Nos Souvenirs

REALISATION : Gus Van Sant
PRODUCTION : Zucker-Netter Productions, Waypoint Entertainment, BLOOM, SND
AVEC : Matthew McConaughey, Ken Watanabe, Naomi Watts, Katie Aselton, Jordan Gavaris, James Saito
SCENARIO : Chris Sparling
PHOTOGRAPHIE : Kasper Tuxen Andersen
MONTAGE : Pietro Scalia
BANDE ORIGINALE : Mason Bates
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Drame
DATE DE SORTIE : 27 avril 2016
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Alors qu’il semble décidé à mettre fin à ses jours dans la forêt d’Aokigahara, au pied du Mont Fuji, Arthur Brennan se remémore les moments les plus marquants de sa vie de couple : sa rencontre avec sa femme Joan, leur amour, mais aussi l’usure de leur couple et leur éloignement progressif. Paradoxalement, une épreuve dramatique va leur ouvrir les yeux, renforcer leurs sentiments et les réunir à nouveau. Alors qu’il revit ses souvenirs de couple, Arthur réalise comme cette passion a marqué sa vie…

La stupeur n’est pas encore retombée. Pour tout dire, elle reste même difficile à digérer. On a beau chercher une esquive, un autre niveau de lecture, voire même une désactivation temporaire de notre suspension d’incrédulité, la réaction reste la même : qu’est-ce qui a bien pu se passer pour aboutir à un tel ratage ? Plus ou moins placée au cœur de ce rejet critique d’anthologie qui anima le festival de Cannes en 2015, la piste d’un réalisateur en soudaine déconfiture peut d’ores et déjà être balayée d’un coup sec, tant il convient de rappeler qu’il y a toujours eu non pas un, ni même deux, mais trois Gus Van Sant. Un tiers cinéaste indépendant acquis à des récits personnels et sensibles (Mala Noche, My own private Idaho), un tiers expérimentateur capable de transcender le médium filmique avec brio (Gerry, Elephant, Last days), un tiers faiseur de commandes hollywoodiennes plus ou moins acclamées (Will Hunting, A la rencontre de Forrester). Ici, on a droit à la totale : un (très mauvais) mix des trois. Et pour enfoncer le clou, le distributeur SND a frappé très fort en tentant la quinte flush de l’esquive carabinée : 1) choisir un titre français aussi bêbête que cohérent avec le mysticisme neuneu à la Marc Lévy qui imprègne le film, 2) enlever le label « Festival de Cannes » sur l’affiche pour être sûr que personne ne fera le lien, 3) composer vite fait mal fait une affiche dont la typographie rappelle les génériques de Woody Allen, 4) mettre en évidence la seule critique positive en haut de l’affiche, 5) sortir le film juste avant la nouvelle livraison cannoise, soit une période où tout passe inaperçu, même les pires navets. Et voilà le travail…

On se rend bien compte avec le recul que les promesses de cette « forêt des songes » (quel beau titre, pourquoi ne pas l’avoir gardé ?) auraient dû susciter moins l’espérance que la méfiance. Jugez plutôt : dévasté par l’échec de son couple et le décès de sa femme (Naomi Watts), un scientifique veuf (Matthew McConaughey) se rend dans la forêt japonaise d’Aokigahara, près du Mont Fuji, pour mettre fin à ses jours. Alors, bien sûr, une question se pose : pourquoi un Américain se casserait le cul à aller jusqu’au Japon pour passer de vie à trépas ? A vrai dire, il y aura une explication à cela qui interviendra par flashback interposé, mais elle est si ridicule qu’on préfèrera la taire. De plus, comme la forêt d’Aokigahara est connue pour être l’un des sites les plus chargés en suicides sur la planète (soit par pendaison, soit par overdose médicamenteuse), qui plus est chargée d’un grand nombre de croyances animistes (la forêt serait soi-disant hantée par des tamashii, à savoir des esprits errants), ça fait donc un décor parfait pour surcharger la valise à symboles mystiques et orienter un récit entier sur la voie de l’errance introspective. Le gros problème, c’est que rien ne fonctionne ici, la faute à un scénario aux ressorts mal ajustés et à une mise en scène au pouvoir d’immersion quasi inexistant.

Au début, on a quand même envie d’y croire. Le temps de quelques plans inauguraux où cette vaste forêt s’assimile à un organisme vivant, avec la valse des branches sous l’effet du vent qui tente d’appréhender quelque chose d’invisible, une délicate substance panthéiste semble sur le point de s’activer. On reste également assez intrigué de suivre un Matthew McConaughey visiblement paumé et mutique, qui déambule entre les arbres sans trop savoir où il va, se confrontant ici et là à des panneaux d’alertes (du genre « La vie qui vous a été donnée est précieuse » ou « Essayez encore de réfléchir à ce que vous allez faire ») ou à une poignée de cadavres en décomposition (un pendu par-ci, un squelette de campeur par-là). La jolie bande-son et la belle lumière de Pietro Scalia réussissent même à nous chatouiller les sens. Dix minutes mystérieuses, formellement assez intrigantes, dépourvues de paroles et riche de plusieurs hypothèses de récit : on est preneur. Ce n’est pourtant qu’un leurre, amorçant tout doucement la catastrophe à laquelle Nos souvenirs va très vite se résumer.

Il suffit alors que le film se contente de révéler son double principe de narration (une marche dans la forêt au présent, entrecoupée de flashbacks sur une crise conjugale antérieure) et que le protagoniste se retrouve très vite encombré d’un businessman tokyoïte (Ken Watanabe, mi-zombie zinzin, mi-pleurnicheur neuneu) pour que le scénario révèle sa ligne médiane : en gros, il faut trouver la sortie de la forêt (donc, par extension, de « sa » propre forêt : merci, on a compris…). Nous revoilà soudain dans un ersatz vaseux de Gerry tendance déambulation forestière, à la seule différence que le spectateur n’est ici jamais invité à définir lui-même le mode d’emploi de ce qu’il voit. Rien que dans son idée de charpenter une errance en forêt, Gus Van Sant ne réussit jamais à structurer convenablement l’espace et à faire de ce décor un personnage à part entière. Ici, la forêt se résume à trois choses : on y contemple des insectes comme dans Microcosmos, on ne voit que dalle quand il fait nuit, et on manque de se noyer dans des torrents quand il pleut – bonjour le symbole !

Que les personnages se perdent dans la forêt n’est finalement qu’un vaste reflet de la galère dans laquelle toute l’équipe du film s’est embarquée, à commencer par les acteurs. On pourra certes s’horrifier de voir Matthew McConaughey redevenir l’acteur fadasse qu’il fut à ses débuts ou de retrouver une fois de plus la belle Naomi Watts dans un rôle assez transparent, mais sont-ils vraiment à blâmer ? A bien y regarder, les acteurs ne jouent pas foncièrement mal, mais c’est surtout qu’ils n’ont rien à jouer. Presque des fantômes en soi, éteints par la force des choses, qui errent dans un espace livide, qui cabotinent souvent en roue libre (on a envie de quitter la salle lorsque McConaughey semble tout à coup imiter un Indien qui aurait inventé le feu !) et à qui seul le fait de pleurer semble garantir un semblant d’authenticité. Les dialogues, ici d’une bêtise assez abyssale, les accompagnent au purgatoire, entre des scènes de ménage à deux balles (« T’as pas vu mon rouge à lèvres ? – Non – Mais si, il est là, en face de toi ! Tu as la tête ailleurs ! »), des répliques qui ne veulent rien dire (« Je ne veux pas mourir – Alors que faites-vous ici ? – Je ne voulais pas vivre »), des clins d’œil bidons au traditionnel choc des cultures (« On va suivre la rivière pour trouver la sortie – Est-ce une technique de survie japonaise ? – Non, j’ai vu ca dans Man vs Wild ! »), une leçon de morale ici justifiée par le métier du protagoniste (« Souvenez-vous qu’il reste une force même si la vitesse est nulle ! »), sans oublier tout un tas de considérations lelouchiennes sur le hiatus Dieu/science, les films avec Gene Kelly, le conte Hansel et Gretel, les fanfreluches, le base-ball, les forces électrostatiques, etc…

Rien d’enthousiasmant pour une structure de mélodrame sirupeux et bavard à l’extrême, n’ayant pour seule route dramaturgique que le coup classique du couple qui se dispute face à la vie et qui se ressoude face à la mort. On peine à croire que Gus Van Sant ait accepté une telle flemmardise dans l’écriture, surtout quand celle-ci, déjà handicapée par un pathos des plus prévisibles (phrase-bilan : « Je suis venu ici à cause de la culpabilité, et non à cause de la peine »), s’égare dans un mysticisme de pacotille, osant même en fin de bobine l’hypothèse d’un délire mental où tous les symboles déclinés dans le film se connecteraient soudain par un amas de coïncidences hautement crétines. A ce stade-là, le film est déjà mort. Pourtant réputé pour travailler en amont la composition de ses plans, Gus Van Sant fait alors tous les mauvais choix possibles en matière de mise en scène. La bande-son irrite (tantôt en décalage total par rapport à l’action, tantôt envahissante pour cacher le néant du récit), les flashbacks s’intègrent à la va-comme-je-te-pousse dans la narration en plus de n’être même pas activés par les souvenirs du héros (ce qui rend le titre français encore plus aberrant !), le fondu enchaîné entre la Lune et le sas d’ouverture d’un scanner laisse circonspect (oui, les deux sont ronds… et donc ?), et on se pince de constater que le cinéaste palmé d’Elephant ait pu pondre des plans aussi hideux pour accompagner les disputes conjugales entre Matthew McConaughey et Naomi Watts. En s’aventurant dans cette « forêt des songes », Gus Van Sant a visiblement trouvé une corde sur son chemin. Il n’aurait jamais dû l’utiliser…

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