Machete Kills

REALISATION : Robert Rodriguez
PRODUCTION : AR Films, Aldamisa Entertainment, Troublemaker Studios, Wild Bunch
AVEC : Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Charlie Sheen, Mel Gibson, Demian Bichir, Amber Heard, Sofia Vergara, Antonio Banderas, Lady Gaga, Cuba Gooding Jr, Walton Goggins, Marko Zaror, William Sadler, Tom Savini, Alexa Vega, Jessica Alba
SCENARIO : Kyle Ward
PHOTOGRAPHIE : Robert Rodriguez
MONTAGE : Robert Rodriguez, Rebecca Rodriguez
BANDE ORIGINALE : Carl Thiel, Robert Rodriguez
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Aventure, Comédie, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 2 octobre 2013
DUREE : 1h47
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Accusé de l’assassinat de l’agent Sartana, Machete est recruté par le Président des États-Unis pour éliminer un marchand d’armes mexicain voulant envoyer une arme destructrice sur Washington. Le tueur mexicain découvre alors un complot menaçant la Terre entière…

Histoire de clôturer Machete sur une apothéose doublée d’une mise en bouche, Robert Rodriguez s’était ingénié à balancer juste avant le générique de fin un vigoureux « Machete will return in Machete Kills and Machete Kills Again ! ». Des titres aussi bêtes et faciles, rien de tel pour qu’on fasse la grimace. Au lieu de ça, on se chope un sourire king size sur la tronche. Quiconque a déjà vu (et, on l’espère, revu en boucle) le grandiose Tonnerre sous les Tropiques de Ben Stiller se souvient sans doute du premier trailer qui précédait son ouverture : le sixième épisode d’une franchise bourrine où Stiller, grimé en super-héros ridicule nommé le « Rôtisseur » qui avait déjà sauvé le monde cinq fois, allait devoir le sauver « encore une fois, sauf que cette fois, c’est pas pareil ! ». Rien de plus efficace pour torpiller la récurrence et l’opportunisme de franchises bêtes et sans idées, conçues avant tout pour « battre le fer tant qu’il est encore chaud » au détriment de toute dimension artistique. Un jeu que Machete Kills assume avec force parodique, donnant ainsi chair à cet effet de trilogie autour de son tronc d’arbre moustachu. Et pourtant, c’est peu dire que Rodriguez lui-même n’y pensait pas au départ. D’abord parce que le succès de Machete fut avant tout postérieur à sa sortie en salles (le film a surtout été un méga-carton en DVD), ensuite parce que le bougre était déjà lancé sur la mise en chantier d’une autre suite bien plus ambitieuse (celle de Sin City), enfin parce que l’écriture de Machete Kills fut confiée au scénariste Kyle Ward afin de proposer le projet à quelqu’un d’autre – Rodriguez devait se contenter du rôle de producteur. Mais avec 29 jours de dispo (son tournage le plus speed !) et une idée de scénario plus fracassée de la cabeza tu meurs, difficile de réprimer l’envie de cracher soi-même la purée… de haricots rouges.

On évoquait déjà à propos de Machete le lien assez diffus entre la démarche créative de Rodriguez et celle qui animait les deux dirigeants cinglés de la firme Cannon. Machete Kills ne fait pas que confirmer cette lecture, il en donne surtout la démonstration la plus dégénérée qui soit. Il n’est plus question pour Rodriguez de jouer au poil-à-gratter burlesque vis-à-vis de la série B (voire Z), mais de mettre enfin à poil toute l’âme du cinoche bis. Sur le rapport avec la Cannon, il suffit tout bêtement de se souvenir de cette époque bénie où les bobines bisseuses les moins reluisantes du moment, à savoir celles où végétaient Chuck Norris et Charles Bronson (deux moustachus bien burinés à la justice expéditive dont Machete pourrait être une sorte de fils spirituel !), pullulaient à gogo dans les rayons des vidéoclubs avec une régularité qui ne trompait personne. Soit un amas de nanars bêtes et absurdes où l’idéologie la plus réac se mêlait à un goût immodéré pour le racolage putassier et nonsensique – jetez un coup d’œil à Invasion USA ou au Justicier de New York pour comprendre de quoi on parle. Un genre fou furieux, à savourer impérativement au dixième degré et avec des testicules bien moites, dont Machete Kills constitue une sorte de rêve humide à destination de ses fans les plus nostalgiques.

Sur le rapport avec le cinéma bis en règle générale, là, Rodriguez vise un autre stade d’hypertrophie. Ne pas reproduire le genre abordé en poussant tous les curseurs à mille, mais plutôt l’emmener là où il ne devrait logiquement pas aller. Viser sans honte ni tabou le dévissage littéral de ses codes les plus ancrés et de la suspension d’incrédulité de son audience, le tout avec l’énergie d’un chingón sous cocaïne. Et surtout, ne pas craindre de friser le foutage de gueule pur et simple à force de franchir à ce point-là les limites du tolérable en matière de récit et de mise en scène. Soyons alertes : ceux qui souffraient jusqu’ici de voir Rodriguez maltraiter les notions de cadre et de découpage auront désormais la sensation d’un marquage répété des fesses au fer rouge. Non seulement le cinéaste laisse tomber la satire politico-portnawak au profit d’un script invraisemblable à la James Bond (du genre que la famille Broccoli n’aurait jamais osé imaginer, même sous substance), mais l’idiotie XXL de son programme est relayée par un taux de médiocrité artistique pour le coup à peine croyable. Dialogues pourris, faux raccords en pagaille, surcharge absurde de caméos, laideur visuelle poussée vers la ligne rouge, transparences hideuses, trucages numériques dignes d’un sous-Sharknado (le crash du hors-bord avec l’hélice meurtrière… burp !), et croyez bien que la liste n’est pas finie… Là, très clairement, tout porte à croire que Rodriguez n’a rien branlé et qu’il donne presque le bâton pour se faire battre. Sauf que…

Sauf que, oui, notre suspension d’incrédulité a beau avoir ici le mercure au bord de l’explosion, on redevient tranquilo lorsqu’on se rend compte que Rodriguez vise la parodie sidérale. Non pas celle qui duplique un genre codifié pour en faire l’idiot du village, mais celle qui contourne le recyclage industriel au profit d’un cinéma d’exploitation franc, utopiste et inconscient, voué à atomiser toujours plus sa logique interne – au risque de paraître laid et grotesque – par l’ajout d’ingrédients tout aussi bariolés qu’improbables. Pour être plus clair, il suffit d’imaginer un genre qui ferait bouillir ses codes le temps d’un premier film, et qui, pour éviter la facilité de la répétition dans le second, opterait alors pour un ajout impulsif d’enjeux too much dans la centrifugeuse. D’où le fait de passer ici d’un terrain vague mexicain à un terrain de jeu bien plus vaste où la chaleur exotique d’Acapulco côtoie la froideur cryptique des multinationales planétaires. Jusqu’à une idée frappadingue que Rodriguez prend soin de placer en préannonce de son propre film, histoire de nous préparer au « pire » afin d’en faire le « meilleur » : ni plus ni moins que la bande-annonce du futur Machete Kills Again… in Space !, lequel ne manquera sans doute pas de pousser cette logique de space opera déglingué vers… autre chose. Cela pourrait ressembler à une boutade à peu près aussi indigeste que le jeu vidéo débile de Spy Kids 3, mais cette fuite en avant vers un gros bordel science-fictionnel est ce qui permet paradoxalement au film de bien nous dilater le diaphragme, pour peu qu’on accepte de laisser son cortex au vestiaire et de fuir la logique comme la peste. La mauvaise blague n’en était donc pas une. Ou alors, elle l’était, mais à effet secondaire bien plus retors que prévu.

À une époque où la machine hollywoodienne semble s’être grippée pour de bon à force de viser une excroissance vaine et peu stimulante de ses vieilles recettes (un genre de ballon voué à gonfler non-stop jusqu’à exploser), ce jeu kamikaze a un avantage non négligeable : faire l’éloge d’un cinéma bis qui se veut dynamique et vivifiant dans son côté « fourre-tout ». Soit tout le contraire de ces grosses franchises marvellisées ou starwarsisées qui, histoire de se donner en vain une légitimité artistique, se contentent de servir la même formule gagnante à des pseudo-geeks qui ont bel et bien troqué leur quête de marginalité pour la consommation compulsive de produits préfabriqués. En ce sens, Machete Kills a tout d’un projet expérimental qui contournerait le désir des niches en le détournant : naïf dans sa fabrication, nostalgique dans son feeling, cartoonesque dans ses dérives. Avec un « plus » enthousiasmant qui fait en sorte de pervertir toute hypothèse de logique narrative : ici, n’importe quelle rencontre entre deux personnages s’achève toujours par un mort, l’identité de tout un chacun est un leurre qui lézarde toute perception (le bad guy se coltine une personnalité multiple, le tueur à gages a une dizaine de visages, etc…), les trous narratifs et les flashbacks ratés perdent leur fausseté au profit d’un effet de dilatation des enjeux, les faux-raccords de Rodriguez deviennent une marque de fabrique dont l’abus suscite une touchante familiarité, sans parler de scènes qui s’achèvent au beau milieu d’un dialogue ou de sous-intrigues qui s’enfuient aussi vite qu’elles sont apparues – que deviennent au final ces putes flingueuses menées par une Sofia Vergara qui crache des balles par ses nichons et son gode-ceinture ?

De cet emballage conçu à la manière d’un Lego Technic se dégage une fraîcheur pop on ne peut plus communicative, qui salit le ripolinage numérique par un déluge de (très bon) mauvais goût, et qui s’autorise même un ahurissant virage final référentiel en forme de dérivé d’Austin Powers 2, grâce à un délirant Mel Gibson en fabricant d’armes mégalo qui singe avec gourmandise le Michael Lonsdale de Moonraker. Pour un tour de manège, on peut carrément dire que Rodriguez ne s’est pas fichu de nous, tant cette séquelle fait joyeusement dérailler tout ce que le premier Machete avait imposé. Bon, cela dit, suite oblige, il y a quand même des restes, en particulier cet héritage du travestissement de la réalité par un genre aussi communautaire que la Blaxploitation. Fidèle à sa sensibilité tex-mex, Rodriguez prolonge son idée d’une revanche minoritaire contre une classe WASP pourrie de l’intérieur, et force davantage le trait par des idées extrêmement malines. D’abord un président américain à peu près aussi beauf que Bush et Trump réunis, joué par un Charlie Sheen à qui la parodie réussit généralement très bien (revoyez les deux Hot Shots !) et qui choisit enfin d’apparaître au générique sous son vrai nom de latino (Carlos Estevez !). Ensuite une bagarre sexy et agitée entre deux ersatz de James Bond Girls, à savoir une Michelle Rodriguez en amazone borgne mexicaine et une Amber Heard en reine de beauté texane – la brune contre la blonde, devinez qui est la vilaine. Enfin – on finirait presque par l’oublier ! – un flamboyant Danny Trejo qui joue l’agent secret comme il jouait auparavant le vengeur d’une minorité opprimée, c’est-à-dire en ne jouant pas, en n’incarnant rien, en parlant de lui à la troisième personne et en épuisant le manuel des 1001 façons de charcuter son prochain (c’est fou tout ce qu’on peut faire avec le rotor d’un hélicoptère !).

A part ça ? Que de la gaudriole nanardesque dont Rodriguez – de nouveau seul à la réalisation – a ouvert tous les robinets sans réfléchir. En vrac : Machete résiste à la pendaison (meilleur gag du film en ce qui concerne le jeu de Danny Trejo), sa machette est devenu un couteau suisse géant ou un sabre laser, une maison close rappelle le Titty Twister d’Une nuit en enfer (avec des putes armées à la place des danseuses vampires !), un tueur à gages se la joue Mission Impossible avec plusieurs visages (dont ceux de Lady Gaga et d’Antonio Banderas !), le terroriste à buter est un schizophrène complètement pété qui a vécu le même traumatisme familial que Machete, un ersatz chilien de Tony Jaa (nommé Marko Zaror) existe en plusieurs exemplaires, une scène de baise ultra-chaude est cachée par un filtrage 3D-coloré totalement illisible (c’est quand même plus rigolo et plus honnête que la « bobine manquante » de Planète Terreur !), un désintégreur moléculaire vous transforme fissa en puerco pibil, une couronne de Miss Texas peut se révéler aussi tranchante qu’un poignard, et un petit clin d’œil final à L’Empire contre-attaque suffira à vous consoler des gags neuneus des Derniers Jedi. Sans oublier cet effet d’annonce d’un troisième Machete situé dans l’espace, lequel boucle ainsi la boucle d’un glouton et généreux laboratoire du bis fendard. Si le voyage peut nous permettre de côtoyer un degré de connerie catapulté sur orbite (voire même vers l’infini et au-delà), pas de souci, on réserve d’ores et déjà notre place dans la navette. Et tant pis pour nos neurones. De toute façon, ils sont déjà cramés, alors…

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