REALISATION : Zack Snyder
PRODUCTION : Legendary Pictures, Cruel and Unusual Films, Warner Bros. Pictures, Lennox House Films
AVEC : Emily Browning, Abbie Cornish, Jena Malone, Vanessa Hudgens, Jamie Chung, Carla Gugino, Scott Glenn
SCENARIO : Zack Snyder, Steve Shibuya
PHOTOGRAPHIE : Larry Fong
MONTAGE : William Hoy
BANDE ORIGINALE : Tyler Bates
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Fantastique, Action, Thriller
DATE DE SORTIE : 30 mars 2011
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Bienvenue dans l’imaginaire débordant d’une jeune fille dont les rêves sont la seule échappatoire à sa vie cauchemardesque… S’affranchissant des contraintes de temps et d’espace, elle est libre d’aller là où l’entraîne son imagination, jusqu’à brouiller la frontière entre réalité et fantasme… Enfermée contre son gré, Babydoll a toujours envie de se battre pour reconquérir sa liberté. Combative, elle pousse quatre autres jeunes filles – la timorée Sweet Pea, Rocket la grande gueule, Blondie la futée, et la loyale Amber – à s’unir pour échapper à leurs redoutables ravisseurs, Blue et Madame Gorski – avant que le mystérieux High Roller ne vienne s’emparer de Babydoll. Avec Babydoll à leur tête, les filles partent en guerre contre des créatures fantastiques, des samouraïs et des serpents, grâce à un arsenal virtuel et à l’aide d’un Sage. Mais ce n’est qu’à ce prix qu’elles pourront – peut-être – recouvrer la liberté…

La mauvaise nouvelle, on la gardera sous silence pour la révéler calmement à la toute fin de cette critique. La bonne nouvelle, c’est que Sucker Punch tombe à point nommé pour régler le cas Zack Snyder une fois pour toutes. Cinéaste-geek autoproclamé ou auteur boursouflé, on va enfin pouvoir trancher. Depuis qu’il s’est attiré un certain respect pour avoir su faire du remake casse-gueule de Zombie un gros spectacle gore aussi brillamment réalisé que dénué de prétention, Snyder partait à la conquête d’Hollywood. Au point d’imposer, dès le succès des adaptations ciné de 300 et de Watchmen, un style désormais reconnaissable en trois points : une photo surléchée et surchargée en filtres divers, un montage ultra-cut censé donner à chaque plan la dimension d’une orgie survoltée, une grosse dose de musique tonitruante (si possible avec de célèbres tubes remixés) qui perfore les tympans à défaut de savoir faire autre chose. Le reste, à savoir la création d’un univers crédible et une mise en scène laissant au spectateur le soin de l’investir avec sa propre perception des choses, tout ça, le bonhomme semblait n’en avoir rien à faire. Et si l’on souhaitait y voir la naissance d’un véritable auteur maniériste, capable de digérer les influences de ses modèles et de se réappoprier les images pour jouer avec leurs codes, rappelons qu’il n’est pas le seul (Brian de Palma et Tarsem Singh sont déjà passés par là) et qu’il est loin d’être le meilleur (répétez la parenthèse précédente).

Pour autant, soyons honnêtes : en adaptant non sans risque Watchmen (alias le pavé cultissime d’Alan Moore), Snyder avait démontré de sérieuses capacités de filmeur, donnant aux meilleurs moments du film une réelle dimension mythologique, une mélancolie sous-jacente mettant au premier plan la problématisation du statut du super-héros, et une vraie faculté à extraire l’esthétique du clip pour la tirer vers le haut sans limiter son film à une vague démonstration de savoir-faire. On était donc tout disposé à croire que le bonhomme puisse rivaliser avec les plus grands s’il transcendait ces quelques espoirs en laissant de côté ses démons récurrents. On était d’autant plus impatient que la bande-annonce de ce cinquième film, assez démente, ne laissait filtrer que peu d’indications sur ce dont il était question. Et on était très alléché à l’idée de découvrir un long-métrage pour une fois conçu dans ses moindres recoins par ses propres soins (c’est son premier scénario original), qui plus est avec les promesses d’un spectacle dantesque à destination des geeks les plus bornés. Reste qu’entre temps, on a vu le film.

Si Sucker Punch était attendu, c’est clairement parce qu’on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Comme avec la plupart des oeuvres au statut culte trop vite intégré, on pouvait s’attendre à une claque ou à une déception, c’est certain. Mais assister à un tel degré de néant relève du foutage de gueule pur et simple, surtout de la part d’un cinéaste comme Zack Snyder. De son horrible scène d’exposition jusqu’à la dernière seconde du générique final, en passant par la mise en scène et la production design, tout semble avoir été confié ici à un fanboy au tempérament dépressif, sans doute trahi par une enfance difficile, et qui, après avoir chopé quelques jouets dans une vieille mallette qui prenait la poussière au grenier, se serait dit que, pour oublier la réalité, autant s’amuser avec tout ce qui lui tombe sous la main. En gros, pour oublier les horreurs du monde réel, autant faire fonctionner l’esprit. Mais ça, c’est pour plus tard. Dans un premier temps, nous voilà embarqués dans un terrifiant voyage immobile au coeur d’un terrifiant asile d’aliénés, dirigé d’une main de fer par un gardien sadique et une psychiatre adepte de méthodes assez particulières (confier ce rôle à Carla Gugino n’était d’ailleurs pas l’idée du siècle). C’est dans ce contexte terrifiant que débarque une jeune ingénue, contrainte par son sinistre beau-père à subir un long traitement de choc, avec, au bout du voyage, une lobotomie magouillée à grands coups de liasses de billets verts.

En moins d’un quart d’heure, le décor est planté, les situations sont établies, les personnages sont caractérisés, et nous, on tombe des nues : en misant tout sur une esthétique indigne de celle d’un mauvais clip de Marilyn Manson et sur des ralentis interminables qui ne font que surligner pesamment ce que l’on comprend en un tiers de seconde, Zack Snyder pervertit d’entrée tout ce qui pouvait jusque-là être intéressant dans son style. Le plus embarassant, c’est que sa mise en images se limite ici à une succession de séquences pesantes et déplaisantes qui, au sens littéral du terme, font carrément figure d’agression : à l’instar de sa pauvre héroïne, enfermée dans un lieu sinistre qui suinte la mort, la violence et le mal-être à chaque coin de couloir, voilà que le spectateur se retrouve contraint de subir un « traitement » qui va tester la résistance de ses cinq sens. A tout prendre, c’est surtout la vue et l’ouïe qui en prennent pour leur grade : outre un visuel agressif, aussi moche que numérisé sans conscience, et qui refilerait presque la nostalgie des copies granuleuses, il faudra se farcir un choix musical aussi aberrant qu’assourdissant, qui, lorsqu’il ne se traduit pas par du badaboum sonore, se contente d’empiler les remixages de célèbres tubes (« We will rock you » de Queen, « Sweet dreams » d’Eurythmics…) et quelques curiosités sans intérêt (que vient faire Björk dans cette galère ?).

Pour autant, ce n’est même pas avec sa dramaturgie que Snyder parvient à relever la barre, loin de là. Son scénario, entièrement bâti autour d’une idée de départ très mal exploitée (on y reviendra plus bas), ne prend jamais le temps de donner la moindre cohérence à son univers et élabore des arcs narratifs d’une rare pauvreté. Quant aux personnages, tous maquillés comme chez Baz Luhrmann et caractérisés de façon binaire, contentons-nous de préciser qu’ici, les gentils sont juste de pauvres victimes soumises aux contraintes et aux sévices de méchants super vilains qui ont tous le mot « salaud » tatoué sur les couilles, en particulier un beau-père qui se contente de multiplier les rictus (quelle subtilité !) et le gardien-tenancier incarné par Oscar Isaac, tellement vicieux et sadique derrière son look de mac super classe qu’il finit par devenir sérieusement irritant. Extrêmement désagréable en raison de son extrême violence et de son pessimisme surligné toutes les cinq secondes, Sucker Punch ne devait alors son échappée belle qu’à partir du moment où l’héroïne (Emily Browning, très fade) et ses quatre nouvelles copines décident de se lancer dans une évasion plus que risquée. Une évasion qui, belle audace, déroule chacune de ses étapes successives comme autant de parenthèses où les cinq prisonnières laissent gambader leurs esprits dans des univers fantasmagoriques à forte dimension référentielle.

Sauf que là encore, c’est le drame : non content de ne créer aucun lien narratif entre le réel et le fantasme (hormis le temps d’un dénouement final assez schématique), Snyder crée surtout de véritables cassures injustifiées dans son propre script. Un exemple : dans le réel, les quatre filles doivent dérober un plan de la prison pendant que la cinquième distrait tout le monde en dansant (on ne verra jamais la danse en question), et dans l’imaginaire, les voilà surarmées dans des tranchées lorraines en train de dérouiller des zombies nazis jusqu’à arracher une carte au trésor à un traître (quel rapport ?!?). Si l’objectif reste à chaque fois le même (en gros, trouver un objet), son illustration fantasmagorique est en revanche dénuée de toute cohérence, et se contente de recycler une imagerie cinéphile sans aucun rapport avec l’action du monde réel. Sans oublier le vieux briscard (pauvre Scott Glenn) qui, à chaque fin de speech sur la mission à effectuer, nous récite son petit conseil énigmatique sans intérêt. Bon, certes, c’est clair que, le temps d’une séance, ça peut faire son petit effet de voir cinq jeunes actrices, fringuées comme des amazones et lardées de cuir moulant, en train de dézinguer tout ce qui bouge à grands coups de sabre ou de flingues, et plus encore quand l’une d’elles, à savoir Vanessa Hudgens (vous savez, la brune de High School Musical…), semble avoir pris le relooking badass pour une forme moderne d’émancipation. Mais avec un montage incohérent et illisible, on déchante fissa. Et après un combat minable face à un dragon numérique et des samouraïs surnaturels, voilà que survient le clou du spectacle : une fusillade dans un train où les héroïnes affrontent des robots, et où la succession de mouvements improbables, collés les uns aux autres en un faux plan-séquence, donne naissance à l’une des pires scènes d’action jamais vues sur un écran. Un jeu vidéo grandeur nature ? Oui, sauf que l’interactivité est au niveau zéro : le seul qui s’amuse ici, c’est le réalisateur.

Reste ensuite la grande question : de quoi parle réellement le film ? On l’aura très vite compris : derrière cette idée d’un imaginaire qu’il va s’agir d’investir pour transcender les contraintes du réel, Sucker Punch voudrait une fois de plus célébrer la puissance de l’esprit sur l’immobilisme d’une réalité dominée par les règles et les apparences. Or, pour ce qui est d’aborder frontalement la thématique du libre-arbitre, Zack Snyder ne développe aucun argument nouveau (faute d’inventivité) et ne réussit jamais à construire un quelconque point de vue (faute d’un scénario qui part dans tous les sens). Du coup, pour la démarche soi-disant « auteuriste » que certains ne manqueront pas de voir là-dedans, on peut passer son chemin. Pire encore : si le but était d’opposer le réel et le virtuel en deux univers distincts et contradictoires, difficile de savoir pourquoi Snyder a choisi de les rendre tous les deux équivalents d’un point de vue esthétique, repassant sans cesse ses plans d’une bonne couche de ripolinage numérique et donnant à chaque scène la désagréable allure d’une cinématique de jeu vidéo mal branlée. Avec ce parti pris insensé, le film conserve la même dimension unilatérale et procure du coup un ennui pressant. Quant à cette idée d’un imaginaire extrait d’un imaginaire lui-même ouvert dans la réalité, autant revoir Inception pour mesurer à quel point l’exploration des rêves imbriqués, si elle est incarnée avec intelligence, peut devenir une immersion particulièrement délicieuse.

Au bout du compte, on aurait voulu croire que Zack Snyder pouvait progresser avec talent sur une route toute tracée, mais ce monumental échec lui donne définitivement la prestance d’un tâcheron immature, même pas capable de surfer allègrement sur la pente de la connerie régressive comme Michael Bay a su si bien le faire. Pour son prochain coup, on attendra autre chose qu’un banal discours sur l’émancipation et le libre-arbitre, enrobé d’un emballage clinquant et horripilant. En cela, la voix off finale achève de nous mettre le coup de grâce : pour résumer la morale pseudo-anarchiste du truc, la seule personne qui peut refuser les règles et qui peut se battre pour sa liberté, c’est vous, parce que votre imagination, en plus d’être toujours plus forte que la réalité, est synonyme de pouvoir absolu. Par corollaire, et sans vouloir verser dans la démagogie, on pourrait dire la chose suivante : la seule personne qui possède le droit de s’épargner deux heures de torture sur pellicule, c’est vous, chers spectateurs, parce que vous avez les cartes en main et que vous avez le droit de manifester votre colère si un film a réussi à vous mettre dans cet état. On aura beau reconnaître que l’activité de critique ciné puisse être vue par certains comme une sorte de réflexion constructive et argumentée, mais on vous assure qu’après s’être tapé ce genre de daube, ça devient plus un défouloir qu’autre chose… Ah oui, encore une chose : la mauvaise nouvelle, c’est que le film n’est pas bon.


Guillaume Gas

Cinéphage hardcore depuis mes six printemps (le jour où une VHS pourrave de Tron trouva sa place dans mon magnétoscope), DVDvore compulsif, consommateur aguerri de films singuliers et/ou zarbis, défenseur absolu de Terrence Malick et de Nicolas Winding Refn, et surtout, enclin à chercher jour après jour dans le cinéma un puits infini de sensations, qu'elles soient fortes, émouvantes, agressives ou uniques en leur genre. Toujours prêt à dégainer ma plume pour causer cinéma et donner envie à chacun de se rendre dans cette délicieuse Matrice que l'on appelle une "salle obscure"...

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