Paycheck

Pour beaucoup, l’ultime long-métrage réalisé par John Woo sur le sol américain a clôturé une période de sa carrière de la même manière qu’elle a commencé : sans éclat. De Chasse A L’Homme à Paycheck, la période US de Woo sera faite de quelques grands films (Volte/Face et Windtalkers si on prend en compte le director’s cut jamais exploité dans nos contrées) et de pas mal de cafouillages (Broken Arrow, Mission Impossible II et des panouilles télévisuelles peu glorieuses). Le reproche revenant régulièrement s’avèrera le fait de voir une réutilisation béate des recettes de ses films hongkongais. D’une certaine manière, c’est par là même qu’on peut dire que le tableau n’est pas si noir. Un réalisateur de l’envergure de Woo ne peut plus se considérer comme un simple exécutant et tend à prendre à bras le corps ce qu’on lui soumet. Malgré leurs déficiences multiples, les films de cette période brillent par des éclairs virtuoses de mise en scène et les ambitions de son auteur. Paycheck ne fait pas exception à la règle. On pourrait pourtant croire que sa piètre réputation forgée dès la sortie en salles est justifiée par le miscast complet dont fait l’objet Woo ici. Le réalisateur de The Killer l’admet sans détour dans le making of : la science-fiction, ça ne l’intéresse pas. Il apprécie le genre mais se juge complètement inapte à l’investir. C’est ainsi qu’il avait réclamé sur Volte/Face que le contexte futuriste initialement développé par le script soit évacué au profit d’une ambiance contemporaine. C’est en lui rappelant au bon souvenir de cette expérience que son producteur attitré Terence Chang le convaincra d’accepter de réaliser cette adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick. En soit, Chang commettra une erreur d’approche même si cette erreur permettra à Woo de se laisser définitivement séduire par le propos de l’histoire.

Le fait est qu’à l’inverse de Volte/Face, Paycheck ne peut se détourner complètement de son caractère science-fictionnel. Une opération chirurgicale aussi rocambolesque qu’un échange de visage peut paraître crédible dans un contexte contemporain si on la détaille avec minutie et soin. On peut même accepter le fonctionnement d’une prison magnétique, pas forcément irréaliste au vu de la technologie actuelle. Par contre, une machine capable de voir l’avenir reste en l’état une pure invention de science-fiction. Etant l’enjeu de l’histoire, elle est incontournable et Woo se doit de composer avec au moins un élément futuriste. De ce fait, Paycheck ne peut suivre la même voie que Volte/Face et est obligé de se placer dans un contexte futuriste. Et même si Woo souhaite modérer les choses en optant pour un avenir immédiat, sa maigre maîtrise du genre a tout le temps d’exploser. Sur le plan de l’anticipation, Paycheck se montre juste embarrassant de ringardise avec un alignement d’idées éculées. Face aux possibilités d’imaginaire d’un tel genre, c’est ennuyeux et Woo ne peut que plaider coupable. Il tente toutefois de rattraper le coup en orientant certains aspects vers ce qu’il connaît. Cela peut tenir à un gadget servant à véhiculer les émotions des personnages. Par exemple, lors d’un interrogatoire, le héros est placé sur un siège rotatif. L’invention en elle-même est assez ridicule (c’est un bête siège tournant sur lui-même au milieu d’une pièce vide) mais il permet de mettre en œuvre un mouvement de caméra de circulaire. Ce mouvement nous fait partager la perte de repères et le côté désemparé du personnage. A un niveau symbolique et plus intéressant, le fonctionnement de la machine servant à voir l’avenir se fonde sur le principe de lecture des lignes de la main. Bref, un appareil au cachet plus mystique que technologique démontrant la manière dont Woo se réapproprie le matériau.

Les multiples adaptations des œuvres de Philip K. Dick nous ont habitué à leurs prises de liberté. Globalement, il s’agit moins de s’attacher aux intrigues développées par l’auteur du Maître Du Haut Château que de respecter l’esprit et l’ambiance de ses histoires. Paycheck ne déroge pas à cette règle. De la nouvelle originale est juste conservé le concept. On retrouve donc un ingénieur effaçant sa mémoire après chaque mission. Lors de son dernier travail, il découvre qu’il a renoncé à son opulent salaire au profit d’un lot d’objets de la vie courante. Ses objets banals lui seront néanmoins d’un grand secours pour faire face à différents évènements en lien avec son passé effacé. A part ce point de base, l’intrigue ne retient rien d’autre, pas même les objets utilisés. Le scénariste Dean Georgaris s’est d’ailleurs fixé ce choix dès le début de l’écriture. Une manière de se forcer à exploiter le caractère ludique du concept où une pièce, un trombone ou une paire de lunettes transforme un quidam en super agent espion. Un aspect présent bien que pas forcément très passionnant. C’est que c’est sur le pur travail de fond que John Woo va faire la différence. L’une des meilleures idées du film, il l’apporte dès son arrivée sur le projet : donner des rêves récurrents au héros où il se voit être tué. L’idée simple donne un certain relief au parcours du personnage. Hanté par l’image de sa propre mort, il cherche à remédier à ce destin sans voir que le parcours déterminé par son autre lui ne fait que l’y conduire. En sacrifiant son passé, le personnage a effacé l’identité qu’il s’est construite et est redevenu l’être vide et sans attache tel que présenté dans l’introduction. Ce dernier doit donc mourir pour qu’il puisse se retrouver lui-même. Bien qu’il se refusa à employer ses figures de style habituelles, Woo n’a pu s’empêcher d’insérer une colombe lors du moment où le rêve et la réalité se rejoignent. Une manière de signifier l’instant éphémère de paix au moment où le personnage se réalise. Dommage que l’issue de cette image conduise à une conclusion pour le moins bancale car résolvant avec une facilité déconcertante ce cheminement intérieur.

A l’image de cette banale note finale, le film reste marqué par cette contrariété entre une pure machinerie de studio pas très regardante sur les détails et un Woo réclamant une exploration émotionnelle par un travail en profondeur. Des sentiments ambivalents qu’exprime lui-même Woo. Car si il ne regrette aucunement cet exode américain lui ayant offert un formidable enrichissement technique, il se montre également exaspéré par une production où chaque décision fait l’objet d’interminables discussions au détriment du tournage. Une déclaration dévoilant des regrets qui peuvent être facilement décelés lorsque les propos des bonus du DVD contredisent le rendu même du film. Esthétiquement, Woo affirme désirer s’éloigner des mesures communes du genre où prédominent les teintes grises et métalliques. Or, Paycheck s’inscrit complètement dans ces tons sans saveur avec ses décors froids et en ciment. Les seuls passages un tantinet colorés proviennent de l’utilisation de la nature avec notamment le centre de recherche contenant des cultures botaniques. Encore une idée de qui d’après vous ? Au-delà du rafraîchissement visuel, de telles incursions ont bien sûr une importance que ce soit par rapport au développement de certains rapports (le personnage féminin est souvent entouré de plantes pour rappeler qu’elle est la source de vie du héros) ou pour amplifier la tension dramatique (la simulation d’un temps orageux dans le climax).

Pour Woo, il s’agit là de réveiller les sentiments primordiaux de son histoire. C’est pour la même raison qu’il justifie la patine hitchcockienne de sa réalisation. Grand admirateur du maître (il tournera d’ailleurs avec Mission Impossible II un remake officieux de Les Enchaînés), il use de ses artifices intemporels pour évoquer le principe d’émotion naissant de la pure mise en scène. S’en suit donc un festival de citations : les inséparables de Les Oiseaux, le héros poursuivit par un engin de locomotion déshumanisé dans La Mort Aux trousses, l’image du double de Sueurs Froides, le message laissée sur une surface vitrée et révélée par de la buée dans Une Femme Disparaît… Des choix à la réussite bien sûr relative. Car malgré une coupe de cheveux et un costume censés évoquer Cary Grant, Ben Affleck n’arrive pas à avoir un centième du charisme de son modèle et se permet même d’offrir une de ses prestations les plus désincarnées. Apparemment guère dupe du résultat, Affleck tente de s’offrir des lots de consolation, comme demander à Woo de lui donner un mexican standoff quand bien même cela ne s’accorde pas avec la personnalité de son personnage. Woo se fait rattraper par Woo en quelque sorte et cela culmine dans la poursuite en moto à mi-parcours. Une séquence d’une belle inutilité (on n’est pas loin de la poursuite d’Osterman Week-End) mais que Woo rend au moins amusante à regarder par un traitement en longueur lui laissant la latitude d’étaler sa virtuosité en terme d’action.

En ce sens, malgré sa capacité à investir son sujet et à rechercher les meilleures idées pour le transcender (il improvisera à même le plateau de nombreux jeux de reflets en lien avec la quête identitaire), Woo n’arrive pas à faire de Paycheck un excellent film ou même juste un bon. Trop timoré par les forces en présence, son seul mérite reste celui d’avoir parsemé en son sein des idées proprement grandioses le hissant juste au-dessus de la norme. Le minimum qu’on peut attendre d’un cinéaste comme Woo, donc.

Réalisation : John Woo
Scénario : Dean Georgaris
Production : Paramount Pictures
Bande originale : John Powell
Photographie : Jeffrey L. Kimball
Origine : USA
Titre original : Paycheck
Année de sortie : 2003

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