Sherlock Holmes 2 : Jeu D’Ombres

L’anecdote est connue. En 1899 se monte une pièce de théâtre consacrée au célèbre détective Sherlock Holmes. Son créateur, Sir Arthur Conan Doyle, s’est lui-même chargé de l’écriture. Toutefois, l’acteur principal, William Gillette, désire réécrire lui-même la pièce. En bon gentleman, il demande la permission à Doyle en avançant notamment son envie d’incorporer une romance à l’histoire. À cette proposition, Doyle répondra : « mariez-le, assassinez-le, disposez de lui comme bon vous semble ! ». ça n’est un secret pour personne : Doyle détestait Holmes, cette création excessivement adulée par le public et qui l’empêchera de s’épanouir dans des œuvres consacrées au spiritisme ou à l’Histoire qu’il juge au combien plus importante. Un siècle plus tard, la Warner annonce son désir de remettre au goût du jour ce bon vieux Holmes et met aux commandes le redoutable Guy Ritchie. Du coup, on s’attend moins à ce que le produit honore l’œuvre elle-même que les intentions de son auteur d’en faire n’importe quoi. Or surprise, Sherlock Holmes next generation fait plutôt bonne impression. Ritchie laisse son style aussi creux que tapageur se diluer dans une gigantesque machinerie hollywoodienne plutôt bien huilée au service d’une intrigue assez respectueuse de son matériau. Porté par Robert Downey Jr au sommet, le film exploitait de manière assez délectable les sens aiguisés du détective de Baker Street et arrivait même à caresser par instants des ambitions de steampunk. C’est d’ailleurs en jouant sur cet aspect que le film annonçait une potentielle suite. Du haut du Tower Bridge en construction où se situe le climax, Holmes contemple un orage en formation mais qu’il a le temps de voir venir. Car si Holmes a triomphé de Lord Blackwood, l’invention de ce dernier s’avère être tombée dans les mains du professeur Moriarty. Nul doute que le Napoléon du crime allait s’en servir pour de biens sinistres projets annonçant une suite aux enjeux surdimensionnés.

Naturellement, Jeu D’Ombres (tel est le nom donné à ce second opus) suit donc la logique du bigger & louder. Laissons tomber le ratio 1.85 et accueillons le cinémascope. Ne restons pas circonscrits à Londres et visitons un peu le reste de l’Europe. Un tel périple est bien normal au vu de la nécessité d’empêcher la concrétisation d’un conflit d’ordre mondial. Toutefois, que fallait-il attendre comme résultat ? De par sa taille plus imposante, s’agira-t-il d’un prolongement spectaculaire du premier opus ? Mais est-ce que la probable plus grande liberté accordée à Guy Ritchie ne conduirait pas le film à être le pétage de plombs que n’était pas le premier épisode ? La sinistre surprise que réserve le long-métrage sera une énième tentative de ménager deux approches antithétiques. Ritchie reste donc dans la lignée du précédent mais se laisse plus aller à la gaudriole boursoufflée. Il n’y a plus qu’à voir le château de cartes s’écrouler face à une addition de choix ne conduisant qu’à l’annulation des qualités.

La principale déception proviendra des fameux enjeux attendus. Au-delà d’une connexion expéditive entre les deux films (quelques plans viendront rappeler pourquoi Moriarty voulait l’invention de Blackwood), Jeu D’Ombres épate par la manière dont une envergure démultipliée a conduit les scénaristes à se désintéresser des dits enjeux. Avançant sur des propos comme la guerre technologique et l’embrasement du monde par la manipulation des hautes sphères, on attend du film qu’il développe ne serait-ce qu’un semblant de peur apocalyptique face à des évènements semblant inéluctables. Même avec tous ses défauts d’adaptation, un film comme La Ligue Des Gentlemen Extraordinaires arrivait à transmettre ces sentiments d’angoisse et de fatalisme. Jeu D’Ombres se montre, lui, complètement blasé vis-à-vis des évènements qu’il conte. La faute à des personnages semblant peu concernés par ce qu’ils voient (on visite une usine d’armement évoluée comme une boulangerie) ou ce qu’ils découvrent (voir la réaction d’Holmes sur la potentielle trahison d’un de ses proches). Lorsque Holmes lâche un « no pressure » sarcastique en annonçant la possible fin de la civilisation occidentale, on sent qu’il n’est pas loin de vraiment le croire. Robert Downey Jr confirme d’ailleurs après Iron Man 2 que son show a atteint ses limites. Son cabotinage est presque insupportable et laisse sérieusement supposer qu’une carrière à la Nicolas Cage l’attend.

Bien sûr, cette frilosité dans la tension dramatique et le détachement des personnages pouvaient permettre de faire naître la mise à sac du mythe. Il aurait fallu pour cela que ce soit le moteur de la narration. Or, Ritchie ne semble pas considérer son « sens » comique comme tel, le traitant plutôt comme un outil pour détendre cette si sérieuse partie d’échec entre deux esprits aiguisés. L’intrigue ne pouvait que mal s’accorder avec cette comédie bouffonne chargée de ridiculiser Holmes (la multiplication des déguisements allant jusqu’au travestissement). Il en va de même pour les tics de mise en scène de Ritchie qui se sont largement accentués ici. La pierre angulaire de ces nouveaux délires est bien sûr la course dans la forêt. Dans le premier opus, Holmes et Watson se retrouvaient prisonniers sur les docks au milieu d’explosions successives. Le tout était filmé par de longues prises au ralenti permettant de savourer toute la chorégraphie de la scène. Pour ce nouveau film, l’échelle est plus vaste (environnement agrandi et à ciel ouvert, personnages plus nombreux, multiplication des menaces) mais n’aboutit qu’à un incroyable bordel incompréhensible où se succèdent en ralenti-accéléré personnages essoufflés, arbres déchiquetés, explosions diverses et autres détails surlignés. Ni grisante ni amusante, la scène résume l’état de somnolence dans lequel baigne tout le film.

Il ne reste alors plus qu’à sauver ce qui peut l’être. Car aussi déplorable soit-elle dans sa dramaturgie, la confrontation entre Holmes et Moriarty peut réserver quelques sympathiques coups de théâtre (l’erreur de Sherlock à Paris) et par instants se montrer inspirée dans son illustration (le final sous forme de combat mental). Tout comme son prédécesseur, la fin se montre même des plus alléchantes et justifie presque que l’esprit de déduction d’Holmes ait cédé la place à un quasi-pouvoir d’omniscience assez déplacé. Après un climax inspiré du Dernier Problème, on assiste à une apparition d’Holmes quelque peu inattendue. Ces dernières images peuvent se voir comme le pied de nez ultime envers Doyle et son impossibilité à se débarrasser de sa création qui fait partie des meubles de la culture populaire. Maigres consolations toutefois au même titre que l’inaliénable soin technique de l’ouvrage (malgré les économies d’électricité de Philippe Rousselot). Sherlock Holmes 3 étant déjà en cours d’écriture, il faut désormais espérer que la franchise saura reprendre en main ses ambitions… quitte à les revoir à la baisse.


Réalisation : Guy Ritchie
Scénario : Michele et Kieran Mulroney
Production : Warner Bros Pictures
Bande originale : Hans Zimmer
Photographie : Philippe Rousselot
Origine : USA
Titre original : Sherlock Holmes : A Game Of Shadows
Date de sortie : 25 janvier 2012
NOTE : 2/6

2 Comments

  • J’ai personnellement trouvé cette suite légèrement plus convaincante que le premier opus. Moriarty est tout de même bien plus charismatique que Blackwood, les acteurs semblent une nouvelle fois s’éclater et malgré un scénario parfois brouillon, on reste surpris et on rigole beaucoup. Vivement le trois.

  • flavie Says

    J’ai beaucoup aimé ce deuxième opus ! Je l’ai préféré au premier, il est plus « Hollywoodien » avec des explosions, des scènes super bien menées, toujours avec cette touche d’humour mais en rajoutant aussi de la noirceur au film.

    Vivement un troisième !

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