Hallucinations Collectives 2015 – Le programme

On n’arrive jamais à effacer les Hallucinations Collectives de notre esprit, et ce n’est pas seulement parce que nous sommes des habitués du festival. C’est simplement que l’expérience de l’événement annuel lyonnais en faveur du cinéma bis n’a de cesse que de se prolonger après coup, grâce aux diverses Séances Hallucinées organisées tout au long de l’année, histoire de nous faire patienter avant l’annonce d’une nouvelle salve de péloches barrées et jouissives. Ce que l’on sentait en revanche au fil des dernières Séances Hallucinées (respectivement consacrées à Johnnie To et Quentin Dupieux), c’est que l’image du festival n’est plus aussi indéfinissable qu’il y a trois ans. Désormais ancrées de plein fouet dans la culture cinéphile de Lyon et devenues un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de cinoche bis qui tâche sans faire tâche, les Hallucinations Collectives gardent plus que jamais comme objectif d’investir le 7ème Art en empruntant les chemins de traverse, en zigzaguant d’un genre à l’autre, en privilégiant les nouveautés autant que les raretés. La thématique principale de cette 8ème édition, intitulée Nouvelle humanité, est déjà une illustration détournée de cette démarche : chercher la furie pour mieux quêter une nouvelle chair cinéphilique, pour mieux concevoir un cinéma « autre », transcendé, délesté du moindre repère. Et au vu d’une distribution en salles de plus en plus difficile pour cette catégorie de films hors normes, on serait tenté de jouer nous aussi le rôle du docteur en préconisant le traitement suivant : une hallucination filmique par séance, des émotions en perfusion permanente, et des pensées plein la tête en fin de parcours… Non, tout ceci n’a rien d’un rêve. C’est une expérience réelle, sensorielle et surtout collective, qui ne se vit qu’en s’aventurant dans les salles obscures. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire…


i (S. Shankar)

LONGS-METRAGES EN COMPETITION

Partisan d’Ariel Kleiman (Australie) : En général, le film d’ouverture des Hallucinations Collectives fait toujours l’effet d’une déflagration, comme s’il fallait démarrer en trombe pour mieux savourer la suite du programme. Là, dans l’immédiat, pas de Tsui Hark ou de Gareth Evans au programme, mais un premier film au contenu très intriguant, auréolé d’une belle petite réputation suite à sa présentation au dernier festival de Sundance. Une intrigue mystérieuse centrée sur l’autarcie, une ambiance a priori pesante et inquiétante, un Scope parfaitement géré : les premières images nous laissent déjà songeurs.

Spring de Justin Benson & Aaron Moorhead (Etats-Unis) : On nous annonce là une excursion romantico-fantastique sur les côtes de l’Italie, remarquablement écrite malgré un manque flagrant de moyens, et blindée de plans d’une vraie beauté plastique. La bande-annonce du film nous enjoint à y croire dur comme fer, même avec deux réalisateurs issus de la désastreuse anthologie V/H/S aux commandes.

Shrew’s nest de Juanfer Andres & Esteban Roel (Espagne) : Ceux qui ont vu Les sorcières de Zugarramurdi se souviennent forcément de la prestation de Macarena Gomez en épouse infirmière frustrée et totalement lézardée. On la retrouve ici dans le rôle d’une agoraphobe, reflet symbolique d’une nation catholique repliée sur lui-même. Avec le temps, on a fini par en avoir un sadoul des productions ibériques qui dépeignent l’Espagne franquiste et ses effets désastreux sur l’imaginaire, mais la présence d’Alex de la Iglesia comme producteur et la promesse d’un film non dénué de moments comiques suffisent à nous attirer dans le nid de cette musaraigne.

Blind d’Eskil Vogt (Norvège) : D’ores et déjà prévu pour une sortie française en avril 2015, le premier film du scénariste d’Oslo 31 août évoque un sujet aussi rare que difficilement représenté au cinéma : la cécité. On avait déjà eu Blindness, mais le film d’Eskil Vogt semble lorgner plutôt du côté de la dérive fantasmatique, qui plus est avec de possibles ruptures de ton. De belles promesses, donc.

The Duke of Burgundy de Peter Strickland (Royaume-Uni) : Reparti des Hallucinations Collectives il y a deux ans avec le Grand Prix pour Berberian Sound Studio, Peter Strickland refait à nouveau son entrée au festival lyonnais avec une histoire exclusivement féminine qui sent bon le SM, la domination, les pulsions perverses et l’extase des cinq sens. Le genre de petite pépite viscérale et transgressive dont la bande-annonce nous met déjà l’eau à la bouche.

Dealer de Jean-Luc Herbulot (France) : Les projets autofinancés qui transcendent les failles du système de financement, ça se défend bec et ongles – remember Tout est faux l’année dernière. Dans le cas de Dealer, on n’est en revanche pas très rassuré : le scénario rappelle trop celui de Pusher (en plus de constituer le premier segment d’une trilogie) et la stylisation des premières images paraît pour le moins outrancière en plus de recycler des plans à la Nicolas Winding Refn. Un premier film beaucoup trop sous influence, donc ? On va bien voir…

Goodnight Mommy de Veronika Franz & Severin Fiala (Autriche) : Hein, l’ignoble Ulrich Seidl fait son entrée aux Hallucinations Collectives ?!? Restons calmes, il n’est ici que producteur et le résultat a l’air infiniment plus élégant en termes de cadrages. Mais comme souvent dans le cinéma autrichien, l’horreur sociale et la mise en scène clinique sont apparemment au rendez-vous. Autant s’attendre à avoir très mal…

i de S. Shankar (Inde) : Notre plus grosse attente du festival : un film indien de 3h08, dont le synopsis rappelle beaucoup celui du Running on karma de Johnnie To, et conçu comme une virée visuellement démente dans un univers où se mêlent comédie musicale colorée et kung-fu à la sauce HK. Et avec le soutien des petits génies de Weta Workshop (la compagnie d’effets spéciaux néo-zélandaise créée par Peter Jackson), c’est peu dire que le terme « hallucination » va se trouver une nouvelle définition !


Tokyo Tribe (Sono Sion)

LONGS-METRAGES HORS COMPETITION

Tokyo Tribe de Sono Sion (Japon) : Ce n’est pas la première fois que ZoneBis déroule le tapis rouge à Sono Sion : le dérangeant Guilty of romance et le très beau The Land of Hope avaient déjà fait les beaux jours du festival comme des Séances Hallucinées. Et comme la bande-annonce du film prouve que le cinéaste japonais ne semble jamais à court de folie à force d’enchaîner les films à un rythme de stakhanoviste, on parie d’ores et déjà que cette adaptation du manga Tokyo Tribe 2 constituera une séance de clôture mémorable pour le festival. Les premiers avis parlent d’un rollercoaster trash, musical et sensoriel. Ô joie !

Lost Soul: The Doomed Journey of Richard Stanley’s Island of Dr. Moreau de David Gregory (Etats-Unis) : Ce n’est un secret pour personne : le tournage du remake de L’île du Dr Moreau par John Frankenheimer fut un enfer à tous les niveaux. Le documentaire en question sera l’occasion de découvrir la pré-production du projet, le tout sans langue de bois, et de cibler clairement ce qui amena Richard Stanley, talentueux réalisateur de Hardware, à être renvoyé comme un malpropre au profit d’un Frankenheimer qui va vite en baver des ronds de chapeaux. Les projets maudits étant souvent les plus intéressants à décortiquer, inutile de préciser qu’on est impatients d’en savoir plus.

COURTS-METRAGES EN COMPETITION

Sale gueule d’Alain Fournier (Canada)
The boy with a camera for a face de Spencer Brown (Royaume-Uni)
Autogrill de Théophile Gibaud (France)
How to make a nightmare de Noah Aust (Etats-Unis)
Tiger de Jacob Chelkowski (Pologne)
Symphony n°42 de Reka Bucsi (Hongrie)
Beach week de David Raboy (Etats-Unis)
Tempête sur Anorak de Paul Cabon (France)


Tetsuo II : Body Hammer (Shinya Tsukamoto)

THEMATIQUE « NOUVELLE HUMANITE »

L’île du docteur Moreau d’Erle C. Kenton (Etats-Unis) : Revoir le nanar de John Frankenheimer aurait pu être très drôle. Mais quitte à faire les choses bien, autant revenir aux origines : le film d’Erle C. Kenton tourné en 1932, avec un Charles Laughton bien dingue comme toujours dans le rôle de Moreau. Dans le genre « piqûre de rappel », voilà une séance qui fait très plaisir.

Meurtres sous contrôle de Larry Cohen (Etats-Unis) : On avait fini par laisser de côté Larry Cohen parmi la salve des réalisateurs américains des années 70 qui avaient su exploiter la paranoïa ambiante et le sens de la foi. Raison de plus pour redécouvrir son film le plus célèbre dans une belle copie DCP, surtout dans le but de constater que le résultat n’a toujours rien perdu de son efficacité.

Scanners de David Cronenberg (Canada) : On était déjà revenu sur le premier grand succès de David Cronenberg dans la seconde partie de notre rétrospective consacrée au cinéaste canadien, on se contentera donc de préciser que revoir le film sur grand écran est le genre d’offre qui ne se refuse pas !

Tetsuo II : Body Hammer de Shinya Tsukamoto (Japon) : Revisionner le premier Tetsuo sur grand écran aurait été un sésame inratable. Peine perdue, il faudra se contenter de sa suite, en réalité un quasi-remake qui décline et clarifie le propos du film original. Il en résulte un film certes moins impactant que son prédécesseur, mais tout aussi dingue et extrême, réceptacle d’un cri de colère anarchiste de l’individu contre l’aliénation de son libre arbitre. Une grande bande dessinée destroy, dont la furie prophétise la naissance d’une nouvelle humanité.

THEMATIQUE « ITALIE, MERE DE TOUS LES BIS »

Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (Italie) : Navet racoleur pour certains, chef-d’œuvre subversif pour d’autres, mais en tout cas père indiscutable du found footage, le film culte de Ruggero Deodato reste encore aujourd’hui le film le plus controversé de l’histoire du cinéma. En ce qui nous concerne, on continuera d’y voir une méta-critique du voyeurisme médiatique, polémique par nature, vomitive par logique, dont l’apparence fictionnelle et l’incroyable crudité visuelle n’ont décidément pas fini de remuer l’estomac. S’il y a des néophytes qui ont envie de tenter l’expérience, on leur filera un conseil très utile : allez-y à jeun.

Rabid Dogs de Mario Bava (Italie) : Une rétrospective du cinéma bis italien sans un film de Mario Bava aurait quelque chose d’inachevé. Donc acte, et avec un film assez inhabituel dans la carrière du cinéaste, car beaucoup plus sec et enragé que ce à quoi nous étions habitués chez lui. La bonne nouvelle sera d’y découvrir le montage original que Bava avait conçu juste avant la faillite de la production. Et si le synopsis vous rappelle la première moitié d’Une nuit en enfer, ce n’est sans doute pas un hasard.

Femina Ridens de Piero Schivazappa (Italie) : Oh chouette, un film rare, satirique et subversif ! La simple découverte de l’intrigue du film a de quoi nous laisser anticiper une sorte de variation italienne d’un pinku-eïga de Koji Wakamatsu, du genre Quand l’embryon part braconner, où s’orchestre une corrida de mort entre les deux sexes sur fond de lutte entre patriarcat et féminité. N’en ayant pas encore la confirmation, on se contentera de rester à l’affût de la moindre surprise…

Le venin de la peur de Lucio Fulci (Italie) : Du giallo à la sauce Fulci, c’est toujours bon à prendre. Celui-ci, l’un des moins connus mais pas l’un des moins estimés, contient tous les ingrédients les plus codés de ce genre transalpin, en plus d’y superposer une approche mentale, quasi schizophrénique. Du bis italien dans les règles de l’art, quoi !


Femina Ridens (Piero Schivazappa)

CARTE BLANCHE A CHRISTOPHE GANS

Hitokiri, le châtiment de Hideo Gosha (Japon) : La passion du réalisateur de Crying Freeman pour le cinéma asiatique n’est plus à démontrer depuis bien longtemps. Le seul film asiatique de sa Carte Blanche a de quoi ravir : un monument longtemps invisible d’Hideo Gosha, revenu un peu sur le devant la scène suite à sa réédition DVD par Wild Side, décrit par Gans lui-même comme « une variation sur le mythe d’Icare ». On ne saurait lui donner tort, tant Hitokiri rejoint le Harakiri de Masaki Kobayashi au rang des films mettant en branle les idéaux du cercle samouraï tout en expédiant leurs personnages vers un destin funeste. Découverte impérative pour les néophytes !

La chute du Faucon Noir de Ridley Scott (Etats-Unis) : C’était la surprise à laquelle on ne s’attendait pas pour des Hallucinations Collectives, même en connaissant l’admiration de Gans pour le travail de Ridley Scott. Mais à la réflexion, c’est un choix assez logique : dans son optique de transcender l’art de filmer la guerre et de faire de cette souricière somalienne un territoire propice au vertige le plus absolu, Scott accomplissait là un sacré pari. Un film innovant, stupidement conspué par certains pour des raisons idéologiques, qui se doit d’être (re)visionné sur l’écran le plus large possible.

Les frissons de l’angoisse de Dario Argento (Italie) : Faut-il encore présenter le chef-d’œuvre de Dario Argento ? Faut-il rappeler que cette relecture de Blow up réussit sans peine à cristalliser ce qu’Antonioni avait seulement effleuré dans son film ? Faut-il repréciser que c’est un film à voir impérativement plusieurs fois, ne serait-ce que pour en savourer chaque micro-détail qui serait passé inaperçu lors du précédent visionnage ? Faut-il rappeler que tout est inoubliable dedans, de sa mise en scène stylisée jusqu’à la mémorable scène finale en passant par sa bande-son hypnotique ? Faut-il donc vous donner une raison supplémentaire pour le redécouvrir sur grand écran ?


La chute du Faucon Noir (Ridley Scott)

LE CABINET DE CURIOSITES

Siège de Paul Donovan & Maura O’Connell (Canada) : On sent déjà l’influence d’un chef-d’œuvre de John Carpenter (Assaut, réalisé sept ans plus tôt) ou encore d’un survival urbain et nocturne façon American Nightmare. La surprise, c’est qu’il s’agit d’un film canadien, et que le résultat n’aurait visiblement rien d’un vigilante US conçu en réaction à l’insécurité des métropoles. C’est donc le genre de curiosité méconnue qui fait immédiatement envie.

Bijou de Wakefield Poole (Etats-Unis) : On désespérait de ne plus avoir de séance interdite aux moins de 18 ans aux récentes Hallucinations Collectives. Cette année, l’oubli est réparé, et de quelle manière : ni plus ni moins qu’un film érotique gay au contenu sexuel explicite, présenté comme une « œuvre expérimentale psychédélique qui saisit sur pellicule l’incandescence des corps et des êtres ». Parfait pour une deuxième partie de soirée consacrée aux choses du désir.

L’homme qui voulait savoir de George Sluizer (France/Pays-Bas) : Un film plutôt rare, visiblement centré sur l’analyse de l’esprit d’un sociopathe. Dans le genre, le festival nous avait déjà offert Schizophrenia il y a trois ans, mais si ce film a d’ores et déjà le don d’aiguiser notre curiosité, c’est en raison d’une anecdote grandiose : Stanley Kubrick considérait ce film comme le plus terrifiant qu’il ait jamais vu !

JAPANIME : ANIMATION SANS CONCESSION

Jin-Roh, la brigade des loups de Hiroyuki Okiura (Japon) : Pour beaucoup, Jin-Roh reste globalement associé au nom de Mamoru Oshii, pourtant scénariste du film. Ce n’est pas un hasard, tant la patte mélancolique et symbolique du maître irrigue chaque composante de ce film d’animation, ne serait-ce que sa façon de revisiter Le Petit Chaperon Rouge sous l’angle de l’anticipation futuriste. La preuve que l’animation japonaise, outre son génie pour mélanger les niveaux de lecture, est du genre à privilégier la réflexion au-delà des lois du spectacle.

Perfect Blue de Satoshi Kon (Japon) : On a toujours du mal à croire que Satoshi Kon ne soit plus de ce monde, tant ses films sont aussi riches que très peu nombreux. Celui que les Hallucinations Collectives auront l’honneur de présenter sera le film de la révélation, ayant ouvert la japanime vers de nouveaux horizons métatextuels. En abordant l’otakisme au travers d’une intrigue où fantasme et réalité s’imbriquent tels des poupées russes, Kon dévoilait un talent inédit pour aborder cinématographiquement le vertige identitaire. C’est un vrai labyrinthe mental, c’est un kaléidoscope d’intrigues, c’est un chef-d’œuvre total, et ce sera donc l’un des événements du festival. Sans parler du fait que Darren Aronofsky lui a piqué bon nombre de ses idées : souvenez-vous du plan de Jennifer Connelly qui hurle sous l’eau dans Requiem for a dream.


Perfect Blue (Satoshi Kon)

La programmation suffit déjà en soi à nous laisser avec de monstrueuses attentes dans l’esprit, mais ce n’est pas tout. De nombreux autres événements sont prévus au cours du festival : une compétition de courts-métrages, une soirée spéciale animation japonaise, une table ronde sur le thème de la nouvelle humanité, une projection de courts-métrages estampillés Midi-Minuit Fantastique, ainsi qu’une projection en partenariat avec le collectif Reperkussions… Allez, encore un peu moins de trois semaines à patienter…

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