Hallucinations collectives 2014 – Le bilan

Chaque année, en plus de faire monter toujours plus haut le taux de fréquentation, le festival Hallucinations Collectives a le don de nous mettre face à une surprise de taille. Pour cette septième édition, on avait décroché le pompon : Jacques Audiard était à l’honneur au sein même de la sélection du festival !… Non, c’est une blague : le réalisateur du Prophète faisait en réalité partie de deux films présentés durant le festival (l’un en tant que coscénariste, l’autre en tant qu’assistant réalisateur). Cela dit, au vu de la réputation assez particulière des films en question et de l’impact hallucinant qu’ils dégagent à chaque vision, l’image suffisait en soi à refléter ce qui a toujours fait le sel et le piment de ce festival lyonnais, à savoir la volonté de braquer les projecteurs sur des œuvres méconnues et bizarres, devant lesquels il n’est question que d’halluciner collectivement. La ligne directrice a une fois de plus été tenue de bout en bout, entraînant dans son sillage son lot de surprises, de coups de cœur ou de coups de gueule au fil des séances, le tout supervisé de manière admirable par l’association ZoneBis et le grand organisateur Cyril Despontin, véritable Thierry Frémaux du cinoche bis qui tâche sans faire tâche. En complément des critiques et des entretiens que nous avons déjà publié tout au long de ce marathon de vingt-sept films en six jours (voir liens ci-dessous), ce petit compte-rendu aura pour but de vous faire partager notre ressenti subjectif sur tout ce qui aura marqué cette riche sélection. Et une fois encore, ça va être très dur d’attendre l’année prochaine !


Detective Dee 2 : La Légende du Dragon des Mers (Tsui Hark)

UNE COMPETITION RICHE ET VARIEE

A l’instar d’une compétition longs-métrages assez faible l’année dernière (au sommet de laquelle seul le thriller hispanique manipulateur The Body nous avait réellement enthousiasmés), on ne peut pas dire que la séance d’ouverture du festival nous rassurait des masses. Se retrouver face au nouveau film du génial Tsui Hark, qui plus est la préquelle d’un film certes divertissant mais tout de même assez inégal (Detective Dee), et ce en ayant encore le souvenir d’un Dragon Gate brouillon et inabouti, nous faisait entrer dans la salle avec une pointe d’appréhension. Au bout de vingt minutes de projection, les dés étaient déjà jetés : le cinéaste était enfin de retour dans une forme olympique, comme on ne l’avait plus vu depuis Time and tide il y a près de quinze ans. Loin de se limiter à dévoiler les origines du personnage de Dee au sein de la Chine impériale, Detective Dee 2 : La légende du Dragon des Mers s’impose comme une sorte de film-somme pour le cinéaste, réunissant au sein d’un même univers tout ce que le cinéaste a pu expérimenter de plus fou depuis ses débuts, empilant tous les genres comme des perles (de la comédie burlesque au wu xia pian, en passant par la fresque guerrière et le kaïju-eïga), déroulant une intrigue d’une limpidité absolue, multipliant les idées les plus dingues dans chaque plan, et usant au maximum du relief 3D pour favoriser autant l’immersion dans le cadre que l’écarquillement de nos orbites. Pour le coup, et au vu des réactions super enthousiastes qui ont animé les discussions en fin de projection, la joie fut immense. Déjà une sacrée première surprise pour entamer ces six jours de festival, et, en ce qui nous concerne, notre choix personnel pour le Grand Prix du long-métrage de cette compétition.


The Double (Richard Ayoade)

C’est d’ailleurs sur ce plan-là que la déception aura su s’imposer. La grande nouveauté de cette 7ème édition résidait dans l’opportunité laissée au public de voter eux-mêmes pour décerner le Grand Prix (pas de jury cette année) : à la fin de chaque projection, le public était invité à décerner une note de 1 à 5 au film en question. Et au terme d’une compétition riche et variée, c’est finalement à The Double, nouveau film du réalisateur Richard Ayoade (Submarine) que le Grand Prix fut décerné. En ce qui concerne l’auteur de ces lignes, il s’agissait là d’une terrible douche froide. Non pas que le film en question, traitant du thème du double dans un univers rétro-futuriste à la Brazil, soit dénué de qualités plastiques et esthétiques, bien au contraire, mais la tonalité oppressante du résultat, visant à subir l’humiliation gratuite d’un personnage faible et timide pendant 1h30, aura ressemblé à une longue séance de torture. D’autant plus gênant qu’Ayoade enfonce le clou dans ce manichéisme abstrait lorsqu’intervient le double maléfique du héros (interprété avec talent par Jesse Eisenberg). Pour le coup, il n’y avait pas de quoi sauter au plafond, mais plutôt grincer des dents jusqu’à se faire soi-même souffrance… On passera aussi sur The Babadook de Jennifer Kent, énième ghost-story dans une maison résidentielle qui enquille tous les poncifs éculés du genre, de la menace insidieuse façon Insidious (rires) aux thématiques sur la maternité déjà explorées mille fois avant, et ce jusqu’à un final grotesque qui sonne comme une perte de repères. De plus, apprendre que cette jeune réalisatrice australienne se serait ici inspirée du travail de David Lynch nous fait dire que le cinéaste de Mulholland Drive n’a pas fini d’être injustement réduit à un type zarbi qui aimerait coller des éclairages déglingués un peu partout dans ses films.

C’est uniquement au travers d’Aux yeux des vivants, nouveau film des jeunes prodiges Julien Maury et Alexandre Bustillo, que la France était présente au sein de cette compétition. Là encore, hormis une aptitude toujours aussi affirmée à développer un montage générateur de sensations fortes, la déception s’imposait autant que la grimace, le tandem des excellents A l’intérieur et Livide n’ayant pas renouvelé le même exploit par manque d’une ligne narrative précise et excès dans la mise en scène d’une hyper-violence pour une fois injustifiée… On se consolera plutôt avec nos amis belges, à l’honneur cette année avec le d’ores et déjà très polémique Au nom du fils, brûlot cynique sans pitié où une mère de famille chrétienne se lance dans la défragmentation de curés pédophiles après avoir découvert que son fils suicidé avait une liaison avec le vicaire du coin. Outre une affiche très drôle qui fera à coup sûr rougir les cul-bénits et un ton subversif souvent redoutable, le nouveau film de Vincent Lannoo (Strass) n’hésite pas à aller assez loin dans sa remise en question décalée des fondations du religieux et les ambiguïtés sournoises qui se cachent derrière la foi. Pour autant, on est hélas loin d’un véritable film blasphématoire qui, à l’instar des premiers films de Paul Verhoeven, n’aurait pas ressenti le désir de freiner sa colère au profit d’une dernière demi-heure assez tiède. Mais rien que pour le plaisir de voir quelques spectateurs coincés hurler au blasphème en sortant de la salle, cette projection valait clairement le coup d’œil.

>>> Lire notre entretien avec Alexandre Bustillo
>>> Lire notre critique d’AUX YEUX DES VIVANTS


Shield of straw (Takashi Miike)

Pour tout dire, outre le choc Detective Dee 2, c’est une fois de plus du côté du continent asiatique qu’il fallait chercher les deux autres grands chocs de la compétition. D’abord le nouveau film (toujours inédit en France) d’un Takashi Miike de moins en moins porté sur la provocation trash : Shield of straw, thriller d’action énervé, au rythme effréné et au propos plus perturbant qu’il n’en a l’air. Le rejet critique quasi unanime dont le film fut victime au dernier festival de Cannes fut ici réparé par un accueil ultra-favorable de l’ensemble des spectateurs, y voyant pour la plupart l’un des meilleurs films de son cinéaste et la preuve d’une vraie évolution dans la carrière de ce dernier…

>>> Lire notre critique de SHIELD OF STRAW

En réalité, la découverte du nouveau film de Hitoshi Matsumoto (décidément le chouchou du festival depuis plus de trois ans !) faisait davantage penser à du Takashi Miike. Jugez plutôt : un salary-man frustré passe un accord avec une société nommée Bondage, consistant à faire intervenir des dominatrices de façon hasardeuse dans son quotidien afin de lui procurer un max de plaisir. Tel est le pitch du frappadingue R100, ovni barré et surprenant qui chie autant sur la censure que sur les règles établies du cinéma, n’hésitant pas au détour de quelques scènes à oser une mise en abyme pirandellienne à la Quentin Dupieux où la structure même du film se voit remise en question et tournée en dérision. En tant que tel, c’est un pur régal sur lequel nous ne manquerons pas de revenir lors de sa future sortie en salles.


R100 (Hitoshi Matsumoto)

NEW YORK, URBAN JUNGLE

La superbe affiche du festival ne laissait aucun doute sur la thématique centrale du festival : une immersion totale dans le New York des années 70/80, marqué par les quartiers insalubres, la corruption policière, la multiplication des gangs, la violence radicale des banlieues, les cinémas porno, les putes sur le trottoir et la pauvreté en intraveineuse. Des ingrédients qui peuplaient à plus d’un titre les quatre films de cette sélection, pour la plupart excellents. Certes, on n’hésitera pas à souligner le bonheur que nous avons eu à revoir le génial Les guerriers de la nuit de Walter Hill dans sa version remasterisée, épicée ici et là de transitions BD fort bienvenues qui contribuent à fluidifier le montage et la narration. Mais le reste était tout aussi digne d’intérêt. D’abord le méconnu Wolfen de Michael Wadleigh, faux film de loup-garou mais vraie fable métaphysique, qui utilise un pitch classique de série B (une enquête policière sur des meurtres sauvages apparemment commis par une mystérieuse bête) pour placer une nation telle que les Etats-Unis face aux conséquences de sa politique territoriale. Ensuite, le radical Vigilante de William Lustig, pur film d’autodéfense qui honore ce genre aussi jouissif que perturbant par un superbe respect de ses codes et une mise en scène d’une sobriété irréprochable. Enfin, le très rare Fort Bronx de Robert Butler où un ex-policier traverse tout New York pour retrouver sa fille, kidnappée par un détraqué raciste qui s’est trompé de victime !

Quatre films marquants qui, chacun à leur manière, livrent une vision topographique de New York tout en nous immergeant dans ses quartiers les moins reluisants. Sans parler de la soirée « New York Trash », marquée par le vision en double-programme du mémorable Street Trash de Jim Muro et du bancal Frankenhooker de Frank Henenlotter. Dans les deux cas, inutile d’en dire beaucoup parce que tout est dans le titre : du gore bien dégueu qui tâche tout ce qui bouge et des putes démembrées pour redonner vie à une femme morte. SI le second manque hélas de finition et de rythme (comme c’est souvent le cas chez Henenlotter), le premier continue de susciter l’hilarité à force de nous infliger son inénarrable décor de banlieue sale, où des clochards finissent par fondre aux couleurs de l’arc-en-ciel en buvant une mystérieuse potion soldée par un épicier du coin. Ah là là, toute une époque de l’horreur cradingue qui semble désormais bien loin !


Street Trash (Jim Muro)

L’EMPIRE (TENTE UNE) CONTRE-ATTAQUE

Là, nous avons eu plus de difficultés à adhérer au concept. On n’ira pas jusqu’à dire que la stratégie de la boite de production Empire, consistant à présenter des affiches déjà prêtes à des scénaristes et des réalisateurs pour susciter chez eux une idée de film, reste des plus absurdes, mais les trois titres emblématiques de cette firme que nous avons pu découvrir ne nous ont pas foncièrement convaincu. A la réflexion, on ne sauvera que le très touchant Dolls de Stuart Gordon, film d’horreur gentillet où le papa de Re-Animator utilise des poupées vivantes autant pour faire trépasser des stéréotypes d’adultes consternants de vacuité que pour susciter chez le spectateur le désir de retrouver son âme d’enfant. De la part d’un cinéaste réputé pour son goût de l’extrême et du Grand-Guignol, le résultat s’avère surprenant, mais tout à fait digne d’intérêt… On n’en dira pas autant de Terrorvision de Ted Nicolaou, ersatz d’une production Troma fauchée et complètement débile qui, sous couvert de caricature sociale et de satire de la télévision, enfile malgré tout des situations de vaudeville que n’aurait pas renié Max Pécas, avec une créature vicieuse et tout un tas de liquides dégueulasses en plus. Quant au calamiteux Crawlspace de David Schmoeller, il ne s’agit que d’un énième film d’appartement où un psychopathe nazi joué par Klaus Kinski (qui n’a jamais besoin de se forcer pour avoir l’air cinglé) s’en prend aux jolies résidentes de son immeuble. Mise en scène sans dynamisme, narration répétitive, suspense affreusement mou du genou : rien à sauver de ce naufrage poli.

LAUGIER LE RESISTANT

Parmi les rencontres rendues possibles lors du festival, on en gardera un grand nombre, notamment celle avec Jean-Pierre Putters, fondateur de Mad Movies venu dédicacer son livre et présenter le très intéressant documentaire Super 8 Madness, centré sur un ancien festival de films tournés en Super 8 par de jeunes cinéastes amoureux du genre. Mais on l’avouera sans honte : rencontrer Pascal Laugier nous aura autant éblouis que découvrir les trois perles rares qui composaient cette année sa Carte Blanche nous aura subjugués. Au fil de présentations érudites qui n’en finissaient parfois jamais (le type se révèle être un sacré moulin à paroles quand il est lancé dans son raisonnement et sa passion cinéphile !) et de discussions toujours très constructives en sortie de projection (Laugier n’hésitant jamais à aller de lui-même cueillir les réactions des spectateurs face à ces trois films), et ce jusqu’à notre entretien d’une heure en sa compagnie, notre satisfaction n’en fut que plus immense. Mais comme il y aurait trop à dire, autant laisser la parole à l’intéressé pour expliquer en détail ses choix, exposer sa vision personnelle du « genre » et pousser même quelques coups de gueule sur l’évolution de son art préféré.

>>> Lire notre entretien avec Pascal Laugier
>>> Lire notre analyse du LOCATAIRE


Baxter (Jérôme Boivin)

LE CABINET DE CURIOSITES

Chaque année, le festival nous offre son lot de curiosités échappant aux thématiques mises en avant, mais qui méritent le coup d’œil de part leur aspect inclassable. En cela, on gardera en mémoire le très perturbant Baxter de Jérôme Boivin dont l’affiche, soulignant la présence d’un « chien qui pense », avait déjà de quoi susciter un certain malaise. A l’arrivée, ce film culte coécrit par Jacques Audiard déroute fortement à force d’adopter le point de vue entomologiste et décalé d’un chien sur les étranges manies des humains. Une stupéfiante radicalité imprègne chaque scène de cet étrange long-métrage, applaudi lors de sa projection et bénéficiant en l’occurrence de la présence de son réalisateur qui a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses en fin de séance. Il en fut de même pour Le château de la pureté d’Arturo Ripstein, séance à laquelle nous n’avons pas pu assister pour cause de chevauchement de projection, mais qui, après découverte externe au festival, nous a soufflé de par sa cruauté et son pitch central, où un homme isole sa famille du monde extérieur soi-disant afin de préserver leur pureté et leur innocence. On sait désormais où Yorgos Lanthimos est allé chercher le pitch de Canine ! Les deux autres films de ce Cabinet des Curiosités n’ont pas eu le même impact : d’une part, la redécouverte du très zarbi Buckaroo Banzaï de W.D. Richter qui n’a hélas pas survécu aux affres du temps (malgré quelques scènes amusantes et la présence d’acteurs brillants comme Jeff Goldblum qui s’éclatent comme des gosses), et d’autre part, Le corrupteur de Michael Winner, qui prétexte d’un pitch sulfureux (la perversion de l’innocence de deux enfants par un couple adepte de rapports sexuels brutaux) pour se fourvoyer dans le plus conservateur des propos. Deux pilules bleues que l’on a vite ingurgité pour se reprendre une pilule rouge juste après.

BONNET D’ANE POUR NOUVELLE VISION

Ce n’est jamais agréable de dire du mal de ce qui apparait comme le pire film de tout le festival, mais c’est un exercice critique auquel il est hélas inévitable de se confronter. En l’occurrence, la projection du film montpelliérain Paranormal Bad Trip 3D de Frédéric Grousset nous aura noyés dans une bassine d’ennui mortel. On craignait d’avoir mal à la tête (le film est un found footage) en plus de se choper une éventuelle conjonctivite (le film fut tourné en 3D), mais à la place, on a juste attendu pendant 72 minutes qu’il se passe quelque chose. Le problème central vient du fait que ce genre de projet, dont la sincérité des créateurs n’a strictement pas à être remise en cause, suscite l’indifférence du public à force de délimiter la bulle de délire à tous ceux qui sont dans l’écran et, ainsi, d’exclure tout ceux qui sont face à l’écran (hormis l’équipe du film, qui semblait être la seule à se marrer dans la salle). S’il s’agissait en plus d’injecter un humour de maternelle chez des personnages de beaufs décérébrés qui délirent comme s’ils comparaient la taille de leur quéquette, l’affaire était même pliée dès le départ. Même chose pour un scénario qui n’en a hélas que le nom, et qui mouline du vide pendant une heure avant de partir en sucette sans créer la moindre sensation. Quant à la 3D, aussi magnifique soit-elle, elle ne se résume hélas qu’à un gadget sans aucune force d’impact. Oublions…


Goal of the dead (Benjamin Rocher & Thierry Poiraud)

UN FINAL QUI RECLAME LES PROLONGATIONS

Foot, zombies et humour potache : la séance de clôture était notre plus grosse attente du festival. Pour autant, aussi fun et divertissant fut-il, le double programme Goal of the dead n’aura pas été le summum de délire tant espéré. Tout juste aura-t-on pu passer 2h20 de pur divertissement face à un film qui, sous couvert d’une énième épidémie zombiesque, prend un malin plaisir à taper sur le monde footballistique et à faire preuve d’une remarquable qualité d’écriture. Le tandem Rocher/Poiraud signe en définitive un film généreux, conçu de façon collective sans arrière-pensée pour le public, et riche en moments plutôt mémorables. Et en fin de compte, si le festival ne s’est donc pas achevé sur une apothéose, il s’achève sur deux mi-temps étirées (1h10 chacune) dont on regrette en fin de compte l’inexistence des prolongations. C’est comme la période entre les Coupes du Monde : il va falloir patienter avant de revenir sur le terrain. On patientera le temps qu’il faudra, histoire de revivre une fois de plus de nouvelles hallucinations collectives dans un an !

>>> Lire notre critique de GOAL OF THE DEAD

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[ENTRETIEN] Pascal Laugier

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