Incident Au Loch Ness

REALISATION : Zak Penn
PRODUCTION : Eden Rock Media
AVEC : Werner Herzog, Zak Penn, Crispin Glover, Jeff Goldblum, Michael Karnow, Gabriel Beristain
SCENARIO : Werner Herzog, Zak Penn
PHOTOGRAPHIE : John Bailey
MONTAGE : Howard E. Smith, Abby Schwarzwalder
BANDE ORIGINALE : Henning Lohner
TITRE ORIGINAL : Incident at Loch Ness
ORIGINE : Royaume-uni
GENRE : Horreur, Comédie, Mockumentary, Monstre
DATE DE SORTIE : 10 novembre 2004
DUREE : 1h45
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Werner Herzog part en expédition en Ecosse afin de faire toute la vérité sur le monstre qui se cache dans le Loch Ness pour les besoins d’un film intitulé Enigma of Loch Ness. A la même époque, John Bailey réalise un documentaire sur Werner Herzog, baptisé Herzog au pays des merveilles, et suit le cinéaste lors de la préparation du film et sur le tournage. Ce que tous deux ne pouvaient prévoir, c’est que le film d’Herzog ne se ferait jamais. Le chaos qui fut le lot d’Herzog sur nombre de ses longs métrages l’a poursuivi jusqu’en Ecosse, un tragique accident après seulement quelques jours de tournage ayant définitivement interrompu la production… A l’automne 2003, les rushs des deux films ont été combinés pour donner naissance à ce making-of.

Il convient de commencer cette analyse en éliminant tout élément de méprise : Incident Au Loch Ness n’est pas un film de Werner Herzog. Bien qu’il participera à son écriture, le long-métrage reste à proprement parler une réalisation de Zak Penn. Si on peut facilement commettre l’erreur de penser l’inverse, c’est que ce faux documentaire a bel et bien réussi son coup. En l’état, on pourrait sans mal rattacher le film au cinéma d’Herzog tant il se nourri allègrement de la réputation et des réflexions de ce dernier. En jouant de concert, les deux falsificateurs créent ainsi une copie plus vraie que nature amenant tout à la fois amusement, réflexion et malaise. Mais que raconte ce mockumentary ? Une équipe de tournage suit Werner Herzog afin de réaliser un portrait de cet inestimable cinéaste allemand. Celui-ci va commencer les prises de vue d’un documentaire sur le mythe du monstre du Loch Ness que produit Zak Penn. Dans sa maison, le réalisateur nous présente en introduction sa documentation et ses aspérités par rapport à l’entreprise. Notre excitation redescend aussi rapidement que celle de l’équipe lorsqu’Herzog déclare qu’il n’a aucunement envie de donner la chasse à Nessie. Son exploration, il veut la reporter sur le fondement de la légende et la raison de sa pérennité. Si il semble assez tranché sur la question de l’existence de la créature (opinion dévoilée par une anecdote hilarante sur les abductions extraterrestres), Herzog se montre le documentariste riche et lucide que l’on a déjà pu constater dans ses propres œuvres. Dans ces dernières, Herzog assure généralement lui-même la narration en voix-off et n’hésite pas à se mettre en scène. Du coup, le spectateur habitué à cette forme de présentation ne doute aucunement qu’il est face à une interprétation. Les évènements futurs ne maintiendront pas cette illusion pour des raisons que nous exposerons plus tard mais cela ne fera qu’amplifier la complexité du jeu proposé.

Le premier plan du film reste donc dans le brouillage de piste en jouant sur la connexion avec le cinéma d’Herzog. En effet, cette ouverture évoque un phénomène que décryptera le réalisateur l’année suivante dans son documentaire Grizzly Man. Tiré des dernières minutes du film, l’introduction montre un plan au ras de l’eau. Rien ne se passe, quelques débris flottent et la caméra est simplement bercée par le mouvement de l’eau. Il apparaît clair qu’il n’y a personne derrière la caméra et que celle-ci est laissée à l’abandon. Dans Grizzly Man, Herzog se montre fasciné par un moment où l’écologiste Timothy Treadwell prépare sa caméra et s’éloigne afin de tourner une entrée de champ dynamique. Le réalisateur trouve quelque chose de magique devant les images capturées par une caméra désormais livrée à elle. Unique témoin d’une nature en action, celle-ci semble alors prendre vie, pour reprendre les termes d’Herzog. Le même effet se ressent devant le plan d’ouverture d’Incident Au Loch Ness. Toutefois, le sentiment de magie clairement véhiculé est facile à remettre en cause. Le mouvement prétendu naturel de la caméra constitue un panoramique dévoilant un corps au premier plan alors qu’un bateau s’approche au second. La composition du plan est clairement pensée et il y a une personne derrière la caméra pour l’exécuter.

En tant que réalisateur du faux documentaire, Penn manipule la réalité en voulant faire croire qu’elle est authentique. L’intérêt de la démarche artistique de son film tient à la mise en abyme. Car le concept de manipulation de la réalité devient le cœur du tournage conté dans le long-métrage. Chez Herzog, la réalité est un outil actif de son art. Des œuvres comme Fitzcarraldo et Aguirre, La Colère De Dieu auront connu des tournages aussi homériques que les aventures qu’ils racontent. Le périple propre au tournage se télescope avec la fiction nourrissant celle-ci de sa grandeur. Herzog veut donc logiquement concevoir un documentaire solide respectant la réalité pour en retirer une vérité extatique. Le Penn présenté dans le film n’a lui pas autant de ferveur dans le réel et la manière dont il ressortira par le prisme du cinéma. Le réalisateur se glisse dans la peau du producteur plein de bonne volonté mais probablement trop intrusif pour le bien du film. Il dépeint là un comportement courant du milieu hollywoodien. Penn y aura été confronté dès son intrusion dans le métier en voyant comment son script Extremely Violent sera apprécié mais entièrement remanié pour donner naissance à Last Action Hero. Inutile de préciser que la scène où il déclare vouloir devenir producteur parce qu’il en a marre de se faire marcher sur les pieds reflète une rancœur loin d’être faussée. Pour autant, Penn reste la caricature de ces gens qu’ils exècrent. Poussé par un désir de rendre la réalité plus crédible et excitante qu’elle n’est, il passe ainsi son temps à parasiter les recherches documentaires d’Herzog. Les manœuvres sont en soit tordantes : combinaisons dénotant la fonction de chacun dans l’équipe, intrusion d’une bombasse à gros lolos présentée comme une prétendue experte en sonar, découverte vaudevillesque d’un animatronique de Nessie… Autant de passages ahurissants et hilarants qui, à n’en pas douter, on dû voir le jour sur d’authentiques tournages. Pourtant derrière le rire, la production prend un tour assez malsain par la manière dont le vrai se nourrit du faux et vice-versa. Le numéro ordurier de Penn est alors dérangeant par cette manière dont il dénigre sa propre démarche avec un rôle fort déplaisant. Ce choix s’inscrit toutefois dans la continuité de la construction de l’œuvre.

Comme noté précédemment, l’illusion fonctionne dans un premier temps par une solide forme de making of. Rythmé par des interviews ultérieures des différents protagonistes, on trouve la présentation classique des coulisses auxquelles des milliers de bonus DVD nous ont habitué. On renoue avec la saveur de ce type de documentaire où on est invité dans l’envers du décor. Il y a bien sûr le plaisir anecdotique de pouvoir mettre un visage sur des techniciens de l’ombre que ce soit le directeur de la photographie Gabriel Beristain (Blade II) ou le technicien du son Russell Williams (Danse Avec Les Loups). Au-delà des manœuvres de Penn, il y a surtout cette fascination à voir le cinéma se construire avec ses problèmes à résoudre (le moteur du bateau trop bruyant pour assurer des prises de son correctes) et ses techniques de tournage simples mais pertinentes (l’astuce de Beristain consistant à garder ouvert l’œil qui n’est pas sur l’objectif pour ne pas rater un événement extérieur). Mais au fur et à mesure que les pièces se mettent en place, les choses changent. Les interviews à posteriori sont des compléments d’informations mais elles nourrissent également le suspense sur l’incident du titre. Ce suspense va croître à mesure que celui-ci approche jusqu’à complètement transformer le projet quittant ainsi le faux making-of pour plonger dans le pur film d’horreur.

Si Zak Penn fait tout son possible pour rendre la réalité excitante, il ne se doute guère qu’il n’a finalement aucunement besoin de forcer les choses pour que la réalité atteigne l’extravagance de la fiction. Progressivement, la forme du documentaire s’étiole pour définitivement se rattacher aux codes du genre. Le fait est qu’il n’y a aucun effet de transition entre les deux, aucune brusquerie. Il n’y a qu’une évolution naturelle par rapport aux éléments mis en place. Sans le vouloir, chacun des protagonistes va devenir un archétype propre au genre. Si Penn est aussi insupportable, c’est finalement parce qu’il est destiné à devenir le salopard de l’histoire. Il est celui qui fout tout le monde dans la merde. Ce sont ses réclamations sur l’échange du moteur et le sabotage de la radio qui entraîneront l’isolation des personnages. Le prétendu scientifique est lui complètement dépassé par les forces de la nature qui se déchaînent (normal, il n’est en fait qu’un acteur). A défaut d’être experte en sonar, la jeune femme plantureuse prouve qu’elle a aussi un cerveau puisqu’elle sait utiliser son matériel. Quant à Herzog, il devient le grand héros qui ira jusqu’à faire face au monstre.

Pour autant, Herzog montre une complète déception par la transformation de la réalité en une forme de fiction. Qualifiant son film d’enfant mort-né, il n’a rien vu de miraculeux mais une vérité absurde et vulgaire. Malgré la tragédie qui coûtera la vie à deux personnes, Penn, lui, est satisfait de voir qu’il a pu capturer une aventure palpitante. Les conclusions de ces deux principaux protagonistes nous renvoient au plaisir que nous avons pris face au documentaire et le malaise qui en découle. Lorsqu’on a entendu le sujet associé à la réputation du cinéaste, on a eu une attente de ce que serait le film. Herzog l’a balayé du revers de la main mais cela n’a pas empêché cette attente de se concrétiser pour notre plus grand bonheur. Une concrétisation qui aura entraîné la mort de personnes. Si le fait que le drame soit fictif provoque forcément une distance, la conclusion qu’en tirent Herzog et Penn joue suffisamment sur nos rapports envers eux pour créer le trouble. Car si il y a identification envers Herzog et répulsion envers Penn, c’est bien avec ce dernier que l’on partage notre satisfaction du spectacle accompli. Une note finale dérangeante pour un film éminemment ludique rappelant qu’il faut toujours chercher ce qui se cache par delà l’image.

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