Fenêtres sur Courts 2014

Courts Billy Box

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Imposteur de Veronica Da Costa et elie Chapuis / Wind de Robert Löbel

Le festival quitte momentanément le cinéma Eldorado au profit la salle de La Vapeur pour cette sélection de court-métrages animés. Un choix pratique puisque cinq films sont accompagnés par une musique interprétée en direct. Le choix des courts soumis à l’exercice s’est logiquement porté sur des œuvres avant tout visuelles, brèves et présentant une certaine dynamique. Trois courts-métrages (Escarface et ses mamies braqueuses de banque, Sun Of A Beach et sa journée à la plage très chaude, Rob n’ Ron et ses hors-la-loi fantoches) fonctionnent comme des blagues autour d’une situation donnée. On pourrait également y rattacher le franco-suisse Imposteur de Veronica Da Costa et Elie Chapuis si son délicieux look horrifique ne le distinguait pas des autres. Le néerlandais The Animation Of A Man d’Amanda Nerdermeijer fonctionne lui aussi sur un mode comique mais le court se pose avant tout comme une démonstration d’animation image par image. En l’état, il s’agissait de parfaits candidats pour cette agréable expérience musicale. On relèvera que quelques autres courts auraient pu se prêter à la méthode comme l’allemand Wind de Robert Lobel et ses personnages luttant contre un vent incessant ou le français Supervénus de Frédéric Doazan et sa création de la femme parfaite qui tourne en eau de boudin.


Man On The Chair de Dahee Jehong

Parmi les autres films proposés « au naturel », on retrouvera deux courts qui ont déjà bénéficié d’une certaine renommée. L’oscarisé Mr Hublot de Laurent Witz propose une histoire pépère de quidam dont la vie trop bien réglée est bousculée par l’arrivée d’un élément perturbateur. Ce récit mille fois vu vaut principalement pour les recherches visuelles autour d’un univers entièrement mécaniques. Récompensé au festival d’Annecy, Man On The Chair du coréen Dahee Jehong est lui par contre un trip existentialiste de premier ordre gorgé d’expérimentations hallucinantes.

La sélection propose également deux courts un peu plus classiques mais de fort belles qualités. The Ringer de Chris Shepherd propose un mélange de film live et d’animation. Dans les prises de vue réelles, on suit un animateur qui rencontre pour la première fois son père. Plutôt que de faire connaissance, ce dernier veut absolument lui refiler des scénarios à réaliser. Lesdites histoires ouvrent la porte à une animation dans un style évoquant des affiches grindhouse pliées et froissées. Le sujet lui tenant tout particulièrement à cœur (le court est dédicacé à son père), Shepherd tire le meilleur parti de son drame (en dépit d’une conclusion un brin frustrante). Snow d’Ivana Sebestova est quant à lui une petite merveille. La réalisatrice conte l’histoire d’une jeune femme lisant au quartier les courriers écrit par son compagnon parti à la recherche d’un flocon de neige parfait. Séduisant tout d’abord, le court cueille lorsqu’il amorce un travail psychologique confrontant l’héroïne à ses propres choix. Contrairement à Bang Bang, le court évite de trop jouer la carte de la référence afin de trouver sa propre voix. De cette quête de spécificité, le court trouve une force qui culmine dans un climax spirituel d’une certaine folie graphique.


Snow d’Ivana Sebestova

Enfin, un petit mot sur le français Maman de Kevin Manach et Ugo Bienvenu qui dépeint une tranche de quotidien d’un foyer. Personne dans la salle ne semble avoir bien compris ce que tout ceci pouvait bien signifier. Du coup, il a été décidé de troquer la perplexité pour l’hilarité. On n’a pas perdu au change.

Zombie Zomba

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Dieu reconnaîtra Les Siens de Cédric Le Men / 24 Horas Con Lucia de Marcos Cabota

Cette année, la fréquentation du festival aura réussi à étonner les organisateurs eux-mêmes. Alors que la compétition nationale à l’auditorium a rassemblé le double de spectateurs par rapport à l’année dernière, la soirée consacrée à l’horreur a fait salle comble. C’est donc bien la preuve, messieurs les distributeurs, que le public de cinéma de genre existe dans nos contrées. Histoire d’enfoncer le clou, on notera que la majorité des films de la sélection sont français. Toutefois, on sera aussi quelque peu obligés de constater les limites récurrentes quant à l’exercice du genre dans l’hexagone. Le résultat pâtit trop souvent de clins d’œil appuyés limitant très souvent l‘intérêt des courts. La démarche est rendue encore plus agaçante lorsqu’elle cherche consciencieusement à se la jouer « à l’américaine » dans un contexte ne s’y prêtant pas. C’est le cas de The Lost Ones de Clément Varnier. Chronique d’un quotidien en milieu zombie, le court gâche ses qualités par cette pose. Tourné avec des moyens de toute évidence amateurs, la réalisation se montre cependant appréciable par son approche naturaliste. Celle-ci rend ainsi inutile une voix-off paraphrasant stupidement ce qui se passe à l’écran. Une voix-off d’autant plus énervante qu’elle est en anglais alors que l’action prend clairement place en France.

Dieu Reconnaîtra Les Siens de Cédric Le Men paie son tribut à La Nuit Des Morts-Vivants (dont les personnages regardent un extrait à la télé). Lors de sa présentation, le réalisateur expliquera que l’idée est venue de son scénariste qui en avait assez des éternels zombies assiégeant des survivants réfugiés dans une maison. Pour autant, l’originalité n’étouffe pas le court. L’histoire se fonde juste sur un renversement de valeurs qui était déjà en germe dans la conclusion du chef- d’œuvre signé par George Romero. L’idée aura quand même su séduire le jury qui octroiera une mention spéciale à ce court bénéficiant au moins d’une certaine tenue visuelle. L’espagnol 24 Horas Con Lucia de Marcos Cabota propose lui aussi de citer directement par un extrait l’œuvre qui a définit son caractère. En l’occurrence, il s’agit du final de La Vie De Brian. Car le héros de ce court voit effectivement la vie du bon côté lorsqu’il se rend compte que sa femme possédée par un démon est plus vivable qu’auparavant. Le résultat a le mérite d’être drôle tout en se montrant respectueux vis-à-vis du genre dans sa fabrication.

La France tente aussi le mélange d’horreur et de comédie. On passera rapidement sur Guys VS Zombies, potacherie post-Shaun Of The Dead où deux niquedouilles zigouillent une enfant-zombie qui s’est introduit chez eux. Dring of The Dead de Gael Pourveau et Mathieu Auvray se montre lui plus réussit. Conçu sur un principe d’association (faire un court avec un poisson et une cabine téléphonique), les deux réalisateurs exploitent une situation typique du genre avec une bonne dose d’amusement. Moustache From The Moon de Sélim Atmane fait également son petit effet. C’est une fausse bande annonce pour une série Z pompée sur L’invasion Des Profanateurs De Sépultures. Dans un style bien 50’s, on nous promet un spectacle de terreur hors norme sur une invasion de moustaches de l’espace. Un sympathique travail de mimétisme.

Dans un registre plus premier degré, on trouvera Silence de Pierre-Gil Lecouvrey qui remportera le grand prix de la sélection. Le court pourrait se voir comme une version sérieuse de l’ouverture de S.O.S. Fantômes. L’histoire est peut-être un peu longue à s’installer, laissant son couple déambuler seule dans une bibliothèque déserte (petite mention quand même au passage où le mec bazarde des DVD de Godard, Rivette et Rohmer). Le tout est néanmoins honnêtement exécuté. Enchaînés de Stéphane Youssouf est un poil plus intéressant. Le court joue sur le principe de voyous qui vont devoir faire face à l’horreur absolue. Dans le cas présent, cela consiste en des cambrioleurs s’introduisant dans la maison d’un serial-killer. En dépit de moments à la vraisemblance discutable, Youssouf décline son concept avec une bonne dose d’efficacité.


Enchaînés de Stéphane Youssouf

La sélection s’est conclue avec l’américain Séquence de Carles Torrens. Un homme se réveille un matin et découvre que tout le monde a fait un cauchemar où il intervient. Une histoire à la Quatrième Dimension que le réalisateur manipule plutôt habilement sur tout le long. Traumatisé par cette vision nocturne, la population traite le personnage avec distance et inquiétude sans pour autant lui dire en quoi consiste le cauchemar. Le scénario construit un certain attachement envers ce protagoniste rejeté de toutes parts et obligé d’accepter son nouveau statut. Si la chute est excellente, il s’avère néanmoins regrettable qu’elle passe par la divulgation dudit cauchemar et que celui ne consiste qu’en une citation directe à Society (le générique de fin insiste carrément sur la nécessité de voir le film de Bryan Yuzna). Un choix un peu léger par rapport aux multiples possibilités galopant dans la tête du spectateur en cours de film.

Focus Suisse


Yuri Lennon’s Landing On alpa 46 d’Anthony Vouardoux

En clôture du festival, il a été choisi de laisser le champ libre à nos voisins helvètes dont la cinématographie n’est pourtant guère renommée. Etonnamment, on trouvera dans cette sélection des recherches de formalisme poussées et assez concluantes. C’est le cas du meilleur court du lot, Yuri Lennon’s Landing On Alpha 46 d’Anthony Vouardoux. Derrière ce titre barbare se cache le récit de l’alunissage d’un cosmonaute sur une lune de Jupiter. La particularité du court est d’être constitué d’un unique plan-séquence. Cette forme est brillamment utilisée lors de la phase d’atterrissage sur l’astre. La mise en scène se contente d’un plan fixe sur le cosmonaute et les seules images spatiales visibles sont celles se reflétant sur son casque. Un choix inventif renforcé par un excellent travail de photographie et d’effets spéciaux. La suite avec l’exploration de l’astre prend un tour plus traditionnel avec une action suivie en steadycam. Le caractère sensitif de la première partie est donc abandonné au profit de l’histoire qui exploite un paradoxe aussi comique que vertigineux.

Le Miroir de Ramon et Pedro se construit également sur un unique plan-séquence. A ce premier défi technique se rajoute celui d’utiliser une vue subjective. Devant le miroir, un garçon se lave. Au fur et à mesure de ses actions, on se rend compte qu’il vieillit. Le concept était déjà visible dans une scène de Final Cut… elle-même inspirée par une idée de Terminator 2 ! Rien de neuf donc mais l’exécution a le mérite d’être suffisamment virtuose pour impressionner. Einspruch VI de Rolando Colla opte également pour un tournage intégralement en vue subjective (sans plan-séquence en revanche). Relatant un fait divers autour de l’expulsion d’un nigérien, Colla use du dispositif comme d’un argument massue pour sensibiliser au maximum le spectateur sur le drame en cours. L’immersion et l’empathie inhérente au procédé fonctionnent au-delà de la lourdeur de l’intention et des maladresses du découpage.


Einspruch VI de Rolando Colla

Dans un genre plus léger, on trouve Il Neige A Marrakech d’Hicham Alhayat. N’arrivant pas à obtenir de visa pour son père, le personnage principal (joué par Atmen Kelif) décide de travestir la station marocaine d’Oukaimeden en Alpes Suisse. Sauf qu’à part la neige, les deux lieux n’ont pas grand chose en commun. Les efforts des protagonistes pour faire fonctionner la mascarade offre une comédie efficace. Heimatland et Manfred sont eux deux courts d’animation assez plaisants. Dans le premier, un homme pète tout seul un plomb suite à l’emménagement d’un voisin arabe. Dans le second, le héros a une tendance à égarer des choses dans son nez. La sélection et le festival se clôtureront sur Cartographie 9 : La Boule D’or de Bruno Deville. On aurait pu espérer une meilleure conclusion au festival que ce documentaire interdit aux récalcitrants des chorégraphies expérimentales. Mais on n’en tiendra guère rigueur au regard d’une sélection qui aura su combler toutes nos attentes et bien plus encore.

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