Novo

REALISATION : Jean-Pierre Limosin
PRODUCTION : Lumen Films, Alta Films, Celluloïd Dreams
AVEC : Eduardo Noriega, Anna Mouglalis, Nathalie Richard, Eric Caravaca, Paz Vega, Leny Bueno, Julie Gayet, Bernard Bloch
SCENARIO : Christophe Honoré, Jean-Pierre Limosin
PHOTOGRAPHIE : Julien Hirsch
MONTAGE : Cristina Otero Roth
BANDE ORIGINALE : Kraked, Zend Avesta
ORIGINE : Espagne, France, Italie
GENRE : Comédie, Drame, Erotique
DATE DE SORTIE : 25 décembre 2002
DUREE : 1h38
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Un choc survenu il y a six mois a rendu Graham incapable de se souvenir d’événements remontant à plus de dix minutes. Un jour, Irène est engagée dans la même entreprise et tombe instantanément amoureuse de lui. Elle lui propose de se souvenir de tout, pour deux, en attendant. Mais Graham tarde à recouvrer la mémoire…

Il n’a pas fallu attendre la sortie en salles de Novo pour que le 7ème Art s’intéresse tout à coup au thème de la « mémoire fuyante ». On peut d’ailleurs dire qu’au même moment, certains films venaient tout juste d’explorer ce thème sous des angles divers et variés. D’un côté, Doug Liman initiait la franchise Jason Bourne avec La mémoire dans la peau, se servant alors de l’amnésie comme d’une base pour redéfinir la figure du héros d’action, et de l’autre, Aki Kaurismäki lançait avec L’homme sans passé la création d’une utopie sociétale sous l’impulsion d’une amnésie brutale. Toutefois, s’il y a bien un film plus ou moins récent dont se rapprochait alors le film de Jean-Pierre Limosin, c’est bien Memento de Christopher Nolan, dont il offrait en quelque sorte le versant érotique. Revoilà donc l’idée d’une « perte de la mémoire immédiate », d’un homme qui engloutit sa mémoire au fur et à mesure que le temps s’écoule, qui vit l’instant pour ensuite l’oublier aussi sec, qui redevient une feuille quasi blanche toutes les dix minutes. Si l’on en croit les propos de Limosin, l’idée était ici d’utiliser la défaillance amnésique comme ingrédient fictionnel pour parler avant tout d’amour, d’utiliser cette « absence » pour mieux savourer l’instant présent et le désir sexuel, de transcender le manque pour aboutir à la plénitude. De cette façon, le protagoniste – dont le véritable passé sera ici révélé au compte-gouttes – en arrive à utiliser l’oubli comme un art de vivre, voire même à renouer avec une vision enfantine du monde et du rapport à la sexualité. Sujet magnifique qui n’étonne guère de la part de Limosin, dont le précédent film (le frénétique Tokyo eyes, tourné au Japon) explorait déjà l’idée d’un personnage inadapté au monde qui l’entoure, contraint d’adopter un nouveau mode de vie où le « vrai » devenait alors l’objet d’une quête existentielle dans un univers sociétal qui transpirait le « faux ».

Comme dans Tokyo eyes, tout est à nouveau centré sur l’attraction entre un homme et une femme, mais cette fois-ci de façon bien plus explicite. A la suite d’un choc qui l’aura laissé dans cet état de mémoire fragilisée, Graham (Eduardo Noriega) travaille désormais comme préposé à la photocopie dans une boîte de communication, dirigée par une patronne vicieuse (Nathalie Richard) qui n’hésite pas à abuser de son handicap pour lui imposer des jeux sexuels dans son bureau. Le seul moyen pour lui de contrer l’oubli rejoint le mode de vie que s’imposait Guy Pearce dans Memento : tout écrire façon pense-bête et brainstorming, sur un carnet, sur un tableau mural, sur son propre corps, etc… Lorsqu’Irène (Anna Mouglalis) débarque dans la boîte pour un travail intérimaire, un changement va peu à peu s’opérer : son amour immédiat pour Graham semble diriger ce dernier sur une voie propice au retour des souvenirs, dans un domaine où la chair précède l’esprit, dans un état second où le souvenir est corollaire de l’oubli. Ici, comme le dit Irène, « chaque nuit passée avec elle est une première fois », ce qui implique alors en terme de mise en scène que chaque instant du film – qu’il soit sexuel ou pas – se doit ici d’échapper aux lois classiques du récit. On l’avoue, ce drôle de manifeste sentimental fait d’abord assez peur, ne serait-ce parce qu’on peine à saisir comment le cinéaste va être capable de traduire à l’écran ce switch permanent entre le souci de raccorder une histoire voulue linéaire et le besoin de saisir la fuite en avant du temps.

En fin de compte, la diversion choisie s’avère toute bête : il suffit à Jean-Pierre Limosin de traiter le récit sur le mode du carpe diem. Puisque l’amnésie pousse Graham à vivre l’instant présent sans réfléchir à quoi que ce soit, le montage de Novo, pour le coup totalement bizarre et improvisé, se calque sur le schéma interne de Graham, personnage « incomplet » qui semble réécrire les règles de sa propre vie à chaque nouveau raccordement de plan. Cette logique de narration était déjà à l’œuvre dans Tokyo eyes, dont les déambulations de ses deux héros au sein des rues de Tokyo laissaient transparaître chez le cinéaste une envie de liberté absolue, quasi instinctive, un peu à la manière d’un Jean-Luc Godard tournant A bout de souffle sans scénario. Peu à peu, Novo adopte le même comportement, libéré de toute pesanteur illustrative, attaché à multiplier les pistes avec une désinvolture tout à fait stimulante. Et surtout, l’alchimie sensuelle et plastique entre ses deux (sublimes) acteurs ne manque pas de faire travailler les sens. Certes, le fait d’entendre Eduardo Noriega parler un français phonétique qu’il ne comprend sans doute pas à une Anna Mouglalis au phrasé joliment grave est très amusant – on sent d’entrée que le feed-back entre eux ne passera pas par les mots. Mais les voir dévoiler une sorte d’animalité de l’amour, où chaque jeu érotique résulte d’un désir spontané et non d’un fantasme, est juste prodigieux : il est rare de voir au cinéma des corps s’emboîter de façon aussi ludique, et adopter une sorte de laisser-aller charnel avec un désir aussi palpable.

Le désir sexuel est donc ici ce qui ordonne le film, ce qui lui offre sa liberté instinctive, ce qui tend à le délester des conventions narratives. Parfois, ça coince un peu, à l’image de cette parenthèse érotique dans une carrière entre Graham et deux inconnues (dont une Julie Gayet qui l’était encore un peu), qui fait un peu pièce ajoutée sur l’intrigue. Malgré tout, Jean-Pierre Limosin s’en tire par sa virtuosité à compresser le récit, jusqu’à éparpiller les personnages dans l’espace narratif lors d’un final godardien en diable. Dès lors, il ne reste qu’un élan de liberté, détaché de toute velléité analytique, où tout n’est qu’une question de vertige, où les sens écrasent le sens. On peut malgré tout extraire de Novo un regard subtil – mais heureusement plus diffus qu’autre chose – sur le monde réel, en particulier sur cette idée d’un fétichisme déréalisé qui se décline partout : dans la photo, dans le sexe, dans le vêtement, dans la culture musicale, etc… Si le film pourra en irriter certains par son dilettantisme, voire même pour sa fausse allure d’objet chic et branché, il sait malgré tout dialoguer avec son époque, explorant les caméras et les micros comme outils de base des nouvelles relations humaines (très Atom Egoyan, tout ça…). En outre, la fascination de Jean-Pierre Limosin pour le Japon se déploie à nouveau ici : Graham pratique l’aïkido, et ses jeux érotiques avec Irène intègrent parfois l’utilisation de rubans de ligotage. Par ailleurs, le plan le plus mémorable du film est un clin d’œil direct aux célèbres photographies du sulfureux Nobuyoshi Araki : on y voit Anna Mouglalis dans sa plus parfaite nudité, avec juste un bijou doré qui s’enroule sur une large partie de son corps. Fétichisme spontané, purement graphique et charnel, qui ne vise rien d’autre qu’à chatouiller les sens. Pour info, Limosin traduisait le mot novo par « la recherche d’une innocence subversive ». Pas mieux.

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