Eden Log

REALISATION : Franck Vestiel
PRODUCTION : Imperia Films
AVEC : Clovis Cornillac, Vimala Pons, Zohar Wexler, Alexandra Ansidei, Arben Bajraktaraj
SCENARIO : Franck Vestiel, Pierre Bordage
PHOTOGRAPHIE : Thierry Pouget
MONTAGE : Nicolas Sarkissian
BANDE ORIGINALE : Seppuku Paradigm
ORIGINE : France
GENRE : Science-fiction
DATE DE SORTIE : 26 décembre 2007
DUREE : 1h38
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Un homme reprend conscience au fin fond d’une grotte. Tolbiac n’a pas la moindre idée des raisons qui l’ont amené jusque-là, pas plus qu’il ne sait ce qui est arrivé à l’homme dont il découvre le cadavre à côté de lui. Seule solution pour échapper à la créature qui le poursuit : remonter jusqu’à la surface à travers un réseau aux allures de cimetière et abandonné par une mystérieuse organisation, Eden Log.

Le cinéma de genre et l’Hexagone, c’est une histoire qui dure depuis déjà très longtemps, mais qui, depuis plusieurs années, porte plus souvent à la gêne qu’à l’enthousiasme. Comme il est facile de le constater, si le cinéma de genre français parait trop souvent cheap, ce n’est pas en raison d’un manque d’ambition de la part des réalisateurs désireux de tenter l’expérience, mais à cause de la difficulté à rendre un univers crédible en raison d’un budget minimaliste. Et si quelques exceptions sortent parfois du lot (notons en priorité Le Pacte des loups de Christophe Gans et quelques films de Luc Besson), le public finit toujours par être déçu, le manque de fabrication annihilant toute possibilité d’immersion. Mais par chance, « manque de moyens » n’est pas toujours gage d’échec, puisque l’inventivité peut suffire à compenser. Et à l’instar du récent Dante 01 de Marc Caro, Eden Log réussit à faire de son minuscule budget une force inattendue, compensant la maigreur de son budget par une réelle inventivité en terme de cadre, de lumière, de mise en image et de mise en espace. Ce qui, outre un accouchement effectué dans la douleur (au vu des images présentes sur le making-of du film, le tournage semble avoir été un enfer sans nom), ne l’aura pas empêché de passer furtivement sous les radars du public, écroulé sous le poids de quelques grosses machines calibrées pour engranger le pactole. Sa (re)découverte en DVD aura fait l’effet d’une petite bombe : aussi unique dans sa forme qu’immersif dans son atmosphère, le premier long-métrage de Franck Vestiel (par ailleurs assistant réalisateur sur le film de Marc Caro) constitue une alternative solide dans un cinéma de genre qui croulait jusque-là un peu trop sous les références digérées au cinéma américain. Vestiel, lui, ne s’est pas contenté d’un simple hommage cinéphile aux films qui l’ont marqué, et s’est mis en tête d’explorer de nouveaux horizons. Et du coup, comme on part avec rien, autant commencer par un écran noir. Le noir total. Quelques bruits bizarres. Des flashs aveuglants qui percent l’obscurité. Une silhouette qui se détache. Celle d’un homme nu, massif et mystérieux, qui se réveille au milieu d’une mare de boue. A ses côtés, un cadavre. Que s’est-il passé ? Comment a-t-il atterri là ? Mystère. Tout ce qui semble clair, c’est que l’endroit ressemble à une grotte souterraine, que d’étranges bruits manifestent la présence d’une entité menaçante, et qu’il va s’agir de trouver la sortie. La quête d’identité peut commencer…

Tourné en milieu naturel dans des décors sales et délabrés (égouts divers, réservoirs à excréments, champignonnière, etc…) pour un budget ridicule qui permit à Vestiel de bénéficier d’un vrai contrôle créatif, Eden Log détonne d’emblée par la radicalité de son concept : moins film de science-fiction pur et dur qu’expérience sensorielle et viscérale, le film prend pour axiome de départ de coller à la semelle de son protagoniste, plaçant ainsi le spectateur comme témoin objectif de son parcours et récepteur d’indices glanés au fil des séquences. Cela dit, bien que Vestiel n’ait pas poussé le concept aussi loin que prévu en jouant à fond la carte de la subjectivité (le concept de first person shooting, façon [Rec] ou Enter the void, n’est ici pas employé), le principe de mise en scène offre au spectateur une double fonction : suivre une intrigue en se focalisant sur des éléments précis du décor ou sur des indications verbales, et naviguer dans un authentique labyrinthe inhospitalier aux codes inconnus et sans aucun port d’attache, ce qui confère au film une dimension interactive proche de celle d’un jeu vidéo. Une façon de considérer le cinéma autant comme une forme d’abandon sensitif que comme une alternance de découvertes et d’actions déterminant la marche à suivre : par exemple, il suffira au héros d’actionner un levier pour accéder au niveau supérieur, ou encore de questionner un personnage rencontré au détour d’un plan pour obtenir un nouvel indice.

Là où le réalisateur s’avère très fort, c’est dans son refus ostentatoire de se livrer à des explications qui vont composer, par leur assemblage, une explication définitive : si l’on excepte un dénouement un peu trop explicatif (seul véritable défaut du film), Eden Log se compose d’une suite de symboles et de métaphores énigmatiques qui appuient l’implication du spectateur dans le processus d’immersion, et ce sans que le film reste abstrait ou incompréhensible. Il sera nécessaire d’être impliqué dès le départ dans l’intrigue si l’on ne souhaite pas arriver au final devant une impasse narrative, mais c’est la règle du jeu. La prestation saisissante d’un Clovis Cornillac transfiguré (visiblement en pleine préparation pour son rôle de boxeur dans Scorpion) épouse à merveille cette incertitude et cette perte de repères voulue par le réalisateur : son aura de star bankable et populaire, ici catapultée au beau milieu d’un pur film de SF expérimentale, consolide la suspension d’incrédulité du spectateur, ici contraint de laisser de côté ses propres repères pour reconsidérer tout ce qui l’entoure, à la recherche d’un indice ou d’une échappée.

La narration du film, construite selon un schéma ascendant, part de l’obscurité la plus totale pour arriver vers la lumière, ce qui amène ainsi à un autre niveau de lecture, plus mythologique. Pur trip sensoriel, exploration ludique d’un décor organico-délabré, voyage intérieur d’un être ambigu, quête métaphysique sur la place de l’individu dans le système, fable écologique sur les dangers qui pèsent sur la société : Eden Log est tout cela à la fois, et sans doute plus encore. Cependant, la diversité des thèmes n’est qu’apparente : si l’on pointe ici et là quelques relents de concepts de SF bien connus et déjà exploités par d’autres grands cinéastes américains ou japonais, Vestiel ne fait pas dans la fable philosophique, encore moins dans le film à message. La fin du film, nihiliste ou optimiste selon les opinions, ressemble d’ailleurs moins à une leçon d’écologie poussive qu’à un cri de rage envers un monde gangrené de l’intérieur par les dérives d’une science terroriste. Pas de message intello dans cette œuvre réflexive et sensorielle, mais au contraire une imprégnation qui traverse le spectateur par le simple pouvoir d’une mise en scène travaillée et innovante. Du cinéma dans toute sa pureté originelle, en somme.

Enfin, un autre point de vue extrêmement intéressant concerne la palette graphique adoptée par Franck Vestiel, ainsi que le travail effectué sur l’image et le son. Avec des jeux de lumière monochromes et contrastés, jouant habilement sur le clair-obscur et les degrés de luminosité, le cinéaste fait surtout de son film une parabole très intéressante sur l’évolution du langage cinématographique. Dès le réveil de son protagoniste, calqué visuellement sur la naissance d’un Adam s’extirpant de son enveloppe maternelle, on peut déjà remarquer un montage misant tout sur les flashs lumineux, les images subliminales et une découverte progressive du cadre, ce qui renvoie du même coup à la découverte de l’image et des 24 images/seconde. Par la suite, la découverte d’hologrammes s’exprimant dans différents langages est en soi une métaphore audacieuse sur l’apparition du son. Et quand un vieux projecteur affiche des images filmiques aux allures de documents d’archives, on peut presque y voir un parallèle audacieux avec l’invention du cinéma. Même la scène de révélations finales, où le héros analyse des documents vidéo sous tous les angles en pianotant sur des pupitres surchargés de boutons et de claviers, rappelle carrément une salle de montage. En cela, en partant du noir complet vers une lumière énigmatique, Eden Log se pose en métaphore ludique sur la conception et la nature même d’une œuvre de fiction. Et ce n’est pas le seul et unique paradoxe de ce petit chef-d’œuvre, qui aura marqué la naissance d’un futur grand cinéaste.

Photos : © Marion Maitrejean. Tous droits réservés

3 Comments

  • Quentin the Leodinar Says

    Bravo à courte-focale de parler d'un film qui gagne a être (re)connu. Sinon le dernier paragraphe offre un angle de lecture très intéressant qui donne envie de re-découvrir le film.

  • Tanguy Théven Says

    Cool de soutenir un réal qui en veut et dont l'avenir cinématographique me paraît pour le moins brumeux. (non, parce que, ça fait combien de temps que l'on à aucune news du bonhomme?)

  • @Tanguy :

    C'est vrai qu'on a plus beaucoup de nouvelles du réal depuis un bon moment. Et vu qu'EDEN LOG est à mes yeux un des meilleurs films de genre français, c'est un peu dommage, j'attends beaucoup d'un prochain film.

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