Vanishing Waves

REALISATION : Kristina Buozyte
PRODUCTION : Acajou Films, Hélios Films, Tremora
AVEC : Marius Jampolskis, Jurga Jutaite, Sharunas Bartas, Vytautas Kaniusonis, Brice Fournier, Frédéric Andrau
SCENARIO : Kristina Buozyte, Bruno Samper
PHOTOGRAPHIE : Feliksas Abrukauskas
MONTAGE : Suzanne Fenn
BANDE ORIGINALE : Peter Von Poehl
ORIGINE : Belgique, France, Lituanie
GENRE : Erotique, Romance, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 29 mai 2013
DUREE : 1h56
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lukas, un jeune scientifique, participe à une expérience inédite dans le domaine de la recherche neurologique : entrer en communication avec l’esprit d’une femme plongée dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Au début, il ne perçoit que des sons et des images confuses, avant de rencontrer la femme inconnue, qu’il nomme Aurora. Contrevenant aux règles du protocole de recherche, il cache sa découverte au reste de l’équipe scientifique. A chaque nouvelle connexion, Lukas plonge davantage dans l’univers fantasmatique d’Aurora, avec laquelle il développe une relation exclusive et fusionnelle, en marge du monde réel…

Envie d’une science-fiction un peu différente, pour ne pas dire atypique dans un paysage cinématographique plus ou moins formaté ? Pas de problème : la réalisatrice lituanienne Kristina Buozyte vous offre un ticket direct pour le subconscient, au sein d’une proposition de cinéma paradoxale qui ne manquera pas de créer une mini-scission entre les cinéphiles (qui flotteront en terrain connu) et les néophytes (qui marcheront en terre inconnue). L’analogie permettant de bâtir une base de lecture préliminaire, on pourrait aisément qualifier Vanishing Waves (quel magnifique titre !) de trait d’union subliminal entre Solaris d’Andreï Tarkovski et Je t’aime je t’aime d’Alain Resnais. Soit une expérience scientifique qui voit un homme catapulté dans les méandres de l’inconscient, en l’occurrence celui d’une jeune femme plongée dans le coma et dont il finit par tomber progressivement amoureux. Un tel concept ne laisse a priori que peu de doutes sur les enjeux qui vont l’ordonner : à l’instar des perspectives sensorielles établies par Tarsem Singh sur le mémorable The Cell, cette errance onirico-mentale fera vite évoluer une succession de formes abstraites vers une matérialisation concrète des rêves et des souvenirs qui travaillent un cerveau humain. Avec, comme subtilité n°1, un mode de communication qui bannit toute parole au profit d’un primitivisme sexuel, basé sur l’enlacement perpétuel et quasi chorégraphique des corps.

Cette idée de scénario débouche d’entrée sur trois pistes narratives qui vont s’entremêler petit à petit. D’une part, il est ici question d’un scientifique, Lukas (Marius Jampolskis) qui transgresse toutes les règles pour repousser les limites de son expérience, quitte à dissimuler ses « visions » à ses supérieurs. D’autre part, ce voyage au sein d’un univers mental globalement épuré acquiert le relief d’une relation adultère détournée, puisque le protagoniste, présenté au départ comme davantage obsédé par son travail que par sa compagne, trompe ici cette dernière jusqu’à finir par la délaisser pour de bon. Enfin, le caractère sexuel de l’expérience implique ici pour Lukas une redécouverte de son rapport sensitif au monde et plus généralement au désir. De cette manière, le corps devient moteur expressif d’une idée reliée à l’intime tandis que le décor lui-même intègre en son sein une lecture symbolique du monde. Le plus bel exemple reste ce décor quasi irréel de maison en bois, située au bord de la mer, et dont l’un des versants semble s’être déstructuré jusqu’à former un simple enchevêtrement de planches branlantes. De là à y voir un lien symbolique direct avec le cerveau abîmé de la jeune comateuse, ou même carrément l’illustration d’un désir fragilisé chez Lukas qu’il va s’agir de reconstruire et de consolider, il n’y a qu’un pas.

L’univers visuel du film, que l’on doit au talentueux directeur artistique Bruno Samper (également coscénariste), s’avère donc des plus riches en même temps qu’il revisite malgré lui un siècle entier de science-fiction au cinéma à force de bâtir tant de passerelles insidieuses. Tentons un pêle-mêle : une salle expérimentale recouverte d’alvéoles blancs qui évoque la froideur sophistiquée des intérieurs de THX 1138, un sas noir très similaire au monolithe de 2001, l’odyssée de l’espace, un cobaye recouvert d’électrodes comme dans Au-delà du réel de Ken Russell, des décors naturels et extrêmement épurés où évoluent deux âmes mélancoliques comme chez Andreï Tarkovski (période Solaris) ou Philippe Garrel (La cicatrice intérieure), une surréaliste scène de repas proche de La Grande Bouffe qui dégénère vite vers la bataille de nourriture gluante et l’automutilation, une orgie sexuelle où les corps féminins se malaxent et se chevauchent jusqu’à se fondre les uns dans les autres (on songe tout de suite au final hardcore du Society de Brian Yuzna), sans parler d’une longue fuite finale dans une nuit perpétuelle renvoyant aux travaux plastiques de David Lynch et de Philippe Grandrieux.

Ce qui peut surprendre malgré tout, c’est de voir Kristina Buozyte zébrer un ensemble déjà très contemplatif en soi par des vrilles bizarres à la limite du hors-sujet. Sauf que la logique des rêves, par définition, a pour seule convention d’ordonner une série d’ambiances protéiformes sans être forcément capable de les justifier. Et de la même façon que Lukas éprouve sans cesse l’envie de se reconnecter pour retrouver Aurora et poursuivre le voyage, le film réussit à créer une addiction qui découle de notre curiosité – de plus en plus forte – d’investir de nouveaux horizons, aussi imprévisibles soient-ils. C’est en effet assez compliqué si l’on y cherche une logique cartésienne, mais c’est très simple si l’on choisit d’épouser la logique intérieure du héros, ici attiré par un ailleurs qu’il ne peut clairement définir et dans lequel il se perd (in)consciemment. A la réflexion, la seule erreur de la réalisatrice aura été d’exploiter à une ou deux reprises des ressorts narratifs plus éculés tu meurs, à l’image de cette séquence superflue où Lukas, déboussolé par le départ brutal de sa compagne, erre dans les ruelles en compagnie d’une prostituée. Rien de gênant en soi, mais le film n’avait clairement pas besoin de ça.

De cette réalisation extrêmement subtile et audacieuse qui charpente un monde parallèle blindé de pulsions sexuelles et d’angoisses diffuses, Kristina Buozyte tire un travail formel pour le moins inédit sur la sensualité des corps et des matières, le tout au travers d’un visuel qui exprime à lui seul les émotions adéquates. On est donc bien loin d’une esthétique de publicité pour parfum Fahrenheit qui se suffirait à elle seule par pure vanité arty, puisque le film ne cesse jamais de s’incarner davantage à chaque nouvelle phase de connexion. Les fondations de ce superbe film, à la fois très exigeant et très accessible, sont celles d’un vertige romantique, aux confins de l’érotisme et de l’onirisme, où l’amour aveugle les cinq sens autant qu’il fait l’effet d’une drogue qui les décuple tous. Et quand un film produit exactement le même effet, autant par la beauté folle de ses images que par le caractère immersif de son montage, autant dire que le coup de foudre n’est pas loin…

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