Planète Terreur

REALISATION : Robert Rodriguez
PRODUCTION : Dimension Films, The Weinstein Company, Troublemaker Studios
AVEC : Rose McGowan, Freddy Rodriguez, Marley Shelton, Josh Brolin, Michael Biehn, Naveen Andrews, Jeff Fahey, Bruce Willis, Michael Parks, Tom Savini, Stacy Ferguson, Quentin Tarantino
SCENARIO : Robert Rodriguez
PHOTOGRAPHIE : Robert Rodriguez
MONTAGE : Ethan Maniquis, Robert Rodriguez
BANDE ORIGINALE : Graeme Revell, Carl Thiel, Robert Rodriguez
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Horreur
DATE DE SORTIE : 14 août 2007
DUREE : 1h45
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Dans une petite ville, William et Dakota Block, un couple de médecins, constatent que leurs patients sont soudain frappés par la gangrène et affectés par un regard vide et inquiétant. De son côté, Cherry, gogo danseuse, s’est fait arracher la jambe lors d’une attaque. Wray, son ex-petit copain, veille sur elle. Mais Cherry a beau être au plus mal, elle n’a pas dit son dernier mot. Tandis que les malades se multiplient et deviennent des agresseurs enragés, Cherry et Wray prennent la tête d’une armée destinée à empêcher l’épidémie de se propager. Si des millions d’individus sont contaminés et beaucoup succombent, une poignée d’entre eux se battront jusqu’au bout pour se réfugier dans un lieu sûr…

Second segment du projet Grindhouse, Planète Terreur semblait plus problématique à aborder. Pour faire simple, la logique voudrait qu’on puisse lui régler son compte en dix lignes, mais le caractère bricolé et décomplexé du résultat bannissait d’emblée tout jugement expéditif. Etait-ce parce qu’au fil des années et des jugements plus ou moins nuancés sur ses longs-métrages, on avouait ne plus trop savoir comment aborder le cas de Robert Rodriguez ? Pas sûr. Il aura fallu un long retour récent sur ce vaste gruyère qui lui sert de filmographie pour finir par déceler dans ses deux anthologies du portnawak habanero (Machete et Desperado) un bon début d’éclairage – on y reviendra très prochainement. Mais en comparaison, Planète Terreur voit ses défauts crever une pellicule déjà bien esquintée jusqu’à ce que celle-ci n’ait plus rien à proposer en rapport avec une vraie expérience de cinéma. Nul doute que la supériorité écrasante de Boulevard de la mort joue déjà en sa défaveur, mais l’opus de Rodriguez ne se contente pas de faire pâle figure au vu de son programme affiché (en gros, une pure récréation gore-craspec avec des zombies). On avouera que sa seule porte de sortie tenait sur son statut de première partie de Grindhouse : en entamant les festivités du double feature par un tel amas de dégueulasserie graphique, le film se limitait à un petit amuse-bouche crado et vaguement distrayant, si creux que sa médiocrité finissait presque par servir de rampe de lancement à tout ce que l’opus signé Tarantino allait pouvoir déployer de beauté plastique et de relief quasi godardien. Lâché à son tour en solo dans la nature suite au bide américain du projet duo, Planète Terreur perd hélas ce léger relief salutaire et se résume fatalement à ce qu’il a toujours été (ou prétendu être) : une série Z.

C’est d’abord l’allure de la pellicule – et son aura au sein du dispositif narratif – qui pèse extrêmement lourd dans le jugement porté sur le film. Chez Tarantino, on l’avait précédemment évoqué, tout partait d’une pellicule abîmée qui ne s’épuisait pas au gré des péripéties, mais qui retrouvait au contraire une force d’impact à la puissance insoupçonnée à mesure que le récit mettait en équilibre les deux forces du style tarantinien (une image qui gifle, une parole qui claque). Ou comment un genre aussi éculé que le slasher voyait soudain ses figures féminines – en général les plus soumises aux pires des stéréotypes – reprendre le pouvoir, histoire de lui permettre de s’ancrer pleinement dans le contemporain. Chez Rodriguez, rien de tout ça, nada de nada : juste une pellicule épuisée, ratissée par des usages trop répétés, incomplète par-dessus le marché (un grand merci pour la « bobine manquante » à mi-parcours !), que le réalisateur reproduit telle quelle, soi-disant pour se conformer aux conditions de projection qui firent le sel (et le poivre) des grindhouses de l’époque. Sauf qu’on n’est pas dupe d’une telle escroquerie. Rien que le coup de la bobine manquante illustre bien ce qui cloche là-dedans : en intervenant pile au milieu d’une double séquence-clé (d’un côté une baise très chaude entre les deux héros, de l’autre une survie qui s’organise dans un bar tex-mex pris d’assaut par des zombies) et en redémarrant fissa en plein milieu d’une action ultérieure (le bar est en feu !), cette idée de montage révèle toute la fainéantise narrative d’un Rodriguez qui, emmêlé dans ses clichés de nerd, n’a rien à raconter.

On exagère un peu, c’est certain, car le cocktail souhaité par Rodriguez se devine assez facilement au vu de ses goûts cinéphiles : beaucoup de Romero pour l’invasion de morts-vivants et la présence de Tom Savini (ici en second rôle), un zeste de Carpenter pour l’héroïsme fatigué et l’alliance des antagonismes durant l’assaut, une pincée de Fulci pour le déluge de cruauté et de gore gluant, sans oublier un peu de Cameron pour faire bander les geeks (on relève un Michael Biehn en shérif grincheux et une héroïne presque aussi badass que Sarah Connor). Sur le papier, on a un joli cocktail. Sur la ligne d’arrivée, on a juste une purée indigeste. Un peu comme si Rodriguez avait tout foutu dans son mixeur, mais sans dosage, sans réglage et sans avoir refermé le couvercle. L’intrigue, d’abord : coincé entre un enjeu amoureux à deux pesos et une apocalypse zombie qui prend place dans trois décors sans relief (un hôpital, un bar, un hangar), le texan nous glisse au passage le détail politique qui se la joue Romero du pauvre (on évoque la mort de Ben Laden et des soldats US exposés à un virus bactériologique) et s’obstine à enfiler des idées délirantes, voire parodiques, dont l’abondance mal canalisée annihile fissa l’impact. Citons en vrac une strip-teaseuse avec une mitrailleuse en guise de jambe artificielle, une mante religieuse d’infirmière qui cache des seringues sous sa jupe, un jouet motorisé qui sert de voiture de tête pour un convoi, un hélicoptère en rafale qui charcute des zombies avec son hélice (un effet déjà fait avec mille fois plus de gueule dans 28 semaines plus tard), sans oublier un militaire violeur et cinéphile (Tarantino himself !) qui blablate dans le vide à propos d’Ava Gardner et dont les parties génitales finissent par fondre en un délire gluant à la sauce hentaï.

Trop d’ingrédients, brouillés et mélangés dans une intrigue qui tient hélas sur un timbre-poste et qui, par le manque de tenue narrative qui la parcourt, ne produit qu’une sensation d’éparpillement, de bouillie, pour ne pas dire de gâchis. Il y aurait ainsi beaucoup à dire sur la façon dont Rodriguez a visiblement pensé l’identité conceptuelle de son film, ne serait-ce qu’au vu du traitement infligé à l’image. Cette dernière, ici, se veut mutante au premier plan là où Tarantino en avait fait un outil d’émancipation sur tous les plans. Exemple fort : la pellicule devient toujours plus dégueu et détériorée lorsque le film fait de même – voyez la contamination sanguine de Josh Brolin ou le stade final de l’hideuse transformation physique de Bruce Willis. Sauf qu’elle ne vibre pas de l’intérieur pour réactiver ici quelque chose d’éteint. Elle se contente de mourir à petit feu, et ce au prix d’un effet de style qui suscite le dégoût (au mieux) ou la moquerie (au pire). De là à penser que Rodriguez souhaitait que son film soit à l’image des zombies qu’il charcute, il n’y a qu’un pas. Planète Terreur se rêvait sans doute en synthèse vibrante et décomplexée du genre, mais il n’en est finalement que le squelette contaminé, chahuté de l’intérieur par un horrible virus qui le force à pisser du pus et de l’hémoglobine par tous les trous du celluloïd. Et ce virus est très vite identifié : la flemmardise d’un réalisateur dont les aptitudes – déjà très controversées à la base – en montage et en mise en scène atteignent ici un stade critique.

Dans le fond, l’affaire est pliée en une phrase : là où les défauts de fabrication de ses précédents films étaient souvent transcendés par une vraie frénésie rythmique et une quête joyeusement naïve du « plan qui tue », Rodriguez utilise ici les gimmicks de la projection grindhouse comme une excuse déguisée. La mauvaise idée dans toute sa splendeur. Cela rend le film non seulement vain et cynique, mais aussi incohérent vis-à-vis de ce qu’impliquait le projet Grindhouse : ranimer un genre éteint à la vie nécessitait de trouver un flux d’images et d’idées capables d’en détoxifier et d’en réactiver les organes en décomposition. La démarche de Tarantino avait tout d’une révolution là où celle de Rodriguez ne tenait symboliquement que sur une idée visuelle : Rose McGowan en bimbo unijambiste à prothèse-mitrailleuse, sorte de créature proto-Frankenstein reléguée au rang de gimmick promo. Si l’on ajoute à cela le fait que les bouffeurs de chair fraîche n’avaient alors rien de figures tombées en désuétude (même aujourd’hui, on déguste encore de la viande zombie très saignante !), le drame créatif de Planète Terreur achève d’être élucidé. Cela étant dit, l’hilarant trailer de Machete qui précédait son visionnage donnait déjà une idée du gros point fort de Rodriguez : avec un solide sens du burlesque et une vraie déformation parodique des codes du genre, le bougre pouvait encore passer de « petit malin » à « malin » tout court. Et pour le coup, transformer ce petit amuse-gueule en un vrai long-métrage fut sa meilleure lettre d’excuse après un tel ratage.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Boulevard de la mort

On vous explique tout du Boulevard de la mort réalisé par Quentin Tarantino.

Fermer