Six-Pack

REALISATION : Alain Berbérian
PRODUCTION : Chrysalide Films, Les Films Alain Sarde, Pathé Distribution, TF1 Films Production
AVEC : Richard Anconina, Frédéric Diefenthal, Chiara Mastroianni, Bernard Fresson, Jonathan Firth, François Berléand, Jean-Claude Dauphin, Carole Richert
SCENARIO : Alain Berbérian
PHOTOGRAPHIE : Jean-François Robin
MONTAGE : Catherine Renault
BANDE ORIGINALE : Elia Cmiral
ORIGINE : France
GENRE : Policier, Thriller
DATE DE SORTIE : 26 avril 2000
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Nathan est un flic brillant, solitaire et acharné. Il est prêt à tout pour arrêter un tueur en série d’une violence implacable, qui frappe aux quatre coins de Paris. Lorsqu’il découvre l’identité du tueur, il n’hésite pas à devenir lui-même un hors-la-loi et à entraîner dans sa traque ses propres alliés, jusqu’au bout d’un cauchemar rédempteur…

Le pack est classique : plusieurs femmes tuées à travers la ville, un tueur à démasquer, deux flics en charge de l’enquête. On sait à quoi s’en tenir, mais vu que c’est arrivé près de chez nous, l’affaire mérite un coup de zoom, surtout quand on sait à quel point le thriller français s’est longtemps cherché sans jamais se trouver. Le premier plan est évocateur : face caméra, une femme au regard perçant pointe un flingue et tire… non pas sur quelqu’un, mais sur un stand de fête foraine. Six-Pack est totalement à l’image de ce double-plan : sous un premier angle, ça ressemble à du thriller sombre et violent comme savent si bien le faire les Américains, mais sous un second angle, c’est juste fake du début à la fin. Impression confirmée par la séquence d’ouverture, censée plonger le spectateur dans le bain à frissons et poser les bases d’une enquête terrifiante, mais qui préfigure d’entrée le destin tragique du troisième film d’Alain Berbérian. Résumons l’affaire : au cœur d’une fête foraine, une femme est suivie de très près par un bôgoss ténébreux, lequel semble apparaître et disparaître là où il veut sans qu’on sache comment il a fait, et qui la dragouille selon la méthode « puceau-qui-est-trop-timide-mais-qui-veut-avoir-l’air-gentil » (en gros, il ne dit pas un mot, mais il lui offre une Heineken, ce qui semble suffire à l’emballer !). Comme la scène se déroule quasiment sans le moindre dialogue, on l’étire au maximum pour bien nous faire comprendre qu’il y a anguille sous roche (en même temps, vu la gueule flippante du type, on l’a deviné depuis longtemps).

Puis, les deux nouveaux amoureux s’éloignent de la foule jusqu’à arriver dans un coin désert et désaffecté, et d’un seul coup, v’là que ce grand benêt au faciès de chanteur de boys-band tire une tronche très vilaine et pourchasse la belle qui s’enfuit, celle-ci ayant deviné un peu trop tard la galère dans laquelle elle s’est fourrée. A partir de là, la traque qui s’ensuit génère moins de frissons que de fous rires : en deux temps trois mouvements, la belle se prend un coup de poignard dans le ventre, et tente de s’enfuir en marchant tant bien que mal avec l’énergie d’une handicapée des jambes, le tout sous une musique ultra-nerveuse qui aurait davantage sa place dans une course-poursuite en voiture et qui contraste totalement avec le déroulement de la scène. Au passage, on aura droit à un petit insert sur une tête de mort située à côté d’un train fantôme, et ne me demandez pas à quoi ça sert. Ne reste alors plus qu’à la belle à s’effondrer sur le sol après avoir perdu trop de sang, pour que le tueur pose son couteau deux minutes, histoire de pratiquer les joies de la sexualité orale post-mortem après l’avoir éventrée, édentée à coups de pierre et trucidée dans tous les coins. Plan suivant, on est une semaine plus tard, la police arrive sur les lieux de crime. Un jeune photographe de police shoote le cadavre de la nana, et tout à coup, voit un type apparaître dans son objectif : « Excusez-moi, monsieur, vous êtes dans le champ ! ». Ce type, c’est Richard Anconina, et croyez-bien qu’on a envie de lui dire la même chose tout au long du film (on y reviendra plus loin). Ainsi commence Six-Pack, un film tellement à côté de la plaque qu’il en devient tout simplement monumental.


Croyez-le ou pas, ce type au look de 2Be3 est un tueur sadique et cinglé…


… et nous, on est les super flics déterminés qui vont le traquer sans relâche…


… le souci, c’est qu’on est tous seuls, vu qu’il n’y a pas un chat dans le commissariat !

Anconina, c’est donc le profiler, un pur, un vrai, qui connait tout, qui vit en solitaire et qui travaille à l’ancienne (traduction : il n’aime pas les ordinateurs). A ses côtés, on retrouve un Frédéric Diefenthal toujours enfermé dans sa période Taxi (à l’époque de la sortie du film, le n°2 faisait encore un tabac en salles), mais qui devait en avoir un peu marre d’incarner les flics limités et maladroits. Donc, ici, en jouant le rôle du partenaire cool et rodé, le type tente de prouver qu’il a des couilles : il tire la tronche, semble sur le point de casser la gueule aux témoins un peu suspicieux, met les mains dans son imperméable quand il marche dehors, et joue du sarcasme comme s’il voulait prouver qu’il était moins con que la moyenne. Problème : il joue très mal. Mais bon, on est habitué… Revenons à l’enquête, qui commence donc par une interrogation très originale : qui est le tueur ? Anconina interroge un forain (sans résultat), examine une seconde les gens dans la fête foraine, et déjà, les indices pleuvent : « l’assassin est invisible dans une foule pareille, il n’existe pas, il ne peut pas trouver mieux », « il n’a pu venir ici que s’il avait préparé son terrain depuis le début », « il a dû prendre de la hauteur pour repérer le coin tranquille où il allait la tuer », etc… Tiens, comme par hasard, il y a une grande roue juste devant eux, et plus louche encore, il y a une tour désaffectée à deux pas d’ici. Rien de significatif, à première vue. Sauf qu’à partir de là, le personnage du profiler joué par Anconina révèle son génie. Il n’est pas seulement un cador du métier, il semble surtout être un médium surdoué, un véritable super-héros de l’investigation qui note toutes ses impressions (indices, hypothèses, points d’interrogation…) sur un vieux carnet à spirale, et qui, au détour d’une scène dans laquelle rien de très extraordinaire ne s’est déroulé, révèle ses incroyables déductions : le tueur est un tueur en série, il connait ses victimes, il les piste à l’avance avant de les tuer, et pire encore, le tueur est forcément américain.


« Fais gaffe, mec, je ne suis plus un nullard, j’suis un putain d’acteur, moi ! »

Comment en déduit-il cette dernière info ? Eh bien, à force d’aller chez un libraire spécialisé dans les affaires policières et de n’avoir pas su y trouver des affaires criminelles plus ou moins similaires, ce dernier l’incite à changer de direction : vu que 90% des crimes traités dans les livres proviennent des Etats-Unis, alors le tueur est forcément issu de la patrie de l’Oncle Sam (waow !). Et surtout, en France, on n’a jamais eu de cas similaires, si ce n’est des pédophiles déviants et quelques fripouilles attirées par le fric. Non, là, c’est un tueur sans logique ni mobile, et pour le libraire, c’est donc un type comme vous et moi, dissimulant sa monstruosité sous une apparence d’homme marié et sympathique. Ni plus ni moins, et le plus drôle, c’est que c’est vrai. Donc, ayant réussi à faire avancer l’enquête en allant simplement chez le Stéphane Bourgoin de la rue d’en face, notre profiler fait son rapport à un envoyé du ministère de la Justice (incarné par un comédien dont le jeu se limite à hausser un sourcil sans desserrer les dents) et décide ensuite de se rendre aux Etats-Unis pour voir à quoi ressemble un vrai tueur en série. Et un tueur américain, c’est quoi ? Un vieillard pervers et limite décharné, surnommé « Daddy Harry », adepte de la césarienne sans anesthésie sur neuf femmes enceintes, doté du même faciès que Hannibal Lecter et enfermé dans une prison de haute sécurité. Et donc, le temps d’un face-à-face de deux minutes d’une intensité inexistante (en terme de filmage, on dirait presque qu’Uwe Boll a dirigé la scène en sous-marin), notre profiler sort deux ou trois banalités face à ce tueur débile qui explique à quel point il est un monstre, et puis s’en va sans dire un mot… Quiconque a déjà vu cinq minutes du Silence des agneaux aura vite fait de crier au plagiat éhonté, mais l’intérêt de la scène ne réside absolument pas là. D’ailleurs, on s’en fout un peu, à vrai dire.


Pour accélérer la résolution de l’enquête, un p’tit tour chez le libraire du coin, et voilà !

A l’instar de l’ouverture pseudo-angoissante que l’on évoquait plus haut, cette scène, peut-être la plus emblématique de tout le film, révèle surtout l’incroyable écart qui s’est creusé au fil des années entre le polar français et son devenir désincarné : à une époque où les cadors du genre (Melville, Corneau…) ont cassé leur pipe et où seuls quelques illustres cinéphiles (dont Olivier Marchal) ont su relancer la machine avec brio, la patrie de Nestor Burma a fini par transformer le genre policier, autrefois vaste puits à classiques, en un territoire dévasté, si essoré et dénué de matière réflexive que la télévision a très vite repris le dessus, avec le filmage atrocement plat et la diatribe consensuelle qui vont avec. Mais à travers ces cinq minutes aussi banales que totalement hors sujet, c’est avant tout la médiocrité des producteurs français qui s’avère mise en avant : puisqu’il n’est pas possible d’inventer aussi bien que ne le font les Américains, autant les pomper en long, en large et en travers, pour finalement trouver une nouvelle identité hexagonale. Peine perdue, on s’en doute, vu que le thriller à la française, écrasé sous le poids des suspenses télévisés diffusés en première partie de soirée sur TF1 ou France 2, s’est trop récemment caractérisé par une platitude filmique à la limite du supportable (sur grand écran, on précise). Du coup, à part un produit sans âme qui cherchait son identité sans jamais la trouver, et sachant que le film fut torché à l’arrache sous l’impulsion du producteur Alain Sarde (pensait-il qu’on pouvait faire mieux que les Ricains ?), que pouvait-on espérer de Six-Pack ? Rien d’autre, bien sûr, mais ses maladresses et sa prétention en font un objet relativement schizo, et du coup, ce n’est finalement pas plus mal de s’y attarder.


Chiara Mastroianni, la seule brebis égarée dans cette ferme à médiocrité


« Votre mission, si vous l’acceptez, consiste à échapper au tueur caché derrière vous… »

Déjà, le titre, qui claque pas mal à première vue, mais dont la signification (pour schématiser, c’est « prendre une femme comme un pack de bières ») lui donne une consistance obscène qui ne renvoie à rien de précis, si ce n’est le simple désir de faire acte de présence dans un polar englué dans le morbide. Des intentions qui, exhibées de façon frontale, ne font aucun mystère dès le générique de début : panneaux abstraits à l’esthétique très travaillée mais vide de sens, bande-son inquiétante à la Howard Shore, flashs perturbants à la Seven, nappes de fumée qui s’évaporent dans un aquarium aux vitres sales et visqueuses… Citer le chef-d’œuvre de Fincher n’est absolument pas une facilité pour le critique, tant le film reste encore aujourd’hui une référence insurpassable dans le genre, mais cela se transforme ici en fausse révérence de la part de Berbérian, tant le bonhomme ne se livre qu’à une copie conforme de tout ce que le thriller glauque à l’américaine a pu sortir de son chapeau à malices au cours des vingt dernières années. Avec Six-Pack, la recette est simple : un tueur tue des jeunes femmes, et donc, deux flics enquêtent et prennent le risque d’outrepasser leur hiérarchie pour parvenir à le coincer, point final. Comme souvent dans le polar français, il n’y a là que l’intention de parier sur tout ce qui a fait ses preuves à travers les séries télévisées, de surligner de façon gratuite chaque élément dérangeant du récit (vu qu’il n’y a que ça qui pourrait faire effet) et d’anéantir tous les enjeux narratifs, y compris ceux du suspense pur (preuve en est que l’on connait l’identité du tueur au bout de vingt secondes). Et la caractérisation du tueur est édifiante : en lieu et place d’un énième cinglé s’attachant à illustrer les sept péchés capitaux ou à reconstituer le cadavre du Christ avec ses victimes, on a juste droit à un yankee ténébreux qui se révèle être un déséquilibré 100% pur jus, sans mobile ni morale, qui plus est secrètement protégé par les relations diplomatiques (ce qui, une fois de plus, n’est réduit ici qu’à un détail narratif de plus).


« Euh… et maintenant que je tiens le tueur, j’en fais quoi ??? »

On est donc bien loin de ce que David Fincher révolutionnait avec Seven, à savoir pas seulement une simple enquête policière à la recherche d’un serial-killer, mais une vraie exploration tortueuse de la nature humaine à travers un jeu de piste malsain, baignant dans une atmosphère à la fois déliquescente et étouffante. Qui plus est, il y a une semaine à peine, nous avions pu chroniquer le génial Millénium (lui aussi réalisé par Fincher), qui avait su traduire les caractéristiques les plus fondamentales du thriller d’investigation en les transcendant et en les ancrant au maximum dans le monde contemporain. Dévoré par son ambition de concurrencer nos voisins d’outre-Atlantique, Alain Berbérian n’en a conservé que l’apparence et les clichés les plus éculés, sans se rendre compte que les réalisateurs dont il admire le style sont déjà passés à autre chose. Inutile, donc, avec un tel ersatz, d’espérer gamberger pendant plusieurs heures après la projection. On passera en revanche plus de temps à s’interroger sur la composition du casting. Chiara Mastroianni en fliquette chargée de jouer l’appât ? Mouais, pourquoi pas, même si elle est ici assez transparente et reléguée au second plan. Frédéric Diefenthal en partenaire surchargé d’énergie et de détermination ? Pas la pire idée du monde, sauf que, comme on le précisait auparavant, il joue tellement mal qu’on ne fait jamais attention à lui. En revanche, Richard Anconina en profiler surdoué et tracassé par la barbarie de l’humanité, là, c’est juste incompréhensible. Certes révélé par son rôle dans Tchao Pantin (qui lui avait valu deux Césars d’un coup, ne l’oublions pas !), l’acteur n’a par la suite jamais cessé de démontrer son manque d’implication dans l’interprétation de rôles sérieux, au point de ponctuer son interminable descente aux enfers par quelques suites commerciales à La vérité si je mens (le seul véritable succès de sa carrière). Sa prestation dans Six-Pack ne varie pas d’un iota par rapport aux précédentes, et si jouer un flic déterminé nécessite le même investissement que pour jouer un businessman du Sentier, alors il y a un gros pépin.


« Comment ça, Fincher ne veut pas de moi pour son prochain film ? »

Aussi monumentale soit-elle, cette erreur de casting reste l’épicentre du manque de crédibilité auquel le spectateur est forcé de faire face durant deux heures, et même les dialogues, souvent hallucinants, vont dans le même sens : « les ordinateurs n’ont pas l’intuition, l’étincelle, ce truc qui n’est pas écrit dans le programme », « j’ai une question métaphysique : pourquoi les flics vont-ils toujours par deux ? », « votre tueur est un type prudent : il aime se faire sucer, mais il a peur de se faire mordre », et j’en passe… Pour le reste, d’un bout à l’autre du récit, on navigue d’une identification déjà mille fois vue ailleurs à un banal dialogue en plein air, en passant par des gros plans censés vouloir dire « attention, suspense ! », une production design tout ce qu’il y a de plus minimaliste (un open-space désert en guise de commissariat, un appartement de flic réduit à une table et un tableau couvert de photos, etc…), des invraisemblances à la appelle (le must : les flics interrompent leur filature pour aller chez Quick au moment précis où leur appât se fait choper par le tueur !) et des poursuites à couper le souffle d’un asthmatique. Difficile de piger une telle flemmardise dans la façon d’aborder un genre aussi codifié et propice à la transgression. Difficile aussi de comprendre pourquoi le dénouement final, expédié en deux minutes, suinte autant le relâchement artistique. Difficile, enfin, de comprendre pourquoi Alain Berbérian, pourtant reconnu comme habile artisan de la comédie française depuis Paparazzi et La cité de la peur, s’était senti possédé par l’envie de concurrencer (en vain) Fincher et Friedkin sur leur propre domaine. En tout cas, en enchaînant à ce point les bourdes, son film aura au moins eu le mérite de stigmatiser presque toutes les tares d’un cinéma français adepte du hara-kiri inconscient. Ce qui aura fini de faire de Six-Pack un nanar aussi indispensable que génial, du genre qu’on adore citer à la machine à café pour faire marrer les collègues.

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