Arthur, malédiction

REALISATION : Barthélémy Grossmann
PRODUCTION : Apollo Films, Cofinova 17, EuropaCorp, Kinology, Luc Besson Productions
AVEC : Mathieu Berger, Thalia Besson, Lola Andreoni, Yann Mendy, Jade Pedri, Vadim Agid, Marceau Ebersolt, Mikaël Halimi, Inès Sanchez-Chafi, Ludovic Berthillot
SCENARIO : Luc Besson
PHOTOGRAPHIE : Colin Wandersman
MONTAGE : Julien Rey
BANDE ORIGINALE : 38ème Donne
ORIGINE : France
GENRE : Aventure, Horreur
DATE DE SORTIE : 29 juin 2022
DUREE : 1h27
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Alex est un fan des films « Arthur et les Minimoys » depuis qu’il est enfant. Pour son dix-huitième anniversaire, ses meilleurs amis lui font la surprise de l’emmener dans la maison abandonnée où le film a été tourné. Aucun d’eux ne se doute alors qu’ils se dirigent vers un piège machiavélique et mortel. Ce qui était autrefois un rêve d’enfant va bientôt se transformer en véritable cauchemar…

C’est le genre d’objet filmique si improbable dans son contenu et sa mise en chantier qu’il défie autant la logique que la critique. Et il y a matière à creuser sous l’étiquette (méritée) du maxi-nanar WTF…

Quelle est donc cette mystérieuse silhouette qui se cache derrière les rideaux de la fenêtre du dernier étage de la maison d’Arthur, malédiction ? Le mystère aura beau perdurer à la fin du film, l’œil averti ne sera pas dupe : c’est bien Luc Besson qui se cache symboliquement derrière cette « figure de l’ombre », œil omniscient qui épie tout ce qui se trame dans le monde qu’il a lui-même imaginé et que d’autres – plus ou moins à sa botte – tentent d’investir sans suivre les « règles du jeu ». Découvrir cet ovni aussi improbable qu’inattendu équivaut à observer un panneau « Défense d’entrer » écrit en lettres de sang et érigé devant la propriété créative et intellectuelle du réalisateur du Grand Bleu et de Valérian. Comment ça, on extrapole ? Que le film ait été tourné juste à côté de sa maison en Normandie (c’est pratique) et que ce personnage de gros bourgmestre barbu joué par Ludovic Berthillot soit son sosie (ou son doppelgänger, à vous de voir) en disent déjà long sur le fond caché de la chose. Que son récit prenne un plaisir aussi clairement assumé à souiller un imaginaire enfantin (« infantile » serait plus juste) sous un angle clairement cauchemardesque est une invitation à enfoncer le clou de la schizophrénie à l’œuvre chez un artiste certes toujours talentueux (son récent DogMan l’a bien prouvé) mais de plus en plus isolé dans son empire qui empire, au point de devenir enfin son propre Dark Vador. Acte de vengeance envers ceux qui n’ont pas pris sa trilogie des Minimoys au sérieux ou qui n’en ont pas fait un objet de culte à revoir lors d’une pyjama-pizza-party entre potes nostalgiques ? Rancœur sèche contre un inconscient collectif qui a jugé sa jardinière de lilliputiens moins impactante que les schtroumpfs écolos de James Cameron ? Volonté franche de faire table rase du passé après que le bide colossal des deux derniers opus (inutiles) de la trilogie ait plongé les usines EuropaCorp dans un océan de dettes ? Chacun se fera son idée. Nous, on s’est déjà fait la nôtre.

Il n’y a que la pirouette finale, en soi extraordinaire de bêtise, qui fasse figure d’argument incontestable : « Un film, ça peut faire des dégâts ». Ceux qui ont vu Arthur, malédiction ont déjà fait le tour de la question vis-à-vis de cette morale finale et de sa formulation tout sauf innocente. Oui, résumer la logique de ce jeu de massacre à un stupide jeu de rôles commis de façon sanglante par de jeunes cosplayeurs drogués à QI de moule est une garantie de facepalm. Oui, que Besson soit naïf au point de n’avoir pas senti venir se refermer sur lui-même le piège d’une telle révélation est très difficile à croire. Et oui, que la finalité du truc puisse friser à ce point-là l’aveu d’échec déguisé d’un mogul déchu du cinéma hexagonal n’a plus rien d’une vue de l’esprit, tant l’aigreur semble ici au même niveau que la tristesse, au point d’activer chez Besson la conscience d’avoir vu son rapport avec le public s’étioler entre 2006 (l’année de sortie du premier Arthur) et aujourd’hui. Quand bien même il n’est pas le réalisateur d’Arthur, malédiction (du moins officiellement, vu la persistance de la très lourde polémique ayant entouré son tournage…), on ne voit que lui à l’écran, partout, tout le temps, dans chaque cadre, derrière chaque intention de narration ou de montage. Parce que la logique ahurissante de la chose éclaire et exhibe tout ce qui n’était jusqu’ici qu’une hypothèse, au point que Besson Bétamèche ait fini, le temps d’un film, par laisser place à Luc Maltazard – celui que l’on n’avait jamais vu jusqu’alors et/ou dont il ne fallait surtout pas prononcer le nom. Bon, cela étant dit, loin de nous l’idée de chercher des excuses à cet improbable spin-off méta, tant sa volée de bois vert critique et publique ne fut pas plus volée que son étiquette de nanar WTF à se rouler par terre – on ne voit que l’inénarrable Humains du tandem Molon/Thévenin pour soutenir la comparaison. Trop sombre pour s’adresser aux gamins d’aujourd’hui, trop aseptisé pour satisfaire les fans de cinéma d’horreur, trop (mal) décalé pour parler à un public isolé (celui des Arthur) qui a pris de la bouteille en seize ans, ce projet sans orientation prédéfinie n’était prédestiné qu’à se priver de toutes les cibles qu’il pouvait viser.

Résumer tout ce qui cloche dans le film incite, dans un premier temps, à ne pas imputer toute la responsabilité du carnage au réalisateur suisse Barthélémy Grossmann. Remarqué en 2007 avec un premier film fauché mais armé d’un vrai désir de cinéma (13m²), le bonhomme fait ici montre d’une maîtrise technique pas désagréable : cadres léchés, éclairages contrastés et découpage solide confèrent à Arthur, malédiction un bel écrin d’ordre purement visuel. Mais impossible pour lui de se dépêtrer de l’aberration scénaristique qu’il doit mettre en scène. Premier problème, et pas des moindres : il est juste totalement impossible de croire à ce néo-ersatz du Club des Cinq. Sans lien avec la réalité, dénués de tout marqueur d’ordre social et visiblement livrés à eux-mêmes, ces ados paraissent aussi propres sur eux que les héros javellisés d’une sitcom AB. Pudeur massive dans les émois sexuels (ça se bisoute à peine sous la tente) et niaiserie surlignée dans les rapports sociaux (ça jubile bêtement comme lors d’une boum trop arrosée au Fanta Citron) les bornent à incarner au premier degré des clichés à la date de péremption dépassée depuis au moins trois décennies. En vrac : le puceau candide est érigé en tête pensante, la « princesse » à emballer (jouée par la propre fille de Besson !) surgit coiffée comme Leeloo, l’intello de la bande a forcément des lunettes, le black banlieusard enfile les blagues pas drôles autant que les fautes de français, la peureuse de service va forcément se confronter à sa pire peur (et en mourir de façon crétine !), les deux potes blonds et musclés font un bain de soleil crypto-gay, le duo d’amoureux s’en tient au sourire Colgate comme seule indication de jeu, etc… Entendre le réalisateur parler des Goonies ou de la bande soudée de Ça en guise de repères référentiels est de l’ordre du contresens. Sans parler du plus problématique : ces ados déjà majeurs mais pourtant encore coincés dans un imaginaire étriqué pour marmots du tiers de leur âge mettent ici en exergue la faiblesse d’une démarche qui semble confondre la préservation d’une âme d’enfant avec le refus de quitter sa bulle protectrice afin d’affronter le vrai monde.

Dans un sens, on aurait pu espérer qu’Arthur, malédiction soit pour Luc Besson le moyen idéal pour contrer un reproche trop souvent adressé à son encontre – il n’y a jamais rien eu d’indéfendable à bâtir un cinéma qui se joue contre le réel. Encore aurait-il fallu que ce « réel » soit véritablement convié et crédibilisé pour qu’un vrai décalage s’active. A l’échelle macro, dans la mesure où cet urbex sanguinolent vise moins à inviter une bande d’ados à « grandir » (quel gros mot !) qu’à les placer en victimes passives du violent parasitage de leur objet de fétichisme, la messe est dite quant à l’espoir d’un quelconque récit initiatique. A l’échelle micro, on passe tout le film à faire des bigoudis avec notre suspension d’incrédulité. Passe encore le coup de la bande d’ados qui, en arrivant sur les lieux de tournage de la trilogie Arthur, s’extasient tout à coup sur l’état du garage de la maison d’Arthur et la floraison des cerisiers aux alentours, et ce avec le même degré d’hystérie que s’ils avaient croisé Mylène Farmer au détour d’une balade en forêt hantée. Admettons que les deux bimbos avec l’iPod scotché sur les oreilles ne fassent même pas gaffe à l’agonie bruyante et effroyable de leur amie à seulement cinq mètres de distance ! Et à la rigueur, vu qu’on est dans un survival horrifique, on serait même prêt à passer l’éponge sur la récitation illogique des passages obligés du genre, entre les autochtones locaux qui se freezent en regardant nos jeunes héros (ça affiche menaçant mais ça sonne creux) et les rêves zarbis à base d’animaux qui s’étripent (ça veut faire peur mais ça ne veut rien dire). Mais les envolées nanardesques qui zèbrent l’ensemble tous les trois raccords de plan finissent par avoir raison du moindre petit effort à tenter de crédibiliser ce qui ne peut pas l’être. Que l’on ne s’y trompe pas : chaque scène d’Arthur, malédiction suscite le rire de par la propension de Grossmann à titiller le Z sans l’assumer jusqu’au bout. Cela tient autant aux timides pincées de gore (une vraie autocensure mal déguisée en art de la suggestion) qu’à des lignes de dialogue au taux de débilité qui crève le plafond (à peu près une réplique sur deux), en passant par un Kamoulox de tentatives horrifiques à la ramasse – dont certaines avec de vieux jumpscares moisis et un téléphone portable en guise de vecteur d’angoisse – qui feraient passer l’anthologie sérielle Chair de poule pour du Stephen King.

Ce grand écart tout sauf compréhensible entre la parodie à l’état pur et la méditation méta en roue libre a beau être ce qui forge l’absurdité quasi-historique d’Arthur, malédiction, il suffit aussi à en faire le réceptacle d’une certaine forme d’audace, aussi kamikaze soit-elle pour ses créateurs comme pour ses spectateurs. Quand bien même le résultat coche toutes les cases d’un suicide artistique absolu pour son producteur autocratique, quand bien même ce dernier fait ici mine de révéler vite fait mal fait l’envers cauchemardesque de ses gimmicks les plus indécrottables, on ne peut pas regarder ce film-ovni autrement qu’en branchant nos réactions verbales et nos terminaisons nerveuses sur courant alternatif, jouant du balbutiement perpétuel face à quelque chose de trop anormal pour ne pas susciter un fou rire par contrechamp. De quoi assurer à la chose une aura infiniment plus mémorable que la trilogie désormais oubliée des Minimoys (un maxi-nanar insensé vaudra toujours plus qu’un trio de blockbusters trop policés) et un futur glorieux pour transformer la traditionnelle soirée pizza-bière entre cinéphiles en une séance de pur masochisme critique, du genre où la déviance ferait sans cesse jeu égal avec l’hilarité. En effet, un film, ça peut faire des dégâts…

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