Rebelle

« Ils avaient leur propre style et on voulait être différents. » Entre autres notes d’intention, cette propension de Pixar à souhaiter se démarquer des longs-métrages estampillés Disney, et ce depuis Toy story, a toujours témoigné d’une ambition constante de leur part à défricher tout un champ des possibles découlant de la nature même du medium animation. Dès ses premiers courts-métrages et publicités, Pixar ne ressemblait à rien d’autre que Pixar, et il en serait de même pour chacune de ses œuvres à venir. Aussi était-il écrit que le moindre écart de conduite serait sanctionné, chose que Cars 2 a évidemment confirmée au-delà des prévisions puisqu’en dehors de la question du ressenti, le film avait rappelé à beaucoup l’existence des produits dérivés. Une considération qui, étrangement, n’avait pas vraiment accompagné la sortie de Toy story 3 l’année d’avant, ni même du nouveau Winnie l’ourson sorti quelques mois en amont. Bref, un non-argument autosuffisant et bien utile pour justifier son rejet du film tout en évitant de parler de cinéma. Aussi, quelle réaction était à prévoir lorsque l’année qui suit, les studios dirigés par Ed Catmull nous livrent leur premier film dit « de princesse » ? Emphase classique résultant d’une nouvelle déception ? Questionnements basés sur du vent ? Approximations et ignorance de « spécialistes » ? Tout cela a la fois, certes, ce qu’au final n’importe quel blockbuster serait susceptible de provoquer. Non, si une chose a été rappelée à l’envi, c’est bien le rachat de Pixar par Disney. Film de princesse => Disney => rachat, le lien de cause à effet est tout trouvé pour étayer sa déception, relative ou non, d’un Rebelle sujet malgré lui à bien des interrogations.

Que Disney ait coproduit chaque Pixar depuis Toy Story n’a visiblement aucune importance. Le fait qu’Ed Catmull, figure historique de Pixar, soit également président des Walt Disney animation studios ? Laissé sous silence. Bref, si le rachat a été aisément remémoré, on ne saura pas vraiment quel impact potentiel il a pu avoir sur le film de Mark Andrews et Brenda Chapman (heureusement, certains préfèrent l’interrogation à de vagues affirmations). Cette dernière, à l’initiative de l’histoire dont elle sera dépossédée fin 2010 (et depuis partie chez LucasFilmracheté par Disney dans la foulée), dit s’être inspirée de sa relation avec sa propre fille. Rebelle prend donc le parti de s’éloigner des codes du genre érigés par Disney et convenir d’une nouvelle approche de l’archétype de la princesse. Une figure voulue plus moderne, insoumise et surtout motivée par autre chose que l’accès au grand amour. Et ce point-là est essentiel dans la mesure où il suffit à lui seul à faire de Rebelle une promesse de cinéma salvatrice, a priori éloignée de l’héritage disneyen auquel il a été incessamment rattaché. Un héritage qu’il conviendrait néanmoins de questionner.

I’M NOT GOING TO BE LIKE YOU

Ainsi a-t-il été régulièrement sujet de comparer Merida à Raiponce : l’héroïne du film éponyme des Walt Disney animation studios, sorti il y a deux ans, nous avait été allègrement vendu comme une modernisation, un dépoussiérage de l’image de la princesse et par extension du sous-genre auquel elle donne le nom. Le rapprochement avec Merida était donc tout trouvé puisque fait sur la seule base de leur tempérament commun. Problème : si Raiponce est effectivement une princesse, elle n’en a que le statut. Enfermée dans une tour toute sa vie ou presque, elle n’a ni conscience ni même connaissance de son appartenance à un clan royal. De rebelle elle n’a rien. Son comportement est seulement tributaire d’années passées à chanter avec son caméléon entre deux discussions avec une mère adoptive dont elle ignore la véritable nature. Elle ne connaît rien du monde et son caractère ne découle que d’une éducation qui contribue à l’éloigner de tout raisonnement rationnel à propos de l’extérieur. Une ignorance qui la pousse d’ailleurs à vouloir partir accomplir son rêve. « Le rêve d’une vie, c’est l’Amour », chantait Cendrillon. Raiponce, elle, ne veut qu’approcher les lanternes éclairant ses nuits d’anniversaire. Elle n’agira que dans ce seul but (mais ne part pas plus tôt sous prétexte qu’il lui fallait un guide), en tout cas dans une première demi-heure garante de l’image définitivement erronée qu’on veut bien lui donner (on reviendra à l’occasion sur le contraste avec l’heure qui suit, bizarrement peu abordée par les critiques quand il s’agit de définir le personnage).

Vous l’aurez compris, Merida n’a en réalité pas grand-chose à voir avec Raiponce. Pas plus qu’avec Ariel, dont la prétendue autorité du père ne se dessine concrètement qu’au gré de la destruction d’objets terrestres lui appartenant, ni même avec une Jasmine qui, elle, préfère tout simplement fuguer. Stoppons les comparaisons : Merida ne ressemble à personne d’autre qu’elle-même. Elle se rebelle contre le poids des traditions, elle se révolte « en réaction à ». Elle ne cherche pas à échapper à son destin à proprement parler, mais à le modifier. Une nuance infime qui préfigure d’un modus operandi basé sur la seule soumission à approbation d’un parent qui, elle le sait, fait figure d’autorité. L’objet de son courroux ? Les obligations inhérentes à son statut même, personnalisées par l’omniprésence de sa mère qui n’agit plus comme telle. Cette dernière n’a d’interaction avec sa fille que pour la corriger, lui signifier ce qui ne va pas : elle ne l’écoute pas quand Merida lui raconte ses exploits de la journée, ou lui rappelle de sourire plutôt que de prendre les devants et lui dire ce qu’elle a sur le cœur, peu avant le tournoi de tir à l’arc. Une difficulté manifeste à communiquer que vient confirmer un montage alterné rassemblant les deux femmes sur ce qu’elles croient être source du problème : l’incapacité de l’autre à écouter. Et tout le métrage de s’articuler autour de conflits d’égos dont seul l’égoïsme devient moteur du récit.
C’est au moins ce que Rebelle s’engage à faire et à dire au gré d’une première partie digne de ce à quoi Pixar nous a habitué jusque-là. A savoir, une présentation limpide des enjeux thématiques et des rapports humains qui les sous-tendent, de même que de leur résonnance mythologique au sein de l’univers qu’ils investissent. Les actes d’autrefois devenus des récits, puis des légendes servant de base à la construction intime et universelle d’aujourd’hui (l’égoïsme d’un héritier désirant régner seul), l’importance des symboles, le rôle de la femme apportant dignité et équilibre à des hommes incapables de s’unir autrement que dans le cas d’une menace commune… Autant d’éléments alimentant les propos d’un film inégal dans le traitement qu’il leur réserve.

Il faut dire que passé ce fameux rebondissement à mi-parcours, Rebelle emprunte des chemins de traverse inaptes à l’emmener là où il semblait le désirer. Si on ne sait pas grand-chose du départ de Brenda Chapman, il peut sembler évident qu’un déséquilibre s’est créé à cet instant. Cela se matérialise dans les faits sinon par de gros problèmes de ton et de rythme (on ne retrouve guère dans la seconde partie des moments de grâce de la première, tel le tir de la dernière flèche lors du tournoi), en tout cas par des entourloupes narratives dont Pixar est loin d’être coutumier. On l’a vu, les échanges verbaux entre mère et fille ne dépassent pas le cadre du conflit d’intérêts. C’est logiquement que la transformation de la première en ours constituera la base de leur renouveau. Après tout, Rebelle reprend à son compte les grandes lignes du conte traditionnel et de figures (l’archétype de la sorcière, l’objet magique) que Disney s’est longtemps appropriés. Le fait d’inscrire cela au sein d’une relation mère-fille donne tout son sel à cette réappropriation. La métamorphose de la mère forcera le duo à apprendre à communiquer au-delà des mots (inefficaces), de même pour celle-ci à contrôler sa bestialité, cette colère à l’égard de sa fille irrespectueuse des traditions auxquelles elle s’était, elle, soumise (elle a un temps pesté avant d’épouser le père de Merida).

LEGENDS ARE LESSONS

On a beaucoup reproché à Rebelle l’absence de véritable méchant. Mor’du, matérialisation du mythe du royaume narré par Elinor puisqu’il est celui qui en cause la perte, n’apparaît qu’avec parcimonie et ne constitue pas un véritable obstacle à l’évolution des personnages. C’était là tout le génie du récit de faire de la mère de Merida l’antagoniste du film avant que sa fille, esclave de sa propre vanité et telle la reine offrant la pomme empoisonnée à Blanche-neige, ne soit symboliquement métamorphosée en figure maléfique. Une séquence dont la force se voit décuplée par cette réaction de la mère, a priori anodine, quelques instants plus tôt. Suite à l’affront subi lors du tournoi de tir à l’arc, Elinor jette l’arc de sa fille dans les flammes. Un geste qu’elle regrettera très vite et qui nous la rendra attachante du fait de sa maturité, à l’opposé de la colère de Merida qui ira jusqu’au bout de ses intentions.

Que Rebelle change drastiquement d’orientation à peine cet acte effectué le plombe en partie. Dés lors, oui, le parcours de l’une deviendra le parcours de l’autre. A l’image de Merida coincée dans des vêtements royaux qui la brident dans ses mouvements, Elinor est coincée dans la peau d’un ours symbolique de l’agressivité dont elle a fait preuve jusque là, les deux forcées de s’adapter à une condition qu’elles n’acceptent pas. Fuyant dans une nature à laquelle elle semble peu accoutumée, elle devra se fier aux conseils de sa fille pour survivre (les fruits empoisonnés) et se nourrir (la gênante pêche au saumon qui, magie, réconcilie les deux parties). En écho à cette séquence en début de film où la reine vient apaiser les esprits d’hommes en pleine querelle, Merida l’imitera plus tard dans ce qui marquera ses premiers pas vers les responsabilités qui sont les siennes. Hélas, tout cela se fait au cours d’une évolution pour le moins succincte du personnage d’Elinor, devenu sidekick agaçant là où la dramaturgie en place réclamait autre chose qu’un talent aléatoire dans la pantomime, finalement seule garante de ses choix futurs. Entre pertes de temps pénibles (la fuite du château) ou vaines (la mère qui chasse un feu follet), effets d’annonce peu glorieux et choix de réal pas toujours heureux (le travelling qui décrit le chemin à faire pour monter jusqu’à la tapisserie, le découpage ne laissant pas de place au doute quant à la visibilité de l’ours par plusieurs personnes, lors du discours de Merida), Rebelle tend à passer à côté de son sujet de manière déconcertante. Fondamentalement, le choix d’Elinor de changer de point de vue concernant le mariage de sa fille n’a pas lieu d’être. Merida n’a pas accompli grand-chose pour cela, même si sa prise de conscience à l’égard des légendes se fait, littéralement, à l’aide de la reine (l’affrontement avec Mor’du dans une caverne, peu après avoir découvert l’identité de l’ours). Le délai laissé aux héroïnes avant que la transformation ne soit irréversible ne s’intègre que de manière artificielle au récit, malgré quelques idées thématiques du meilleur effet (Elinor se comporte comme un humain avant d’être lentement – mais pas trop – dominée par la bestialité qui est en elle).

Las, il faut patienter jusqu’à la dernière bobine pour que le récit reprenne le cours attendu et nous rappelle à ses enjeux fondateurs. Psychologiques et relationnels d’abord : après lui avoir offert « le choix », la reine retourne à son rôle de mère face à la menace que représente Mor’du vis-à-vis de sa fille. Elle qui n’avait su protéger sa propre vie quelques minutes plus tôt, se découvre une force intérieure qui lui permettra de protéger Merida, rappelant par là les prouesses physiques du vieillard de Là-haut, pourtant incapable de descendre un escalier en début de film (ce lâcher prise que devra également effectuer le duo de Rebelle pour avancer). Mythologiques enfin, à travers ce rocher brisé libérant l’âme du fils héritier devenu Mor’du. La chute d’une pierre mais également de toute la symbolique qu’engendrait le cercle auquel il appartenait, dont l’influence sur les protagonistes nous était rappelée par la mise en scène (brume, plongée isolant dans leur grandeur le personnage qui s’y trouvait) ou le comportement des personnages (le cheval effrayé à l’idée d’y pénétrer). D’aucuns ont souligné le prétendu aspect réactionnaire du happy end. Ce serait oublier le questionnement de la notion de destin mis régulièrement en avant via la voix-off et qui offre au film sa scène finale : « notre destin nous appartient, il suffit simplement d’avoir le courage de le saisir. »
Les légendes sont des leçons, et Pixar n’y coupe pas. Les studios, qui ont construit la leur sur une aptitude rare à satisfaire tous les publics, sauront sans doute se racheter d’un Rebelle que l’on attendait forcément plus fringuant. Bouleverser l’ordre des choses qu’ils ont eux-mêmes mis en place, voilà en tout cas une mission qui leur va à ravir.

Réalisation : Mark Andrews et Brenda Chapman
Scénario : Brenda Chapman, Mark Andrews, Steve Purcell et Irene Mecchi
Production : Katherine Sarafian
Bande originale : Patrick Doyle
Photographie : Robert Anderson
Montage : Nicholas C. Smith
Titre original : Brave
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 01 Août 2012

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