The Haunted World of El Superbeasto

REALISATION : Rob Zombie
PRODUCTION : Film Roman Productions
AVEC LES VOIX DE : Tom Papa, Sheri Moon Zombie, Paul Giamatti, Rosario Dawson, Daniel Roebuck, Danny Trejo, Geoffrey Lewis, Tom Kenny
SCENARIO : Rob Zombie, Tom Papa, Mr Lawrence
MONTAGE : Bret Marnell, Robert Anich Cole
BANDE ORIGINALE : Tyler Bates, Rob Zombie
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Horreur, Pornographie
DATE DE SORTIE : inconnue
DUREE : 1h17
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Le docteur Satan fait enlever la stripteaseuse Velvet Von Black afin de l’épouser, ce qui, d’après une prophétie, devrait le rendre superpuissant. Aidé de sa sœur sexy et délurée Suzy-X et de son robot érotomane Murray, le super-héros excentrique El Superbeasto va tout tenter pour la sauver. Mais tout ne va pas se passer comme prévu…

Est-ce que le cinéma permet tout ? Non, posons la question autrement : est-ce que le cinéma autorise tout ? Pour ce qui est des gardiens de la morale, des sécateurs de la censure ou même d’une tripotée de culs-bénits de plus en plus aigris à force de (se faire) bouffer l’hostie, la réponse est toute faite. Autant les laisser s’indigner dans leur petit salon. Pour un cinéaste comme Rob Zombie, la faculté de passer outre les barrières du genre (ou du moins, celles supposées comme telles) sans pour autant finir ostracisé par le système est un art à part entière dont il a su faire une mise en pratique optimale. Si l’on en juge par le fait que le monstrueux The Devil’s Rejects, chef-d’œuvre barbare qui nous plaçait tout de même en position d’empathie face aux pires ordures de l’univers, aura su éviter une interdiction pure et simple en dépit de son concept osé, peut-être que la prise de conscience du rapport au spectateur – ici pensé en amont par un Zombie plus intelligent qu’il n’en a l’air – avait autant de poids que la façon dont la mise en scène servait un détournement malin du caractère extrême des images (la violence du film n’avait rien de gore, ni même de graphique). La rage nihiliste qui habitait son brillant remake d’Halloween avait entériné ce constat : pleinement attaché à la mise en scène du chaos intérieur, Zombie n’avait rien d’un petit malin désireux de révulser son audience par tous les moyens. Pour autant, ses derniers films ont laissé penser que la donne avait changé : après deux projets fucked-up (le trop zarbi Halloween 2 et l’intriguant The Lords of Salem), la dégustation de son nouveau steak tartare sadique (un 31 bien corsé) devait-il laisser croire que Rob visait désormais le pur défouloir ?

A vrai dire, le film qui nous intéresse aujourd’hui – réalisé en 2009 et hélas toujours inédit en France à l’heure où nous écrivons ces lignes – a quasiment tout l’attirail nécessaire dans son caleçon pour nous faire valider cette hypothèse. Sans thématique en béton armé sur la part sombre de l’être humain, sans conscience visible des choses à prendre avec des pincettes, voire même sans limite imposée à son énergie créatrice (que l’on sait déjà pourtant ravageuse sur un film-live), Rob Zombie donne ici l’impression d’avoir voulu englober toute sa sensibilité d’artiste multitâche, dont la rage se répercute autant sur le versant cinéphile (où révérence et irrévérence font douche commune) que sur le domaine musical (il est tout de même le leader du groupe White Zombie). Le fait que le film-somme en question soit contre toute attente un film d’animation pèse sans doute très lourd dans le jugement critique, puisque toutes les extrémités, en plus d’être revendiquées, passent ici au mixeur postmoderne, se jouant à loisir des codes du cinéma bis et underground sous une forme libérée, irraisonnée, effervescente à souhait. Est-ce donc un hasard si, en guise d’introduction décalée, Zombie se la joue William Castle avec un petit avertissement sur le caractère explicite du film, le tout suivi d’un générique en noir et blanc qui sent bon la patte musicale et stylistique de la Hammer ?

Tout défouloir horrifico-pornographique qu’il soit (qui plus est adapté d’une BD éponyme créée par Zombie et l’acteur Tom Papa), The Haunted World of El Superbeasto fait surtout une éclatante démonstration de l’amour de son cinéaste pour tout un pan du cinéma d’exploitation, ici régurgité avec une parfaite compréhension de ses codes que Zombie mêle à un ton anticonformiste propice à leur détournement. De la même manière que Tim Miller sur Deadpool, mais cette fois-ci de façon bien plus virulente et extrême, on se retrouve face à un principe de cinéma héritier du stand-up, cassant en permanence l’immersion pour servir le rapport du personnage à son audience. Ce n’est pas le genre de film facile qui vise la blague référentielle lourdement appuyée jusqu’à prendre son spectateur pour un demeuré, mais avant tout la recherche d’une interactivité assumée et on ne peut plus tangible, où le gag, la digression, l’outrance et l’absurdité d’une situation interpellent le spectateur sur sa connaissance du genre et créent la surprise par leur imprévisibilité. De quoi laisser penser que l’idée d’abattre le quatrième mur peut encore aller à l’encontre du cynisme estampillé Wes Craven (remember Scream…), et tutoyer davantage la richesse pirandellienne d’un Quentin Dupieux, lui aussi promoteur d’un cinéma libre et anticonformiste.

Il en est donc ainsi d’un nombre quasi érectile de digressions narratives et visuelles qui s’enchaînent à la vitesse d’un TGV sans nous laisser de temps pour une petite branlette. Un rythme effréné qui doit tout à son mémorable protagoniste : Superbeasto, un catcheur macho, obsédé, frimeur, égocentrique et narcissique à côté duquel ce cher Deadpool passerait pour un disciple de l’Abbé Pierre. Enrichi par la voix suave et décontractée de Tom Papa, le personnage dirige ici une narration entièrement à sa gloire, n’hésite pas à interrompre le film pour refaire une scène ou interpeller l’équipe technique (qui apparait d’ailleurs à l’écran !), casse la logique d’une situation par une digression foutraque (le voir hésiter entre déguster des ailes de poulet et sauver une fille à poil kidnappée par un gorille est à se pisser dessus) et laisse toutes ses pensées prendre vie à l’écran en un claquement de doigts (son pire cauchemar : un vieil oncle en string qui chie une centaine de rats affamés !).

L’humour du film, ici sous très haute influence des styles respectifs de Matt Groening et la paire Parker/Stone, joue perpétuellement sur la rapidité des échanges et le je-m’en-foutisme total des caractères, ici servis dans une scénographie ouvertement simpliste que le graphisme 2D à la Tex Avery fluidifie à merveille – chaque séquence doit tout aux entrées de champ et aux déviations latérales de cadrage. Et au beau milieu de tout ça, Zombie crache la béchamel sur une pizza déjà bien cuite. C’est bien simple : pas un seul plan ne se déroule sans une allusion sexuelle ou une métaphore graveleuse, le tout avec un taux de grossièretés à la demi-seconde qui explose très vite le plafond. On hallucine rien qu’avec la scène d’ouverture, sorte de hentaï tex-mex où Superbeasto cuisine une actrice porno (au sens propre !) avant d’affronter des créatures libidineuses sorties d’Urotsukidoji, saupoudré ici et là de gros plans sur une fellation de pieds jaunis ou un fessier très mal épilé. Et ce n’est pourtant que le début d’un délire qui ne va jamais avancer autrement qu’en haussant toujours plus le mercure de l’obscénité…

Par moments, et ce n’est pas un problème en soi, la cinéphilie galopante de Zombie prend un peu le dessus sur le récit jusqu’à frôler le clin d’œil gratuit. Au détour d’une scène de poursuite, il n’hésite pas à transformer Michael Myers – le tueur d’Halloween pour les trois cancres du fond – en victime de la circulation (peut-être pour se venger des terribles frères Weinstein ?). Un peu plus tard, c’est carrément la famille Firefly – alias les trois antihéros dégénérés de The Devil’s Rejects – qui se font écrabouiller pendant un spectacle. Et pour le reste, citons pêle-mêle Tura Satana qui vient faire un petit coucou en Varla (les fans de Faster Pussycat ! Kill ! Kill ! vont jouir dans leur slip !), Janeane Garofalo qui joue les intellos au cours d’un casting porno (même Ovidie ne serait pas tombée aussi bas !), Frankie Muntz et George Lazenby qui se font tacler au passage (comme ça, juste pour le fun…), sans oublier la file d’attente d’un club trash qui juxtapose à peu près toutes les monstruosités imaginées par le 7ème Art (la Momie, l’Alien, Jason Voorhees, Nosferatu, la créature de Frankenstein, Edward aux mains d’argent, Jack Nicholson, etc…). Hilarant, certes, mais à tout prendre, on préfère aisément quand Zombie met à profil son amour du cinéma bis pour faire évoluer son récit déjanté, que ce soit pour rendre hommage à l’érotomanie de Russ Meyer (mention spéciale au personnage de Velvet Von Black, doublé par Rosario Dawson !) que pour assumer sa passion bisseuse pour la Nazisploitation (ne pas oublier sa fausse bande-annonce Werewolf Women of the SS pour le projet Grindhouse !).

Du côté de l’absurde, la technique de Rob Zombie tient autant de la broyeuse à clichés – ici recrachés avec « amour » – que de la pause décalée, trouant la narration par des irruptions de calme incongru qui contrebalancent les situations les plus frénétiques – riche idée du groom bossu dans l’ascenseur de l’Enfer. Mais c’est clairement lorsque le cinéaste joue la carte de la comédie musicale que le film devient littéralement explosif. Passe encore que l’exploitation de morceaux cultes (de Benny Hill à Superman en passant par le thème du Parrain) serve à enjoliver des clins d’œil appuyés au cœur de scènes ouvertement sous influence. Amusons-nous aussi de voir Zombie reprendre ici la scène centrale du Carrie de Brian De Palma en l’accompagnant d’une chanson métatextuelle qui condamne toute forme de plagiat. Mais que les chansons du film – combinant pour la plupart divers courants musicaux – en arrivent à paraphraser l’action (ou le passé des personnages) avec un art très consommé de la parole épicée et mal élevée a de quoi procurer un véritable orgasme auditif. A titre d’exemple, on vous laisse imaginer ce que peuvent être ici les paroles d’une chanson accompagnant la bagarre au ralenti de deux bombes sexuelles en tenue (très) légère ! Et à ce propos, on en oublierait presque d’évoquer le personnage de Suzy-X, flingueuse sexy doublée par Sheri Moon Zombie – muse et épouse du cinéaste – qui dézingue les vilains avec autant de souplesse que son affolante plastique. Typiquement le genre de faux faire-valoir qui fait bouillir la marmite hormonale d’un montage déjà sacrément salace en l’état.

Sur le fond, on terminera en disant que, sous bien des aspects, The Haunted World of El Superbeasto a valeur de film éducatif pour toutes les générations. Parce qu’en effet, on en apprend ici beaucoup sur le prix du gaz, la cuisson des ailes de poulet, les transsexuels philippins, la libido de robots pas si « oranges mécaniques » que ça, les mille et une manières de décrire un vagin, le risque encouru d’avoir un tatouage « 666 » sur les fesses, la masturbation comme acte patriotique (si si !) et bienfait pour l’état de la prostate, le mariage limité à une « baise légalisée par l’Etat et/ou la religion », la différence fondamentale entre 3ème et 4ème Reich en cas d’invasion de nazis morts-vivants, les tests d’appartenance à un groupe de catcheurs mexicains (a priori, vous pouvez essayer chez vous avec vos amis…), l’irruption répétée d’un dératiseur qui ne sert à rien, ou encore l’utilité d’un gros bouquin à la con (et pour une fois, ce n’est pas la Bible !) pour conclure n’importe comment une intrigue qui ne veut rien dire. Qu’importe l’absurdité du portnawak, pourvu qu’on ait l’ivresse de la transgression, les zygos changées en bandes de fitness et les cojones en surchauffe. Oui, le cinéma permet tout, et il peut tout se permettre. Et si ça te pose un problème, go fuck yourself !

1 Comment

  • Kathnel. Says

    Comme j’aime cet article qui m’a beaucoup amusée , tout comme ce film d’ailleurs. Une Course poursuite trash et hors limites, humoristiquement obscène, bourrée de références cinématographiques et de personnages aussi irrévérencieux les uns que les autres. Un vrai régal.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Victoria

REALISATION : Justine Triet PRODUCTION : Ecce Films, Le Pacte AVEC : Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux,...

Fermer