Mission : Impossible

Sur le papier, Brian De Palma apparaissait comme le réalisateur le plus adéquat pour adapter sur grand écran la série télé créée par Bruce Geller. De manière superficielle parce qu’il s’est déjà aventuré indirectement dans ce type d’exercice avec Les Incorruptibles (le film se base plus sur l’autobiographie d’Eliot Ness que sur la série avec Robert Stack) où il avait excellé. Mission Impossible est surtout un projet dans ses cordes par sa nature. D’épisodes en épisodes, Jim Phelps et son équipe vont mettre en œuvre un festival d’astuces et de supercheries alambiquées pour atteindre leur objectif. Bien que chaque épisode s’ouvre sur une cassette audio qui avant de s’autodétruire précisera que « si vous ou l’un de vos agents était capturé ou tué, le département d’État nierait avoir eu connaissance de vos agissements.», l’intérêt ne provenait pas de l’ombre de cette menace rarement mise en œuvre mais de l’exécution inventive et extravagante de la mission. Du pain béni en somme pour Brian De Palma dont les mises en scène virtuoses ont fait sa renommée. Voilà à quoi on pouvait s’attendre de ce Mission Impossible version cinéma. Prévisible ? Certainement trop pour le réalisateur de Phantom Of The Paradise. A la manière dont Les Incorruptibles pouvait surprendre en envoyant ad patres la moitié de la bande à Eliot Ness avant la dernière bobine, Mission Impossible va s’affranchir du carcan rébarbatif de la série télé. Les fans auront logiquement hurlé à la trahison, même si ils ne se rendront alors pas compte qu’ils ont assisté à un spectacle au suspense renouvelé et à la surprise constante.

La séquence d’ouverture se pose elle-même en invitation à une nouvelle politique, même si celle-ci ne sera effectivement appliquée qu’un peu plus tard. Alors que la musique de Danny Elfman (venu en remplacement d’un Alan Silvestri pas bien inspiré) retentit et annonce une entrée directe dans l’action, Brian De Palma lâche la première scène perturbante d’une longue lignée. Le premier plan nous dévoile un homme devant un petit écran de télé où il suit une scène plutôt agitée. Un contre-champ montre que le personnage semble stressé et anxieux. On comprend rapidement que nous sommes dans les coulisses d’une supercherie concoctée par l’IMF. La mission accomplie, les murs de la pièce seront littéralement arrachés pour dévoiler que la chambre d’hôtel n’était qu’une reconstitution factice dans un hangar. Deux idées sont véhiculées dans cette introduction. La première est bien sûr de démontrer dans une sorte d’hommage que nous avons changé de format. Nous ne sommes plus juste devant un petit écran de télévision à l’image médiocre mais dans un film de cinéma où tout a une autre dimension. La seconde provient justement de cette idée de nous inviter en premier lieu dans les coulisses de la mission. Le film aurait pu commencer en faisant croire au public à la véracité de la situation et ne révéler qu’in fine la manipulation. Le propos sur l’illusion aurait été le même. Mais non, on nous introduit directement dans l’envers du décor. En conséquence, on nous pousse d’emblée à repenser notre point de vue que ce soit par rapport à l’histoire (ne pas croire bêtement tout ce que l’on montrera et dira) et aux attentes sur le projet (prendre de la distance par rapport aux stricts principes de la série).

D’ailleurs, le générique d’ouverture reprenant l’esprit de la série (un montage rapide des images qui vont suivre) prolonge cette idée. Confié au spécialiste Kyle Cooper (Seven, Spiderman et tant d’autres), ce générique aura fait s’arracher les cheveux au bonhomme. Si l’idée de reprendre le motif original lui sera soumise par Brian De Palma, Tom Cruise lui fera savoir qu’il n’est pas à l’aise avec un concept risquant de dévoiler des pans de l’intrigue. En résulte, un travail chirurgical exemplaire puisque le spectateur ne se rendra pas compte que ce générique comprend des extraits de la révélation finale !

Passées ces premières minutes, on pourrait croire que le film va maintenant rentrer dans le rang et nous donner ce que l’on désire. Tout semble d’ailleurs se goupiller pour. Jim Phelps reçoit son indispensable cassette lui exposant la situation, il prépare la mission avec son équipe et se lance dans l’accomplissement de ce plan audacieux. On retrouve là ce que l’on attendait de Brian De Palma et le cinéaste se conforme habilement à sa tâche. Ainsi retrouve-t-on une panoplie de ses stupéfiants effets de mise en scène : vue subjective pour l’introduction d’Ethan Hunt à la fête, split-screen avec l’ordinateur retranscrivant le point de vue de chaque membre, caméra s’affranchissant de la physique pour traverser les murs… Un travail technique d’orfèvre au sein d’une séquence parfaitement découpée pour retranscrire le rôle de chacun. Sauf qu’on aura à peine le temps de savourer l’exécution du plan que le drame se produit. Un membre de l’équipe meurt. S’en suit une escalade où toute l’équipe à l’exception de Hunt y passe. Le confortable schéma télévisuel est littéralement atomisé par cet événement. De Palma joue d’ailleurs volontiers sur cet aspect choquant en ayant confié certains rôles à des acteurs charismatiques et d’une certaine renommée comme Emilio Estevez ou Kristin Scott Thomas. Tout dérape et en conséquence, le spectateur est complètement désorienté. Qu’arrivera-t-il par la suite ? Il ne peut plus le deviner.

Cet aspect a été vivement critiqué et reste généralement la raison principale pour laquelle le film n’est pas forcément très apprécié. Aux yeux de beaucoup, ce tour de passe-passe est un moyen pour Tom Cruise de tirer la couverture sur lui. La série télé se base sur la démonstration d’un travail d’équipe et non sur les exploits d’un seul homme. Ne soyons pas naïfs. Grand fan de la série, Cruise produira et jouera dans le film parce qu’il avait envie de développer une franchise dont il serait la vedette. La valse des scénaristes sur le projet laisse entendre un contrôle sur la création assez poussé. Il y aura ainsi tout d’abord un premier jet signé par le couple Willard Huyck et Gloria Katz (American Graffiti, Howard The Duck). Celui-ci sera allègrement revu par David Koepp (Jurassic Park) et Steven Zaillian (La Liste de Schindler) avant d’être retouché tout le long de la production par Robert Towne (Chinatown). Le calibrage du film autour de Tom Cruise ne peut être nié. Toutefois, est-ce que cette contrainte émanant d’une personnalité que d’aucuns qualifieront de mégalomaniaque déteint de manière néfaste sur le film ? Devant ce qu’est devenu Mission Impossible, la réponse tendrait vers la négative. Qu’est-ce qui était préférable ? Un film divertissant mais formaté par un carcan archi-revu ou un film trahissant le basique dit schéma pour nous conduire vers des contrées inédites ? En plongeant son héros dans un périple similaire à celui de Robert Redford dans Les Trois Jours Du Condor, le film se construit une dynamique propre et non moins savoureuse.

On pourrait certes reprocher au film de ne pas saisir l’occasion d’explorer sa portée politique que ce soit par la description superficielle d’un gouvernement prêt à jeter les produits qu’elle a formé ou l’exposition expéditive de la motivation du traître. Y a-t-il encore lieu de maintenir son identité secrète ? Celle-ci a causé un tel tollé qu’à l’instar d’un Psycho, elle est désormais largement répandue et connue sans avoir vu le film. Ainsi découvre-t-on au final que le bad guy de l’affaire n’est autre que Jim Phelps lui-même. Celui qui était toujours apparu comme le leader, la figure patriarcale de la série est donc le méchant. Bien sûr il s’agit là encore d’une idée pour marquer la transition entre le format télé et ciné. Comme le rappelle Cruise dans les dispensables featurettes d’une édition dvd faussement collector, la série était terriblement marquée par le contexte de la guerre froide. En 1996, le conflit n’est plus et cette disparition de friction Est/Ouest justifie la transformation de Phelps (« voilà qu’un jour tu te réveilles et le président des Etats-Unis dirige le pays sans ta permission »). Comme pour les victimes, la production aurait d’ailleurs voulu amplifier la révélation par le casting. Ainsi a-t-il été proposé à Peter Graves, le Phelps de la série, de reprendre son rôle. Celui-ci ne sera toutefois pas à l’aise avec l’idée et refusera. C’est finalement Jon Voight, devenu maître des rôles de salopard dans les 90’s, qui reprendra le personnage.

Cette révélation est amenée par un processus fort passionnant et absolument typique du cinéma de Palmien. De Grace Collier dans Sœurs De Sang à Rick Santoro dans Snake Eyes en passant par Jack Terry dans Blow Out, Brian De Palma a régulièrement mis en scène des personnages en quête de vérité. Cette quête passe par la compréhension d’un événement. Les personnages y ont assisté mais n’en ont pas forcément saisit tous les tenants et aboutissants qu’il implique. Ils vont devoir interroger les images et les déconstruire pour toucher cette vérité qui, généralement, les conduira à leur perte. Il s’agit là d’une obsession de Brian De Palma découlant directement du traumatisme national lié à l’assassinat de Kennedy et surtout du film de Zapruder. Livrant un point de vue sur l’événement, celui-ci sera décortiqué dans tous les sens afin de corroborer n’importe quelle théorie. Ethan Hunt ne pourrait pas forcément entrer dans cette catégorie car grand benêt qu’il est, il peine à remettre en cause le massacre initiale. Il se livre ainsi peu de temps après ce dernier à un premier décryptage. Celui-ci se base sur des petits détails ou des images auxquelles le spectateur n’a pas prêté attention précédemment mais qui démontre l’implication de sa hiérarchie. Passé ce cap, il ne poussera pas plus loin la réflexion.

Son but sur la durée reste avant tout de survivre par un jeu du chat et de la souris qui lui permettra d’être réhabilité. Un parcours nous octroyant son lot de rapports de force (la rencontre avec son supérieur, celle avec Max) et de suspense tendu comme un string (l’insoutenable infiltration dans la chambre sécurisée). Un simple indice lui permettra de comprendre qu’il s’est fait fourvoyer et de repenser le puzzle. Car si ce que contient l’image est important, la parfaite compréhension de l’histoire nécessite de savoir ce qu’il y avait aussi hors-champ. Bien que la découverte de l’indice accentuée par une voix-off permette au personnage d’atteindre ce stade, le spectateur devra attendre plus longtemps avec une scène déstabilisante pour le spectateur peu attentif. Face à Face, Jim Phelps expose à Hunt son histoire et lui désigne un faux coupable en croyant que son plan roule comme prévu. Hunt fait semblant d’avaler le baratin et tient un discours allant dans son sens. Sauf que dans sa tête, il reconstruit la vérité et ses images s’intercalent avec une discussion contradictoire. Au bout du compte, on renoue avec l’esprit de manipulation de la série et de vérité altérée par des personnages interprétant des rôles… sauf que l’action se situe désormais à un autre niveau.

Brian De Palma construit là une œuvre remarquable, à la fois blockbuster passionnant (admettons toutefois que la séquence survoltée du TGV a malheureusement fort vieillit) et parfaite représentation de l’art de son auteur (quand bien même celle-ci s’inscrit dans la logique de son producteur star). Mission Impossible constituera d’ailleurs le plus gros succès international de sa carrière. On ne pourra alors plus que regretter que Cruise, désireux d’avoir une tête pensante différente à chaque opus, n’ait pu trouver d’équivalent pour les épisodes suivants. Entre un John Woo en pilotage automatique et un J.J Abrams pas assez solide pour tenir la mesure, les suites n’arriveront pas à autant captiver. On ne peut plus qu’espérer que Brad Bird inverse la vapeur.


Réalisation : Brian De Palma
Scénario : David Koepp et Robert Towne
Production : Paramount Pictures
Bande originale : Danny Elfman
Photographie : Stephen H. Burum
Origine : USA
Titre original : Mission Impossible
Année de production : 1996

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