The Cell

Pour le cinéphile, il y a une distinction instinctive entre les ambitions artistiques et les impératifs commerciaux. Le premier est le moteur du réalisateur et de sa création. Celui-ci va, par sa vision, conduire l’équipe pour concevoir une œuvre permettant de créer l’émotion. À ses côtés se trouve son producteur qui l’épaule dans sa démarche en réunissant les moyens dont il aura besoin. Les choses se corsent dès qu’il s’agit de définir la nature de ces moyens. Plus les moyens sont conséquents, plus ceux qui les octroient désirent avoir une assurance d’un retour sur investissement. Dans une logique de rentabilité, une telle garantie apparaît des plus naturelles. Or, quoi de plus instable et fluctuant que les émotions humaines qui sont à la base du travail artistique ? Pour de multiples raisons, le spectateur pourrait se méprendre sur l’objet ou pire, passer complètement à côté et ne strictement rien y comprendre. Ainsi Tarantino rappelait que sa fin originelle de True Romance aurait forcément abattu et limite mis en colère le spectateur mais que ce n’était pas une mauvaise chose car cela est cohérent par rapport à ce qu’il a voulu dire. En l’état, pour contrer tous ses problèmes éventuels à venir, il faut réussir à donner une portée commerciale au projet. Autrement dit, il faut attirer le public en le caressant dans le sens du poil. Offrons lui donc ce qu’il a aimé et chéri afin de pouvoir assurer qu’il payera son ticket sans rechigner. Il s’agit alors de trouver l’équilibre parfait pour à la fois respecter la vision du réalisateur mais en même temps s’assurer de toucher le plus grand monde. Deux conceptions qui à l’écran ne font plus qu’une. Il existe toutefois quelques cas où ce caractère contradictoire s’affiche comme le nez au milieu de la figure. The Cell en est un des représentants les plus évidents.

Tout est parti d’un scénario signé par Mark Protosevich. Alors que son adaptation du roman de Richard Matheson Je Suis Une Légende peine à se concrétiser (il verra le jour une décennie plus tard après moult réécritures par Akiva Goldsman), Protosevich écrit rapidement l’histoire de The Cell. Techniquement, il signe là juste l’un des innombrables avatars d’un des films phares des années 90 : Le Silence Des Agneaux de Jonathan Demme. Pour rappel, l’histoire adaptée d’un roman de Thomas Harris tourne autour d’une négociation psychologiquement tendue entre une jeune agente du FBI et un serial-killer qui serait en possession d’informations permettant d’en arrêter un autre. Protosevich reprend la même trame que tant ont déjà copié avant lui. Il offre toutefois une originalité qui fait toute la différence. La plupart des films de serial-killer de ce cru base généralement les échanges entre le représentant de l’ordre et le psychopathe par une série de dialogues en essayant vainement de reprendre les insurpassables champs/contre-champs de Demme. Protosevich écarte ce principe rébarbatif de la confrontation en incluant à son récit une technologie capable de pénétrer dans l’esprit même du psychopathe. L’intrigue a beau sentir le déjà-vu (trouver la faille chez son adversaire pour obtenir l’information qui permettra de sauver un innocent), les possibilités offertes par le concept ouvrent des pistes émotionnelles bien plus fortes.

C’est ce qui attirera le réalisateur Tarsem Singh. Ancien réalisateur de publicités et de clips, Singh y voit avant tout une manière d’exprimer son sens esthétique sur un format long. Au delà du concept, l’histoire ultra-convenue ne l’intéresse pas donc. Il ne souhaite pas contribuer à l’exploitation d’un genre qui a déjà un pied dans la tombe. Dans son commentaire audio, il affirmera avec amusement avoir voulu au contraire y mettre un terme. En cela, il affiche un mépris complet pour l’histoire se situant dans le monde réel. La traque du serial-killer et la quête de l’otage, il ne s’en préoccupe que comme une obligation factuelle. Le personnage du super-policier, figure de proue de l’intrigue, ne sera d’ailleurs que vaguement dessiné en une monumentale caricature. Interprété par un Vince Vaughn peu à l’aise, le personnage apparaîtra d’ailleurs comme un tel connard obtus dans le premier montage que de nouvelles scènes (notamment une expliquant son passé et son désir de devenir policier) devront être rajoutées pour l’adoucir. De la même manière, Singh ne porte guère de considération envers la victime séquestrée. Ce choix est d’autant plus motivé par une raison puérile. L’actrice lui a déclaré savoir parfaitement nagé (son personnage est enfermé dans une pièce se remplissant d’eau) et il s’avère que ce n’était pas le cas. Singh, très mécontent, coupera avec elle tout contact sur le tournage et se contentera la majorité du temps de la filmer en grand angle. Une attitude infantile mais qui ne fait que justifier son dédain pour le genre. En se montrant si distancié vis-à-vis de la victime et en ne se montrant guère motivé à créer une empathie pour elle, Singh ne met aucunement l’accent sur ce qui constitue pourtant le but de l’intrigue (libérer l’otage avant qu’il ne soit trop tard). En ce sens, il laisse au fond du trou le produit d’exploitation calibré qu’avait dû flairer le studio.

Le vrai film, celui qui le passionne, tourne autour du psychopathe schizophrène servant de bad guy. En soit, cette partie reste là encore très proche du genre. Il s’agit de jouer sur la fascination/répulsion éprouvée face à une figure du mal, un être commettant l’infâme et dont on se demande si il a encore quelque chose d’humain au fond de lui. Dans le premier acte, le policier sort une phrase bateau du type « notre homme veut se faire arrêter ». Une réplique sonnant comme un passage obligé qui doit prendre tout son sens au cours des échanges avec le tueur. Comme dit plus haut, le fait de pouvoir illustrer visuellement cette confrontation mentale donne toute sa complexité au film. En pénétrant dans l’esprit du tueur, on plonge de pieds dans un esprit malade prenant la forme d’un monde inquiétant gouverné par une incarnation aussi diabolique que granguignolesque du personnage. Au sein de cet univers, un petit garçon, symbole d’un reste d’innocence, s’égare. Pour l’héroïne incarnée par Jennifer Lopez (aussi crédible en psychologue que Denise Richards en physicienne nucléaire), c’est la recherche et le contact avec cette part de l’individu qui assurera la réussite de sa mission. Une mission offrant toute l’opportunité à Singh d’une exploration esthétisante de la folie.

Et ses choix esthétiques sont pour le moins perturbants. Singh se pose comme un artiste du kitsch en jouant à fond la carte du grotesque et du mauvais goût. Rassurant par sa propension enfantine dans son second long The Fall, cet art du kitsch se montre ici fort inquiétant. De par la folie de ses idées visuelles, le film communique pleinement le concept de principe de fascination/répulsion envers le mal. Il s’agit d’être à la fois captivé par tout ce que le film propose d’inédit (on peut dire sans risque qu’on a jamais des costumes comme ceux conçus par Eiko Ishioka) et même temps embarrassé par son ridicule revendiqué (c’est peut-être le bon sens qui a fait qu’on a jamais vu de telles costumes). Singh se sera d’ailleurs pris à son propre jeu en se montrant presque gêné devant certaines images. En résulte un aspect autre finalement adéquat au sujet et fort inspiré. Singh puise dans les œuvres des peintres Odd Nerdrum, Damien Hirst et H.R Giger et mélange les styles et environnements (les jardins de Paris, le panthéon de Rome, le désert de Namibie, Bollywood). De même, il use de toutes les astuces pour traduire la mécanique nonsensique et abstraite de l’esprit humain. Le film utilise autant les effets de plateau (le décor en perspective forcée des trois mères), les effets numériques (la transition psychédélique) et bien sûr la combinaison des deux (le rétrécissement de l’héroïne). Quitte à perturber encore plus, Singh prend plaisir à perturber régulièrement tout repère géographique en inversant les axes. Bref, il emploie plein de techniques, parfois issues de son passé publicitaire (accélérés, saccades, montage cut, morphing…), pour créer un investissement émotionnel dans le monde du psychopathe auquel Vincent d’Onofrio donne corps.

Depuis Full Metal Jacket, D’Onofrio a prouvé sa capacité à transmettre les dérangements psychologiques éreintant de ses personnages. La réalisation de Tarsem Singh s’avère en conséquence le parfait prolongement de son interprétation jouant sur une hystérie jubilatoire lorsqu’il incarne le démon et sur un désordre enfermé dans les phases réelles. Inutile de dire qu’il se pose sans mal comme le meilleur acteur du film en s’intégrant à merveille aux délires de Singh. Malheureusement, si il assure avec brio la part maléfique du personnage lors de la scène des rêves, le film loupe le coche dès qu’il s’agit d’entretenir le lien entre l’enfant et l’héroïne. Une conclusion qui résulte d’une invitation des impératifs commerciaux dans ce monde sans limite. Par un simple changement, tout l’arc dramaturgique autour de ces deux personnages s’avère détruit. Alors que l’héroïne est tombée sous l’emprise du tueur, le policier rentre dans l’univers mental et la sort des limbes en lui évoquant un fait tragique apte à lui faire retrouver ses esprits. Cet événement devait être originellement son avortement. Ce trauma est des plus puissants envers cette psychologue pour enfants et rend carrément poignant le final. Devant se rendre à l’évidence que le démon et l’enfant ne font qu’un, l’héroïne accepte de noyer l’enfant dans un geste de libération, que ce soit pour l’un ou pour l’autre. Plutôt dérangé par cet aspect, la production demandera à ce que le trauma soit modifié. Désormais, celui-ci correspond à la mort de son frère. Un trauma sans lien avec le reste et qui n’apporte absolument rien au final si ce n’est d’amoindrir sa portée sentimentale.

Etalant les délires artistiques les plus expansifs et s’attelant à respecter les nécessités commerciales les plus basiques, The Cell se montre aussi schizophrène que son tueur. Œuvre bicéphale par excellence, il fascine à défaut d’enthousiasmer. Au moins, Tarsem Singh évite consciencieusement le piège de l’indifférence.


Réalisation : Tarsem Singh
Scénario : Mark Protosevich
Production : New Line Cinema
Bande originale : Howard Shore
Photographie : Paul Laufer
Origine : USA
Titre original : The Cell
Année de production : 2000

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