Conan

En nos temps actuels, la barbarie a-t-elle encore sa place dans le cinéma ? Mine de rien, Hollywood n’a guère brillé cette dernière décennie dans l’exploitation de cette notion. Si violence et noirceur humaine ont été souvent investies, il sera privilégié les spectacles ténébreux jouant la carte du raffinement pour s’insuffler une prétendue complexité. Une réflexion très contemporaine marquant à quel point il n’est pas à l’ordre du jour de réinvestir un passé où les raisonnements civilisés n’avaient cure. Si on pense aux films des années 2000 qui ont voulu se la jouer barbare, on se trouve face à deux directions insatisfaisantes. D’un côté, il y a le non-sens du divertissement bon enfant. Le héros se ballade au milieu de conventions du politiquement correct en lattant la gueule aux méchants pas beaux dans des combats calibrés pour les préadolescents (autrement dit sans effusions de sang). Le représentant type de cette orientation serait Le Roi Scorpion de Chuck Russell, spin-off de la franchise La Momie où le catcheur The Rock faisait ses grands débuts d’ « acteur ». Aussi désagréable puissent paraître de tels choix, les spectacles ont au moins le mérite d’être amusants à suivre. Généreux et pas prise de tête, ils valent mieux que l’autre voie. Celle-ci comprend les long-métrages se voulant au contraire forts sérieux quant au genre investi. La violence y est extrême mais masque mal l’ineptie du travail de fond, quand bien même ces films ont l’ambition d’utiliser le passé pour questionner le présent. On retrouverait là 300 où le réalisateur Zack Snyder prenait plus de plaisir à montrer ses personnages beugler devant la caméra plutôt que de réfléchir sur le fonctionnement de la société spartiate. Dans un tel contexte, difficile d’accueillir sans crainte un remake/reboot de Conan Le Barbare. Mais mêmes nos pires craintes ne pouvaient laisser augurer l’ampleur du désastre.

De manière prévisible, l’ombre de la première adaptation réalisée par John Milius plane sur le film de Marcus Nispel et le rabaisse constamment. La production avait tenté de couvrir ses arrières en déclarant vouloir revenir à la source en s’inspirant des romans de Robert E. Howard. Bonne idée après tout pour se démarquer de l’original. Milius n’a jamais nié qu’il a plus adapté le Conan du dessinateur Frank Frazetta que celui de l’écrivain. Il faut dire que Frazetta a imposé au monde son image de Conan. Il remplacera instantanément dans les esprits l’image traditionnelle d’un Robert Taylor échappé d’une production Richard Thorpe par celle d’un gaillard musculeux au corps marqué par la vie. Bien que le reboot souhaite revenir vers le contenu des livres, il ne peut ainsi se dépareiller de cette imagerie. Cela peut être aisément accepté puisque nous serions les premiers déçus si ça n’était pas le cas. Le plus gênant est que des éléments propres au film de Milius répondent également présent. En effet, si il ne s’agit pas de refaire stricto sensus le film original, à quoi bon relater la même histoire ? Cette nouvelle version reprend en effet les grandes lignes de son aîné avec un Conan enfant voyant sa famille exterminée et qui, adulte, va aller chercher vengeance auprès d’un bad guy en passe de dominer le monde. Pourquoi vouloir reprendre exactement la même intrigue et ne pas offrir une aventure jamais vue auparavant ? Cela serait surement aisé au vu de l’important répertoire des nouvelles. Bien sûr, le problème tient moins à la reprise d’une mécanique connue qu’à l’incompréhension de sa force.

Pourquoi aimons-nous Conan ? Le réalisateur Kevin Smith résuma simplement la chose dans le documentaire Suck My Geek : « il est tout ce que nous désirons être. Il est grand, il est fort, il chope plein de meufs et personne ne vient le faire chier ! ». Ce qui rend le film de Milius si puissant est que l’on voit par le détail comment le personnage acquiert cette stature. Il ne s’agit pas là d’une soumission à des contingents introductifs pour une franchise en devenir mais du cœur de l’œuvre. Milius montre comme le héros se construit par ses aventures. A partir de son trauma, Conan va se construire un corps, apprendre la force qu’il contient, comprendre qui il est au contact des autres et accepter son statut de héros après avoir tué la figure du père. A la base, Milius voudra faire trois films entièrement tournés autour de cette idée de personnage en construction jusqu’à un final annoncé où il posera une couronne sur son front troublé. Le premier épisode parle de la force, le deuxième de son utilisation et le trois de ses conséquences. Le personnage devait grandir devant nous et c’est ce qui fait la puissance du récit. Marcus Nispel n’apparaît pas du genre à passer outre cette réflexion. Aussi raté puisse être l’écriture, son Pathfinder dévoilait un héros cherchant à se trouver lui-même à travers ses actions. Cela rend d’autant plus choquant ce Conan qui semble se foutre royalement de son personnage titre.

Comme nous le souffle la voix-off, Conan est né sur un champ de bataille. Cela tend à justifier comment enfant, il arrive sans aucun entraînement spécifique à démolir quatre sauvages à mains nus. C’est là la première erreur du film. Ce qui devait être une illustration métaphorique de la future vie de Conan semble se vouloir une explication pragmatique sur ses capacités. Interprétation exagérée ? Possible mais l’absence totale de progression du personnage tout le long du film est une porte ouverte à de tels raccourcis. L’ellipse nous introduisant Conan adulte est édifiante en ce sens. On s’attend à retrouver un Conan solitaire à la recherche de l’assassin de son père. On découvre à la place un Conan chef d’une troupe de bandits qui s’en va libérer des esclaves. Tout ce qui a permit la construction du personnage jusqu’à ce stade de sa vie est bazardé dans les limbes du hors champ. Si le film avait immédiatement débuté avec Conan adulte, on n’aurait porté guère de considération sur une telle introduction. En faisant appel au trauma qui a fait de lui ce qu’il est, le film se doit de mettre l’accent sur les tourments de son héros. Or ce trauma ne semble guère peser sur Conan qui a pris le temps pendant toutes ces années de fructifier sa petite affaire et s’est même doté de quelques valeurs morales. Le trauma et sa personnalité sont tellement déconnectés que le personnage en perd toute sa saveur. Il n’est plus cet être innocent jeté brutalement dans l’arène d’une vie cruelle où il faut survivre par la force de la volonté. Conan apparaît au mieux comme un adolescent mécontent partant foutre une raclée au meurtrier de papa par pure obligation éthique. Une quête de vengeance d’autant moins motivée que Conan suit une piste qui lui est tombée toute crue dans le bec, ce qui sous-entend qu’il n’a effectué aucune recherche sur les assassins de son peuple durant ses années d’errance.

Cela donne la faible mesure du spectacle. Car même sans jouer les fans outrés, Conan n’est même pas un divertissement agréable à suivre. On ne demandait pas par exemple au compositeur Tyler Bates de tenter d’égaler la partition de Basil Poledouris (l’une des meilleures musiques de film jamais composées, on ne le rappellera jamais assez). Mais on ne s’attendait pas à quelque chose d’aussi maigrement exaltant. Toutefois, la pire déception provient de Nispel. Travaillant pour la première fois sans son directeur de la photographie attitré Daniel Pearl, Nispel semble faire exploser toutes ses limites de metteur en scène. C’est à se demander si le sens visuel de Massacre A La Tronçonneuse, Pathfinder et même Vendredi 13 était avant tout dû aux sublimes éclairages de Pearl. Diablement fade en terme de photographie et gangréné d’effets spéciaux très limités, la réalisation de Nispel se fait fort insipide. C’est assez dérangeant quant on le compare à Pathfinder, l’autre film barbare de sa filmographie. N’étant pas doté d’un budget colossal, Nispel tenta de faire un film épique de poche où le soin de l’image (notamment par d’extraordinaires hommages à Frazetta) compensait le manque d’ampleur de l’action. Avec Conan, Nispel dispose d’un budget de taille estimé à 90 millions de dollars. Pourtant, malgré cette enveloppe fortement garnie, on ne retrouve pas la passion esthétique de ses précédentes réalisations, ni même la joie de gros moyens bien exécutés. Car quelque soit son budget, le studio Nu Image ne semble définitivement rien savoir faire d’autre que du téléfilm pour seconde partie de soirée. En ce sens, le film rate même ce qui aurait pu être son salut en foirant toutes ses scènes d’action. Dénué d’imagination (la diligence de Sleepy Hollow, le sacrifice d’Indiana Jones Et Le Temple Maudit et les créatures du sable de La Momie), ces séquences sont surtout décourageantes à cause d’un montage juste incompréhensible leur enlevant tout intérêt. Celui-ci était d’ailleurs maigre à la base. En effet, en suivant l’inspiration pulp des nouvelles, le film enchaîne les scènes voulues fortes sans s’excuser de leur gratuité. La scène la plus édifiante sera le combat avec un simili-kraken qui aurait pu être coupé au montage sans aucun souci de cohésion narrative.

Enfoncé par son casting désastreux d’un Jason Momoa trop peu charismatique pour le rôle titre à un Stephen Lang en roue libre en passant par une Rose McGowan toujours aussi anti-sexy (prions pour que le projet Red Sonja tombe définitivement à l’eau), Conan se pose comme la catastrophe cinématographique de l’année. Débile et ennuyeux, le film donne toute sa justification à la contrepèterie « connard le barbant ». Et ça, on s’en serait bien passé.


Réalisation : Marcus Nispel
Scénario : Thomas Dean Donnelly, Joshua Oppenheimer et Sean Hood
Production : Millennium Films
Bande originale : Tyler Bates
Photographie : Thomas Kloss
Origine : USA
Titre original : Conan The Babarian
Date de sortie : 17 août 2011
NOTE : 0/6

1 Comment

  • Je pensais allé voir le film, mais je ne vois que des critiques négatives (plus ou moins), donc je vais plutôt privilégié Comment tuer son boss ;)

    "une Rose McGowan toujours aussi anti-sexy"

    Difficile d'être sexy avec le rôle qu'elle a en tout cas, non ?

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