SexCrimes

REALISATION : John McNaughton
PRODUCTION : Columbia Pictures, Mandalay Pictures
AVEC : Kevin Bacon, Matt Dillon, Neve Campbell, Denise Richards, Theresa Russell, Daphne Rubin-Vega, Bill Murray, Robert Wagner
SCENARIO : Stephen Peters
PHOTOGRAPHIE : Jeffrey L. Kimball
MONTAGE : Elena Maganini
BANDE ORIGINALE : George S. Clinton
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Erotique, Policier, Thriller
DATE DE SORTIE : 24 juin 1998
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Sam Lombardo est enseignant sportif sur le campus de la petite communauté de Blue Bay en Floride. Les étudiantes ne sont pas insensibles à son charme. Un jour l’une d’entre elles, Kelly Van Ryan, l’accuse de l’avoir violée. Mais au cours du procès survient tout à coup un retournement de situation. La vérité n’est jamais celle que l’on imagine…

Quoi ? SexCrimes, un simple plaisir coupable ? C’est en tout cas ce que le cocktail proposé en 1998 par John McNaughton a visiblement laissé comme impression au sein d’une sphère cinéphile pourtant marquée au fer rouge par le racolage pimenté de certaines productions 90’s, en particulier celles qui visent la zone érogène du spectateur doté d’un chromosome Y. Ça en devient même tout à fait logique lorsque l’on découvre les ingrédients du cocktail et les effets secondaires qu’il serait censé provoquer. Après tout, tant qu’il y a du soleil, de la flotte un peu partout, des bombes sexuelles qui enlèvent le haut (voir plus) et des apollons au T-shirt mouillé par la sueur, ça suffit largement à faire frétiller le caleçon du gros geek trentenaire – sans doute toujours puceau – qui n’a jamais su calmer sa frustration face à un épisode lambda des Dessous de Palm Beach. En somme, que du cinoche racoleur sans aucune autre prétention ? A vrai dire, ça se discute, et ce pour une seule et unique raison : le type derrière la caméra. Quiconque ne connaît pas le nom de John McNaughton n’a sans doute jamais posé les yeux sur le terrible Henry : portrait d’un serial killer, fer de lance absolu du film de tueur en série dont l’extrême degré de cruauté graphique et l’hyperréalisme nauséeux de son contexte social continuent encore aujourd’hui de nouer l’estomac des cinéphiles avertis… Bon, d’accord, mais quel peut bien être le rapport entre la dérive sadique d’un monstre à visage humain et un néo-polar sophistiqué en bikini ? En fait, la logique derrière tout ça s’avère à peu près aussi tordue que l’intrigue du film en question.

Même si toute tentative de guetter un fil thématique dans la carrière de McNaughton se solde à chaque fois par un échec, on peut néanmoins déceler une petite constante pas négligeable : chercher un élément précurseur qui sera par la suite le catalyseur d’une mode récurrente. On aura donc eu le film de serial-killer avec Henry (inutile de faire la liste des dérivés qui ont pullulé derrière lui…), l’analyse des scènes de crimes policières avec l’inégal Mad Dog and Glory (un film auquel les séries policières post-2000 doivent sans doute beaucoup…) et le thriller à twists multiples avec SexCrimes. A chaque fois s’épanouissait le désir revendiqué de fuir la suggestion comme la peste. Et si l’on se replace dans le contexte de l’époque, à savoir celle où le carton de Scream fit tout à coup bouillir le caractère transgressif du teen-movie (avec héros ados, émois sexuels et crimes sur le campus), nul doute que McNaughton avait trouvé chaussure à son pied. Nanti d’un budget confortable et d’un planning apaisé, le réalisateur s’est donc lâché dans la crudité visuelle, utilisant sa caméra rentre-dans-le-lard pour souiller de l’intérieur une carte postale floridienne qu’il imaginait plus hypocrite qu’autre chose. Le générique de début en donne une illustration parfaite, en faisant surgir le titre au moment même où un crocodile apparait sournoisement à la surface d’un bayou. Et le temps d’une suite de travellings aériens où ce décor humide et touffu rejoint les banlieues riches et friquées du bord de mer (avec les buildings d’affaire en guise d’escale rapide), McNaughton a déjà balayé son nouveau terrain de jeu dans son intégralité.

Les quelques balades de l’enseignant Sam Lombardo (Matt Dillon) sur son overdrive au milieu du bayou dans la première demi-heure du récit sont à l’image de la narration entière du film, laquelle fait mine de serpenter sur un terrain beaucoup trop instable et dangereux, avec la crainte de tomber à l’eau et de se faire bouffer tout cru. Comprenons par là que le concept du film, à savoir une succession de twists imbriqués qui dessinent peu à peu une vérité machiavélique car toujours faussée, est à prendre avec des pincettes. En effet, si l’on balaie les années ayant suivi la sortie de SexCrimes, les scénarios qui auront abusé de ce concept pour aboutir à des intrigues sans queue ni tête auront défilé par wagons entiers (on pourrait évoquer les trois suites du film, sorties en DTV et minables à plus d’un titre). Mais voilà, McNaughton maîtrise le danger avec un sacré self-control, et son scénario, diaboliquement charpenté en plus de lorgner subtilement du côté des Diaboliques de Clouzot, ne tire jamais vers la parodie que l’on pourrait supposer. Sa mise en scène – ici remarquable en tous points – tire sans cesse parti de son décor idyllique pour s’en servir comme d’une vitrine superficielle où l’arbre cache la forêt. Comme dans toute mécanique à twists, le cadre est une fenêtre qui aiguille le regard et le hors champ est un outil qui dissimule la réalité des choses. Et de ce fait, la jouissance du spectateur à épouser le vertige d’une intrigue pareille – où chaque rebondissement implique une relecture globale du récit – découle en fin de compte d’un premier degré salvateur, qui met l’intérêt des tiroirs de l’intrigue légèrement en-deçà de celui de ce qu’il y a derrière la serrure – précisément la zone qui intéresse McNaughton.

C’est peu dire que l’on sent le réalisateur en jouissance perpétuelle à l’idée de désaper ce décor sournoisement exotique où les couchers de soleil se mêlent à une imagerie bien lisse des campus (entre des bovins décérébrés qui ne pensent qu’au cul et des pom-pom girls chez qui l’intellect s’agite moins que le minishort). A peu près chaque élément de l’intrigue devient sujet à caution, dessinant une quête effrénée de pouvoir où tout le monde (ab)use du sexe et/ou de son rang social pour manipuler et faire tomber l’autre. Avocats véreux, gratin décadent et administrations influentes achèvent d’entourer le quatuor central dans ce jeu d’échecs grandeur nature, ne laissant aucune place à l’imprévu. Sauf pour le spectateur lui-même, tellement embarqué dans ce grand-huit érotico-manipulateur qu’il en oublie de poser son regard là où il le faudrait. Les surprises du récit agissent donc comme des mécanismes de jouissance (osons dire des montées d’orgasmes répétées) qui trouveront leur point G dans un générique de fin très malin qui replacera les pièces manquantes au sein du puzzle, consolidant ainsi chaque ressort d’un piège infaillible. A noter qu’en plus de quelques plans supplémentaires qui feront plaisir aux amateurs de Denise Richards (suivez mon regard…), la version non censurée du film va jusqu’à éclairer un lien de parenté assez dingue entre les deux héroïnes, poussant la logique du récit vers un degré de perversité supplémentaire. On pourra trouver cette surprise un peu osée, voire peu crédible, mais on ne se surprend même pas à l’idée de vouloir y croire…

L’omniprésence des reptiles (crocodiles, serpents, lézards…) dans bon nombre de décors sert ici de miroir inavouable à des êtres humains qui en épousent sans cesse le comportement, quitte à aller même plus loin par leur obsession à jouer triple jeu. Qu’il s’agisse d’un enseignant Don Juan (Matt Dillon), d’un inspecteur borné (Kevin Bacon), d’une punkette vénère (Neve Campbell), d’une fille à papa sexuellement débridée (Denise Richards), d’une riche nymphomane (Theresa Russell) ou d’un avocat zarbi (Bill Murray), chacun cache bien son jeu, naviguant ici tel un crocodile carnassier dans des eaux troubles qui en cachent potentiellement une dizaine d’autres. Les voir se chauffer, se chasser et se griffer est un délice que le film invite à savourer avec un art consommé du « trou de serrure » (allez, avouez-le, vous n’avez jamais réussi à oublier cette scène ultra-bandante de triolisme, n’est-ce pas ?). De bout en bout de ce dérivé dégénéré d’une série noire émoustillante, John McNaughton s’en donne donc à cœur joie dans l’esthétique bandante et l’imprévisibilité narrative, visiblement heureux de laisser tout son cynisme désaper le bikini d’un cadre lumineux qui peine à dissimuler ses vices derrière sa beauté affolante. SexCrimes, un « plaisir coupable », vous dites ? Disons plutôt un plaisir tout court.

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