symbolique qui tue !). Le tout emballé dans un cocon HD de film X proto-Marc Dorcel, ne comptant ici que sur une poignée d’éclairages sophistiqués afin de rendre tangible une zone fantasmatique déjà bien abîmée par une production design assez (cala)miteuse. Jugez plutôt : ici, une morgue n’est qu’une table d’opération sur fond blanc immaculé (le cinéaste voulait-il se la jouer THX 1138 ?), et il suffit d’une table pliante installée sur la moquette d’un sous-sol pouilleux pour figurer une salle d’interrogatoire dans un commissariat de police ! Oui, le film a coûté peanuts. Oui, sa mise en scène ne transcende pas grand-chose. Et oui, Cognito a l’air de s’en foutre éperdument.

Si l’on en revient à cette connexion évoquée plus haut avec Takashi Miike (par ailleurs revendiquée par Cognito dans le dossier de presse), une telle lâcheté créative nous permet de repérer un gros point de discordance entre les deux réalisateurs, en particulier sur le traitement de l’image. Là où l’apparente pauvreté visuelle de Miike permettait paradoxalement à ce dernier d’être beaucoup plus cohérent avec l’animalité punk de ses sujets (revoyez Visitor Q ou Ichi the Killer), Cognito use ici de filtres et d’artifices stylisés qui ont bien du mal à trouver racine dans une esthétique vidéo aussi dénudée. Le réalisateur n’a pas seulement emprunté au porno son idée du tournage en quatrième vitesse, mais aussi son sens du low-profile esthétique, lequel oriente les cinq sens du spectateur dans une direction unique au lieu d’ouvrir grand le champ des possibles. Et de ce fait, comme dans un film X lambda, la mise en scène de Cognito ne se focalise que sur des sources de « sensations immédiates » chez le spectateur, où la montée de l’effet est suivie fissa par son évacuation – les fulgurances trash du film ont donc ici la même fonction qu’une scène porno. Cela ne rend pas Exes irregardable ni même antipathique, mais permet juste d’ouvrir une porte sensible sur un drôle d’ovni qui, pour le coup, entérine la détermination de son auteur à vouloir échapper à toute labellisation. Des propositions de cinéma totalement ravagées du ciboulot qui laissent circonspect, ce n’est pas ça qui manque, et c’est en général ce vers quoi s’orientent les cinéphages aventuriers comme nous, toujours en quête de nouveaux angles d’analyse sur la matière filmique. Même s’il est clair que la pauvreté visuelle d’Exes n’est en rien une réponse à nos aspirations, la curiosité qu’il représente, pour le coup ancrée dans une marginalité bisseuse assez inhabituelle, mérite d’être appréhendée avec un œil neuf et délesté de tout bagage analytique. Il faut juste le voir pour le croire, histoire d’en faire émerger… quelque chose. Mais inutile de compter sur son cinéaste pornographe pour trouver enfin le pourquoi du comment : son choix de l’anonymat est à la fois une réponse et un doigt d’honneur. Cognito ergo sum, en quelque sorte…

« Pour peu que l’on considère le cinéma comme un art, alors sa fonction première n’est pas de plaire et encore moins de susciter des critiques positives qui, de toutes façons, sont tellement prévisibles… On ne fait pas un film avec de bonnes intentions »

Martin Cognito

Photos : © Wild Bunch Distribution. Tous droits réservés

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