Chapeau melon et bottes de cuir

REALISATION : Jeremiah Chechik
PRODUCTION : Warner Bros
AVEC : Ralph Fiennes, Uma Thurman, Sean Connery, Jim Broadbent, Fiona Shaw, Eddie Izzard, Eileen Atkins, Carmen Ejogo, John Wood, Keeley Hawes, Patrick Macnee
SCENARIO : Don MacPherson
PHOTOGRAPHIE : Roger Pratt
MONTAGE : Mick Audsley
BANDE ORIGINALE : Joel McNeely
ORIGINE : Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : The Avengers
GENRE : Action, Espionnage, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 19 août 1998
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Londres, 1999. À l’aube de l’an 2000, le chaos règne, notamment dans une Grande-Bretagne en proie à de forts dérèglements climatiques : tempêtes de neiges estivales, averses apocalyptiques, hausses de températures, etc… L’agent secret John Steed et le docteur Emma Peel vont devoir s’associer et conjuguer leurs talents pour percer à jour ce mystère…

On pourra dire ce que l’on veut de cette adaptation conchiée et désormais oubliée de tous, on ne pourra pas nier qu’elle impose une surprenante fidélité avec la série télé qu’elle a tenté d’adapter…

Comment pouvait-il en être autrement ? Comment ne pas craindre l’échec public, les moqueries critiques, voire la vindicte d’une horde de fans bloqués dans leur vivier nostalgique ? Quand bien même adapter une série télévisée au cinéma n’a rien d’une mince affaire, qui plus est quand tant de cinéastes persistent à confondre « adaptation » et « transposition », celle de Chapeau melon et bottes de cuir n’avait aucune chance d’éviter le casse-pipe. Et ce n’est pas en raison de ses prétendus défauts artistiques (pour la plupart injustifiés) ou d’une conception chaotique (sans doute réelle), mais davantage à cause du statut d’une telle série télévisée : inclassable et quasi invraisemblable sur tous les points, et donc impossible à traduire sur grand écran. Cela dit, le résultat réussissant plus d’une fois à friser l’expérimentation totale (donc cohérente avec le style de la série), l’heure est désormais à la nuance sur un film qui, en fin de compte, ne méritait pas d’être conspué ici et là. Chapeau melon et bottes de cuir (alias The Avengers en VO), ce n’est pas seulement une série télévisée mêlant action, espionnage et science-fiction. C’est avant tout un état d’esprit. Mieux : une anomalie réjouissante au sein de la grille du tube cathodique. Il aura d’ailleurs fallu pas moins de six saisons pour que la série créée par Sydney Newman et Leonard White achève de déverser tout son potentiel culte, et ce au travers d’une structure et d’un casting qui n’ont jamais cessé de changer d’une saison à l’autre. Un seul fil directeur à relever, cependant : un certain John Steed, agent secret à parapluie et chapeau melon, décrit comme un personnage secondaire dans la première saison – majoritairement inédite en France – avant de prendre le dessus dans les cinq suivantes, épaulé à chaque fois d’une nouvelle associée. On en comptera trois : l’anthropologue Cathy Gale (saisons 2 et 3), la très sexy Emma Peel (saisons 4 et 5, les plus réussies) et la provocante Tara King (saison 6). Il est aujourd’hui admis, surtout auprès des fans, que la période avec Emma Peel entre 1965 et 1967 fut celle où la série avait atteint son point d’orgue, sans doute à force de tirer aussi indéfiniment, d’un épisode à l’autre, sur une seule et même corde : celle des préliminaires.

Parce que, oui, même si la série reste sage (enfin, façon de parler…) et accessible au public le plus large (là aussi, ça se discute…), c’est peu dire que le sexe s’est imposé comme l’une de ses composantes majeures, la relation entre Steed (le légendaire Patrick Macnee) et Peel (la sublime Diana Rigg) étant à l’image du principe même du show, à savoir « entretenir sans jamais conclure ». Un début, mais pas de fin. Alors, certes, au début de la saison 6, pressée à l’idée de rejoindre son mari miraculeusement vivant, la belle Emma donnait enfin un baiser d’adieu à son partenaire, scellant ainsi la fin des préliminaires et le début d’une nouvelle vie pour eux, chacun de son côté. Sauf qu’un regard attentif sur le mari d’Emma Peel, cadré de dos, rendait vite imparable une grande ressemblance avec la silhouette de John Steed ! Tel est le sel fondamental de cette série : un tandem d’agents secrets complices et complémentaires qui créeront le désir sans jamais cesser de l’exacerber, à la manière d’une cocotte-minute perpétuellement remontée, jusqu’à une fin aussi maline que trompeuse. Si l’on ajoute à cela les combinaisons de cuir ultra moulantes d’Emma Peel (confectionnées par le couturier Pierre Cardin) et une multitude de dialogues piquants sans cesse à double sens (voire plus), la série avait donc tout pour devenir un objet de culte fantasmatique – ce qui fut bel et bien le cas.

Ce n’est toutefois pas le côté sexué de la série télévisée qui pouvait présenter un obstacle sérieux à une adaptation sur grand écran, mais plutôt son caractère inclassable. On évoquait l’absence de fin réelle à propos de la relation entre Steed et Peel, mais chaque saison suivait aussi la même logique : les genres s’y bousculaient sans crier gare, le psychédélisme s’invitait au cœur d’une situation réaliste, la linéarité ne semblait pas de rigueur d’un épisode à l’autre (à part le dernier de chaque saison, il était possible de les voir dans le désordre sans jamais être largué), la résolution de l’intrigue s’effectuait généralement en un claquement de doigts, et la logique prenait parfois de longues vacances au profit d’un surréalisme tous azimuts. D’autant que l’Angleterre y était présentée sous un aspect volontairement désuet, très proche d’un décor de conte de fées, pour ne pas dire du trip fantaisiste. Du coup, la question n°1 ne pouvait que revenir au premier plan : le film ne devait-il être qu’un épisode de plus, qui plus est fini, surtout quand les fans ont une idée arrêtée sur la question (en gros : « No ! ») et que la série en question avait pour principe de ne jamais se terminer ? On ajoute à cela la question n°2 : trente ans après, à qui un tel film était-il censé s’adresser ? Aux nostalgiques qui avaient toutes les chances de craindre la douche froide ? Aux jeunes qui avaient toutes les chances de ne rien piger à un univers aussi barré ? Pas simple comme situation. On en arrive même à se mordre la queue…

Le pire était donc à craindre une fois la mise en chantier du film actée par le studio Warner. Quant à l’équipe sélectionnée, elle laissait clairement à désirer : un producteur (Jerry Weintraub) connu pour avoir massacré la sortie américaine du Grand Bleu en modifiant le montage de Luc Besson sans l’avertir, un réalisateur-tâcheron (Jeremiah Chechik) qui avait tenté un remake US très mal-aimé des Diaboliques de Clouzot, un Ralph Fiennes assez inattendu sous le chapeau melon de John Steed, une Uma Thurman serrée dans la combinaison en cuir moulante d’Emma Peel, un Sean Connery en guise de super-méchant qui veut contrôler la météo pour faire n’importe quoi avec (l’intrigue tourne autour de ça, pas la peine d’en dire davantage…), et cerise sur le gâteau, histoire de se mettre les fans de la série dans la poche, l’apparition-surprise d’un Patrick Macnee en général rendu invisible à la suite d’une expérience ratée ! On ne va pas se le cacher : si Ralph Fiennes s’en sort haut la main en incarnant un Steed impeccable et pince-sans-rire, le reste du casting ne suscite aucune satisfaction, la palme allant à une Uma bottée sans le moindre rapport avec l’héroïne que l’on a tant aimée. Pour tout dire, à cause de ses tenues vestimentaires ultra sexy et de son regard d’action-girl vénéneuse, on a sans cesse l’impression de visualiser la Poison Ivy de Batman & Robin, véritable monument de fluorescence nanardesque dans lequel elle venait tout juste de tourner. Quant à l’ami Sean, on va juste dire qu’il y a Connery dans son déballage sérieux de dialogues ineptes (il suffit d’entendre son discours menaçant au palais de Buckingham) ou de numéros de charme dignes d’un milliardaire gâteux sous Viagra… Ajoutez à cela un scénario accessoire qui enchaîne les dialogues lourdingues, dont les trois quarts centrés sur des jeux de mots faussement piquants et des références à la manière de déguster le thé, et on peut légitimement se permettre de faire la grimace.

Qu’est-ce qu’un tâcheron comme Jeremiah Chechik pouvait apporter visuellement à l’ensemble ? A l’époque de la sortie du film durant l’été 1998, il s’était longuement exprimé sur ses ambitions au magazine Première : « J’ai voulu rester fidèle à l’atmosphère de la série originale, et faire en sorte que le moteur du film soit l’histoire d’amour entre Steed et Peel […] Je ne peux pas dire qu’il s’agisse d’un film purement d’action. C’est-à-dire que c’est un peu comme une pièce de Noel Coward, mais c’est aussi comme un James Bond ou un Alice au pays des merveilles. C’est une combinaison des trois […] Mon ambition a été de faire un film populaire intelligent ». Chacun jugera à sa guise la conformité du résultat envers les intentions d’un cinéaste qui s’est sans doute pris un peu trop le melon, mais force est de constater que le film a su retranscrire de façon brillante l’univers désuet et bizarre de la série. D’entrée, la scène d’ouverture donne le tempo : une suite de bagarres entre John Steed et plusieurs personnages dans une rue londonienne lardée de pièges… qui se révèle n’être en réalité que le décor d’un exercice d’entraînement pour agents secrets ! Bonne entrée en matière pour un film qui fait de l’artificialité son moteur graphique et narratif, installant celle-ci dans une suite de lieux qui semblent parfois repousser les frontières du surréalisme : rues désertes où semble se profiler une menace, parcs silencieux où l’on passe de l’été à l’hiver en dix secondes, chausse-trappes dans le moindre petit décor du quotidien, maisons cadrées comme des maquettes à l’ancienne, escaliers en spirale ou en trompe-l’œil, labyrinthes décrits comme des boucles où l’on revient toujours au point de départ, sans parler d’une vague histoire de clonage (on a droit à deux Emma Peel pour le prix d’une !) ou de curieux détails à la Orange mécanique (les vilains sont déguisés tantôt en gros nounours colorés, tantôt en descendants punks des Droogies). Tout le plaisir ressenti est dans cette impression de voir se dérouler un film en roue libre, dépourvu de tout repère temporel ou chronologique, qui semble construire et redéfinir ses propres règles à chaque scène, histoire d’atteindre un stade de plus dans le décalage absurde et le non-sens jubilatoire.

En cela, il est clair que Chechik a su faire preuve de fidélité, non seulement à la série mais à ce qui caractérise l’esprit british : un peu de pluie (il est très souvent question de mauvais temps), pas mal de non-sens et beaucoup de thé. Par ailleurs, le film étant aussi une redéfinition un tant soit peu moderne de la série télévisée, il n’évite certes pas les ajouts contemporains mais prend soin de les harmoniser à la dimension foutraque de l’intrigue. A titre d’exemple, on y croisera des tempêtes en images de synthèse ou encore une nuée de guêpes mécaniques géantes qui font tout péter quand elles « piquent ». En termes de spectacle, il est cependant clair que le résultat n’égale pas en virtuosité un épisode moyen de James Bond et reste à des années-lumière de l’adaptation triomphale de Mission Impossible par Brian De Palma – sa très étrange bande-annonce le laissait déjà présager. Mais ce qu’il perd en action, il le récupère ailleurs, autant sur l’incongruité des situations qu’au sein d’une narration qui abuse à outrance des inégalités de rythme (ça désoriente autant que ça stimule). Au final, le cinglant échec critique et public du film aura passé sous silence ces qualités loin d’être négligeables, et on peut s’en attrister, tant le résultat ne méritait pas une telle tempête de températures négatives. Aujourd’hui, les choses ont bien changé : Ralph Fiennes a joué les méchants sans nez et sans chapeau melon face à un petit sorcier britannique à lunettes (on ne sait pas si vous vous souvenez…), Uma Thurman boit du Schweppes en attendant de retrouver un vrai grand rôle depuis Kill Bill, Sean Connery coule une retraite paisible dans son Ecosse natale, et Jerry Weintraub s’est vite refait une santé en produisant la saga Ocean’s avec la bande à Steven Soderbergh. Quant à ce pauvre Jeremiah Chechik, il s’est depuis longtemps recyclé dans la réalisation de certains épisodes de la série Chuck. Encore une histoire d’agent secret, comme par hasard…

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