Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre

REALISATION : Alain Chabat
PRODUCTION : Chez Wam, La Petite Reine, Pathé Films
AVEC : Christian Clavier, Gérard Depardieu, Jamel Debbouze, Claude Rich, Alain Chabat, Monica Bellucci, Gérard Darmon, Edouard Baer, Dieudonné, Edouard Montoute, Jean-Paul Rouve, Isabelle Nanty, Jean Benguigui, Bernard Farcy, Chantal Lauby, Noémie Lenoir, Marina Foïs, Emma de Caunes, Pierre Tchernia
SCENARIO : Alain Chabat
PHOTOGRAPHIE : Laurent Dailland
MONTAGE : Stéphane Pereira
BANDE ORIGINALE : Philippe Chany
ORIGINE : France
GENRE : Comédie, Aventure, Péplum
DATE DE SORTIE : 30 janvier 2002
DUREE : 1h52
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Cléopâtre, la reine d’Égypte, décide, pour défier l’Empereur romain Jules César, de construire en trois mois un palais somptueux en plein désert. Si elle y parvient, celui-ci devra concéder publiquement que le peuple égyptien est le plus grand de tous les peuples. Pour ce faire, Cléopâtre fait appel à Numérobis, un architecte d’avant-garde plein d’énergie. S’il réussit, elle le couvrira d’or. S’il échoue, elle le jettera aux crocodiles. Celui-ci, conscient du défi à relever, cherche de l’aide auprès de son vieil ami druide Panoramix, lequel décide alors de faire le voyage en Égypte avec Astérix et Obélix. De son côté, Amonbofis, l’architecte officiel de Cléopâtre, jaloux que la reine ait choisi Numérobis pour construire le palais, va tout mettre en œuvre pour faire échouer son concurrent…

En 2024, toute la comédie française est occupée par la médiocrité. Toute ? Non ! Depuis vingt-deux ans, un blockbuster pharaonix peuplé d’irréductibles cinglés résiste encore et toujours à l’envahisseur.

« C’est une autre culture », lâche un Numérobis (Jamel Debbouze) consterné par la blague toute pourrie que viennent de sortir Astérix et Obélix (Christian Clavier et Gérard Depardieu) et à laquelle tous deux sont les seuls à se gondoler de rire. Une scène parmi tant d’autres dans ce giga-blockbuster de l’Histoire de la Gaule, mais c’est incontestablement celle qui a le chix pour créer un haussement de sourcil. Tout comme certains médias en leur temps, on ne peut s’empêcher d’y voir sinon un manifeste, en tout cas un signe. Celui du dédain de la new generation d’humoristes envers la vieille garde, potentiellement fatiguée et isolée, de la gaudriole hexagonale ? Non, juste l’inévitable effet secondaire du clash entre la déconne sauce Canal+ et tout ce qui ne transpire pas l’esprit de la maison. Un effet qui signe aussi le fabuleux passage de relais, voire la rupture sèche, entre Alain Chabat et Claude Zidi – aucun effort n’est ici requis pour saisir en quoi le premier n’a pas fait la même école du rire que le second. Parce que Mission Cléopâtre porte la griffe de son créateur comme un label qualité rare, consistant à traiter un matériau avec respect tout en y injectant la personnalité de son auteur et la modernité de son époque. Oubliées les gamelles d’un Zidi se bornant à décalquer la fusion ratée de plusieurs albums dans un ensemble vain et impersonnel, avec des acteurs en roue libre et un emballage visuel d’une incommensurable laideur, et place à un Chabat Circus avec de la référence télé et de la culture ciné qu’il s’agit ici de laisser fuser à fond les ballons. Faire pour (se) faire plaisir, donc, mais aussi se jouer des impératifs de la commande à cinq cent patates pour la faire sienne avec son propre bagage culturel. Personne ne fut ainsi dupe du résultat final à sa sortie en janvier 2002 : quiconque aimait les ZAZ, le PAF et la BD aura vécu ce gros produit chapeauté par 1/3 des Nuls comme un soleil de Râ sur pellicule.

On peut se dire avec le recul qu’adapter l’un des albums les plus exotix – mais aussi l’un des plus surestimés – de la BD Astérix était une bonne stratégie. Il suffit de se souvenir de ce que sa transposition sous forme de film d’animation en 1968 avait su apporter au matériau d’origine : derrière le décalque littéral des dialogues de René Goscinny et des graphismes d’Albert Uderzo se nichait surtout une folie visuelle, pour ne pas dire un certain art du surréalisme, qui faisait figure d’apport on ne peut plus bénéfix – comment oublier la chanson désopilante du gâteau à l’arsenix, la danse du lion de Cléopâtre et le songe gastronomico-zarbi d’Obélix ? Sympathix en soi, ce premier essai manquait malgré tout d’une vraie empreinte singulière par-delà l’extrême fidélité au support BD. C’est la raison pour laquelle on ne pige toujours pas en quoi le vieux druide Uderzo ait pu se sentir gêné de voir l’acteur-réalisateur de Didier se réapproprier trop personnellement son œuvre. D’abord parce que le respect et la fidélité ne sont pas ici des mots lâchés en l’air (la révérence envers les dialogues et les cadres de la BD est ici imparable), ensuite parce que l’humour de Chabat, plus que jamais adepte du combo impro/happening servi par des experts de la private joke de télé cryptée, permet précisément de combler les « trous » du matériau de base. La spécificité du support BD ayant toujours reposé sur l’entretien d’une information hors champ via ce qui se passe entre deux cases, la meilleure façon de l’adapter sur grand écran n’a jamais consisté à autre chose que laisser la traduction de cet entre-deux entre les mains d’un cinéaste inspiré, avec sa propre fantaisie et ses propres audaces en guise de potion magix. Nul doute que ce cher Goscinny, à qui l’on doit très clairement tout le génie du dialogue à tiroirs de l’univers astérixien, aurait hurlé de joie d’avoir trouvé en Chabat une sorte de fils spirituel. Cette philosophie du gag qui vise et ratisse large, ce jeu de l’aventure antix mais pas toc qui puise à la source du décalage tous azimuts, cet usage jubilatoire des anachronismes et des clins d’œil personnalisés : bref, tout ce qui forge l’âge d’or des Nuls en particulier et du fameux « esprit Canal+ » en général ne constitue-t-il pas le plus bel hommage qui soit à sa création légendaire ?

Faut-il vraiment résumer le pitch à tous ceux qui n’auraient pas révisé leur Goscinny ou qui n’auraient pas déjà épuisé le DVD du film depuis deux décennies ? Bon, alors, vite fait. Parce que Miss Egypte a le pif aiguisé et les nerfs en pelote à force d’entendre l’autre laurier romain lui faire des leçons de civilisation, elle charge un jeune petit architecte angoissé et pas très subtil – du genre à traiter la construction d’une maison comme une peinture cubiste – de construire le plus grand de tous les palais en seulement trois mois, sans quoi il se verra contraint de tester lui-même le pire cauchemar du Capitaine Crochet. Et pour relever ce défi certes très intéressant mais carrément suicidaire, notre architecte manchot sort de sa tunix une Gaule d’enfer : le voilà parti demander du renfort à son vieil ami druide Panoramix, lequel embarque illico sa marmite, ses formules magix et ses fidèles Astérix et Obélix dans un voyage vers la patrie de Cléopâtre (vous savez, celle qui a un très joli nez), du Sphinx (vous savez, celui qui n’a plus de nez) et des Pyramides (vous savez, les trucs pointus, là…). Un pitch qui a le mérite, au vu de la nature même du projet et de ses créateurs, de raisonner – sans doute sans faire exprès – avec les vicissitudes d’une chaîne cryptée qui pataugeait encore en terrain miné à l’époque de la sortie du film. D’aucuns ne s’étaient alors pas gênés pour percevoir dans cette vision d’un temple égyptien construit à la hâte par de jeunes recrues « plus modernes » une métaphore à peine voilée du combat mené par la smala créative et impertinente de Canal+ face à l’envahisseur colon Vivendi, et on ne peut toujours pas leur donner tort. A bien y regarder, aussi pété de thunes soit-il, Mission Cléopâtre fait clairement œuvre de résistance par rapport à la standardisation rance, et l’imagination débordante de l’ancien Nul, alliée à l’énergie cannibale des zinzins qu’il ne cesse de rameuter dans chaque scène, constitue ici la meilleure arme qui soit.

Parce qu’il est ici question d’un voyage hors de Gaule, la première stratégie à l’œuvre aura consisté à user de ce paradoxe suprême qui veut qu’Astérix et Obélix soient peints comme de simples touristes lâchés en territoire inconnu. Chabat ayant bien saisi que la structure des meilleurs albums tendait à faire du duo principal le faire-valoir passif d’un entourage actif, voilà nos deux superstars d’acteurs majoritairement amenées à commenter l’action et l’univers plutôt qu’à en être le moteur direct. En l’état, c’est peu dire que cet art de la discrétion et de la modestie sied génialement bien à un Clavier enfin délesté de ses tics de cabotin et à un Depardieu apte à utiliser sa seule posture de colosse comme ressort comix. Mais surtout, à l’instar de ce que suggérait la réplix-clé que l’on évoquait en début de critix, Astérix et Obélix finissent par devenir les dindons de leur propre farce à mesure qu’ils posent un regard ironix sur cette pure Egypte de bande dessinée. Sont-ils donc les « intrus » de la grande aventure qui se voudrait la leur mais qui ne cesse de leur échapper ? En tout cas, tout est fait pour y faire croire. Point de fibre gauloise dans le décor, si ce n’est un plan fixe sur la hutte enneigée de Panoramix qui restera ici la seule vue globale sur le village des irréductibles. Pas même de réelle nouveauté tangible dans les célèbres dialogues entre le petit guerrier à casque ailé et le gros… PAF !!!… euh, le livreur de menhirs un peu enveloppé, vu que ceux-ci sont ici retranscrits à la virgule près, et pas forcément avec l’énergie nécessaire qui permettrait de les rendre moins familiers que prévu – c’est bien là le seul « reproche » que l’on serait en droit de faire au scénario écrit par Chabat. Sans surprise, toute la marmite de potion magix est donc ici allouée à cette smala de satellites délirants qui gigotent en orbite dans ce foutoir pharaonix.

Dans le désordre : Claude Rich en vieux sage espiègle et incarnation rêvée de Panoramix, Jamel Debbouze en architecte impayable qui enfile les calembours nases et chante du James Brown à son bourricot, Edouard Baer en scribe expert aussi bien en ascenseurs qu’en monologues ahurissants, Gérard Darmon en serpent sournois qui siffle façon cobra et qui bastonne façon Tigre et Dragon, Dieudonné en centurion rugissant et déjà gagné par le côté obscur, Isabelle Nanty en syndicaliste Itinéris qu’on ne capte pas toujours très bien et qui n’aime pas se l’SFR, Chantal Lauby en drôle de dame que l’on voit parfois sauf quand on ne la voit plus, Jean Benguigui en Malococsis qui a mal à sa bâtisse, Bernard Farcy en barbe rouge qui adore autant le Titanix que les radeaux de la méduse, Pierre Tchernia en narrateur (c’est logix) doublé d’un caméo placé incognito dans un coin du cadre (c’est logix aussi), Claude Berri en peintre égyptien qui fait profil bas sur les vues de face, Monica Bellucci dans un rôle initialement prévu pour Dominix Farrugia (si si, la preuve en images !), Jean-Pierre Bacri qui tentait ici une reconversion-éclair dans le…

DEVANT LA VIOLENCE DE CE SPOILER, NOUS PREFERONS VOUS OFFRIR CINQ MINUTES DE TERRENCEMALIX.

FIN DU PAS SPOILER

… sans oublier 5/6 des Robins des Bois par-ci par-là et bien sûr Alain Chabat himself en acteur du meilleur César (prononcez « Ciiiiseur », il y tient). Rien qu’avec tout ce casting de rêve où chacun s’impose sans pour autant chercher à tirer la couverture à lui, Chabat a déjà tout en main pour arroser sec en matière de vannes à la seconde (impossible d’en calculer le ratio !) et pour donner chair à un hallucinant tempo de jeux de mots et de patronymes hilarants, recrachés dans chaque scène avec une régularité à sonner un sanglier. Mais s’il n’est pas le dernier pour pousser très loin les curseurs de la déconne parodix, fort heureusement, il ne s’en contente pas. Comme Goscinny en son temps, il utilise et décale l’imaginaire pour parler de son époque avec pertinence (ça cause politix et syndicalisme de façon infiniment moins lourde que chez Ken Loach), fait appel à ses référents filmix et musicaux pour faire résonner l’air du temps (à l’image de Jamel qui tape le rap avec Snoop Dogg sur le banquet final) et prend surtout un soin maniaque de la charpente de son péplum comix (décors et costumes auraient ici de quoi rendre jaloux le Mankiewix de Cléopâtre). Comme les plus grands artisans de la comédie, il mélange les genres avec dextérité pour amplifier l’impact de chaque scène (du kung-fu au western en passant par le cartoon et la satire de mœurs), puise dans le nonsense et le surréalisme les plus belles ruptures de ton qui soient, et blinde son cadre d’une multitude de micro-détails plus ou moins invisibles qui encouragent à des visions répétées (amusez-vous à repérer le réalisateur Louis Leterrier en Ouhécharlis fringué en pull rayé rouge et blanc dans les plans d’ensemble du chantier du palais !).

Il résulte de tout cela une combinaison optimum de petitesse et de gigantisme (le sketch léger qui se mêle au spectacle démesuré), du tube cathodix et du grand écran (l’un laisse sa loi chahuter la logix interne de l’autre), qui apporte certes une salvatrice cure de jouvence à la comédie made in France, mais démythifie surtout une bande dessinée érigée depuis longtemps en patrimoine national. En ouvrant cette dernière sur un espace infini de cultures, de tonalités, de genres et de diversités, Chabat embrasse ce grand rôle de modernisateur qui a tant fait défaut à ses suiveurs – on a déjà oublié les ratages pyramidaux de Thomas Langmann et Guillaume Canet – et que seul Alexandre Astier a su reprendre à son compte pour sa relecture animée du Domaine des Dieux. De son côté, en donnant la plus grosse enveloppe budgétaire du cinéma français de l’époque à un Nul, Claude Berri a su mettre la main sur l’homme qui tombe à pix. Doit-on de facto considérer Mission Cléopâtre comme LA bonne adaptation ? Au fond, on ne pense pas vraiment qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises adaptations. A vrai dire, si l’on devait résumer ce film, là, maintenant, en guise de conclusion, on dirait que c’est d’abord des idées. Des détails qui vous tendent la main, peut-être à un moment où il n’y en a pas, où l’on est seul face à soi. Et c’est assez curieux de se dire que les surprises et les idées forgent une réussite. Parce que quand on a le goût de la déconne, quand on a le goût de la vanne bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas le public en face dirait-on, le regard qui vous aide à vous élever. Alors ce n’est pas le cas de Chabat, comme on le disait, puisque lui, au contraire, il a pu, et on lui dit merci, on chante son nom, on danse son nom, ce nom qui n’est qu’humour. Et finalement, quand beaucoup de critix aujourd’hui se disent « Mais comment fait-il pour créer cette hilarité ? », eh bien on répond très simplement que c’est ce goût de l’humour, ce goût-là donc, qui l’a poussé il y a vingt-deux ans à entreprendre une adaptation comix récompensée par un carton publix, mais demain, qui sait, peut-être simplement se mettre au service du Cinéma et faire le don de soi… Et comme on sent bien qu’on vous emmerde avec ce phrasé emphatix, faisons simple à propos d’Alain Chabat : qu’on le couvre d’or.

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