Dimanche 15 janvier se sont déroulés au Beverly Hilton de Los Angeles les Golden Globes (voir les nominés et les récompensés).
Sur le tapis rouge, les célébrités n’en finissent plus de vanter les mérites de cette célébration « décontractée », qui leur permet de se retrouver chaque année, eux qui sont toujours en tournage ou en promotion : de fait, la configuration de la salle, façon dîner avec de petites tables rondes où se regroupent les équipes de films ou les amis de longue date, et surtout la légèreté presque agressivement revendiquée des interventions sur scène (à commencer par celles de Ricky Gervais, maître de cérémonie depuis quelques années) paraissent confirmer cette réputation-là. Pour autant, personne n’oublie que la cérémonie est le jalon le plus important de ce qui, de décembre à fin février, est appelée l’Awards Season aux Etats-Unis. L’échéance ultime, c’est bien entendu la nuit des Oscars, qui se tiendra cette année le 26 février.
GOLDEN GLOBES / OSCARS : UN CONTRASTE ?
On oublie trop souvent le fossé qu’il existe, sur le papier, entre le fonctionnement des Golden Globes et celui des Oscars. Les nominations et les récompenses des premiers dépendent d’environ quatre-vingts-dix personnes seulement, à savoir les membres de la Hollywood Foreign Press Association (HFPA), qui regroupe des journalistes spécialisés dans le cinéma américain mais dépendant de publications étrangères aux Etats-Unis. L’institution est extrêmement difficile d’accès : un seul membre peut y bloquer l’entrée d’un nouveau et le cercle de ces journalistes, pour la plupart là depuis des décennies, ne s’élargit donc que très lentement, à raison de cinq nouveaux membres maximum chaque année – souvent un seul. L’Association a plusieurs fois défrayé la chronique pour s’être faite manifestement « acheter » par telle actrice mariée à un milliardaire ou par quelque major prête à tout pour voir l’un de ses « poulains » nominés. Mais son statisme suffit à la rendre criticable : n’incarne-t-elle pas sur un mode exacerbé certains vieux penchants du microcosme hollywoodien qui tendant à définir un certain académisme (bien que tous les films cités ci-dessous ne puissent s’en voir taxer) ? Comme par exemple l’attrait pour les rôles de personnages historiques, ou fictionnels mais qui surmontent un énorme obstacle physique ou mental, et qui exigent à fortiori des comédiens d’impressionnantes prestations/transformations. La liste est longue, limitons-nous aux dix dernières années : Russel Crowe en schizophrène dans Un Homme d’Exception (2002), Leonardo DiCaprio en Howard Hugues dans Aviator (2005), Jamie Foxx dans Ray (2005), Philip Seymour Hoffman dans Truman Capote (2006), Joaquin Phoenix en Johnny Cash dans Walk the Line (2006), Forest Whitaker en Idi Amin Dada dans Le dernier Roi d’Ecosse (2007) et l’an dernier Colin Firth cumulant tous les critères dans Le Discours d’un Roi. Chez ces mesdames, on a Nicolas Kidman en Virginia Woolf (et avec prothèse nasale, un bonus non négligeable) dans The Hours (2003), Charlize Theron considérablement enlaidie dans Monster (2004), Felicity Huffman en transexuel dans Transamerica (2006), Marion Cotillard pour La Môme (2009) : le sacre de Meryl Streep cette année pour sa prestation en Margaret Thatcher n’est qu’une nouvelle illustration d’une tendance qui se vérifie également aux Oscars, mais dans une moindre mesure.
De gauche à droite : Nicole Kidman, Charlize Theron, Meryl Streep
Les Oscars sont, de fait, bien plus démocratiques dans leur fonctionnement : l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), fondée en 1927 sous l’impulsion de Louis B. Mayer compte à l’heure actuelle 5 783 membres exerçant les principaux métiers du cinéma. Au stade des nominations, chaque membre vote uniquement pour la (les) catégorie(s) à laquelle (auxquelles) il est affilié : les comédiens votent pour les comédiens (sans distinction de sexe), les réalisateurs pour les réalisateurs, les techniciens pour les techniciens, etc. Tout membre peut voter pour dix longs-métrages (cinq, jusqu’en 2009) qu’il veut voir nominer pour le meilleur film et qu’il classe par ordre de préférence. Fin décembre, l’Académie envoie à tous ses membres des bulletins de vote et la liste des films éligibles chez eux. Lorsqu’il s’agit de voter pour l’attribution des prix, tout le monde peut voter pour toutes les catégories, sans distinction professionnelle. Ainsi les Oscars tirent-ils leur prestige de cette conscience qu’ont leurs récipiendaires d’avoir obtenu la reconnaissance d’une large partie du « milieu ».
Les votes pour les nominations aux Oscars sont toujours terminés avant la cérémonie des Golden Globes (cette année, ils l’ont été le vendredi 13 janvier, à deux jours des Golden Globes, pour une annonce des nominés le lundi 24 janvier). Mais si ce détail n’est que trop peu souvent rappelé, c’est qu’il n’a pas vraiment d’importance, ne suffisant en rien à nier le chevauchement de ces deux cérémonies. Les Golden Globes ont bel et bien de nombreuses raisons d’être considérés comme un avant-goût sérieux des Oscars – et elles n’ont pas toujours de quoi réjouir…
L’AWARDS SEASON : UN BAIN MEDIATIQUE
Déjà dans les chiffres, les deux palmarès sont souvent très proches : à titre d’exemple, sur les vingt-six dernières années, 69% des films qui ont remporté un Golden Globes ont remporté l’Oscar la même année, ou encore 77% pour les actrices. Mais n’oublions pas que les premiers ont des catégories distinctes pour les drames d’une part et les comédies ou comédies musicales d’autre part, ce qui augmente la probabilité d’un film (ou d’un acteur ou d’une actrice) d’avoir déjà gagné un Golden Globe avant de remporter un Oscar…
La principale justification que l’on voit à la ressemblance souvent avérée entre les palmarès des deux cérémonies, c’est l’ampleur de la campagne promotionnelle qui les précède. Celle-ci paraît plus continue et plus dense encore depuis 2004, année à partir de laquelle la nuit des Oscars, qui se déroulait jusqu’alors fin mars, a été avancée à fin février, soit un gros mois seulement après celle des Golden Globes. C’est le moment où culmine l’Awards Season, généralement démarrée avec les classements annuels des grands magazines américains en décembre (Time Magazine a sacré The Artist meilleur film le 7 décembre) et avec les cérémonies de remises de prix par les différentes grosses associations de critiques : celle de Washinghton DC le 5 décembre (The Artist encore meilleur film), New York le 9 janvier (The Artist toujours meilleur film), pour culminer à Los Angeles avec les Critics Choice Awards du 12 janvier, décernés par la Broadcast Film Critics Association, plus grande organisation de critiques cinématographiques aux Etats-Unis. Devinez qui a gagné ! Puis se multiplient, dans le fatidique entre-deux Golden Globes / Oscars, les remises de prix, souvent par corps de métier du cinéma : Producers Guild of America Awards le 21 janvier, Directors Guild of America Awards le 28 janvier, Screen Actors Guild Awards le lendemain, Writers Guild of America Awards le 19 février et enfin, la veille des Oscars, les (plus ou moins) Independent Spirit Awards.
Pendant cette période, les cérémonies fleurissent donc à Hollywood à raison de plusieurs chaque semaine ! Malheur à qui les ignorerait dans le milieu. Car elles participent d’un batage médiatique considérable qui est certainement ce qui détermine le plus le palmarès des Oscars. Y entrent en ligne de prise de compte les affiches et les spots estampillés « For your consideration », adressés aux membres de l’Académie dans le but de les pousser à voter pour la nomination puis la consécration de tel film. Chose que l’on ne connaît pas en France mais qui vaut aussi pour la promotion « traditionnelle » d’un film à gros budget : les spots publicitaires passent non pas en salles, mais à la télévision, et c’est naturellement la course aux plages de grande audience ! Quant aux affiches, elles se payent jusqu’aux unes des quotidiens spécialisés tels que The Hollywood Reporter ou Variety ou de pleines pages dans la grande presse nationale, avec par exemple le New York Times :
Aux distributeurs et aux artistes de s’entourer de publicistes hors pair, qui sauront trouver la (les) bonne(s) photo(s) (dans le cas de The Descendants, mettre en avant le thème de la famille, peu présent dans les films potentiellement nominés cette année ; dans celui de La Couleur des Sentiments, multiplier les images de câlins pour procurer un sentiment de feel-good), les bonnes citations de vétérans de l’industrie cinématographique ou de la critique – ou mieux : les créer de toutes pièces ! En 2003, Miramax a fait scandale (avec déjà à sa tête Harvey Weinstein, voir plus bas) en utilisant dans sa campagne pour Gangs of New York une citation de Robert Wise, ancien président de l’Académie, ventant les mérites du film. Petit problème : la citation avait été inventée par un publiciste du studio, et plusieurs membres de l’Académie ont demandé à récupérer leur vote – preuve s’il en faut que le coup avait fonctionné pour nombre d’entre ceux-ci !
La campagne consiste plus largement à occuper au maximum l’espace médiatique : les personnalités les plus discrètes s’affichent sur les plateaux de télévision (Jean Dujardin y fait le chameau au fameux Late Show de Jimmy Fallon, « pour faire oublier aux votants qu’il est français et très mauvais en anglais, ce que permet déjà son rôle muet dans The Artist », disent certains journalistes), à tels galas ou avant-premières voire même dans tels tabloïds pour pouvoir triompher. On comprend dès lors que les Golden Globes, retransmis comme les Oscars à la télévision (ils ont été suivis en direct, cette année, par 13 millions d’Américains), constituent un moment-clé : tout le gratin hollywoodien s’y réunit, et donc une très large partie de ceux que l’on retrouvera à coup sûr aux Oscars un mois plus tard. Remporter un Golden Globes, c’est s’offrir quelques précieuses minutes d’acceptance speech et pouvoir ainsi séduire, émouvoir ceux qui seront amenés à voter pour vous. En ce sens, on comprend bien que l’on parle des Golden Globes comme d’une « audition pour les Oscars ».
Les acteurs récompensés y donnent toujours l’impression, en se répendant en excuses vis-à-vis de leurs concurrents qu’ils jugent tous merveilleux mais dont ils oublient souvent les noms (!), d’avoir vu tous les films nominés face à eux. De fait, les distributeurs les plus ambitieux envoient à tous les membres actifs de l’Académie des DVDs de leurs films nominés avec le message « For your consideration ». Mais Meryl Streep a-t-elle vraiment pris le temps de visionner Millenium de David Fincher, pour lequel Rooney Mara était nominée face à elle aux Golden Globes ? Combien de membres de l’Académie, pris par le temps, vont-ils visionner (et donc, à fortiori, élire) uniquement les quelques films qui ont su créer le plus gros buzz médiatique ou remporter des Golden Globes ?
PRÊTS A TOUT
On n’osera pas dire clairement que le tout-Hollywood se fait « acheter » chaque année dans son vote pour les Oscars – on le pourra pas, puisque tout cela, et notamment les sommes déboursées par les grands studios pour cette campagne, demeure souvent secret. Un chiffre, néanmoins, a filtré, et c’est précisément celui qui nous intéresse. Harvey Weinstein, dont la Weinstein Company distribue aux Etats-Unis The Artist, La Dame de Fer, My Week with Marilyn ou encore le W.E. de Madonna (meilleure chanson aux Golden Globes), aurait dépensé pour la campagne de promotion de The Artist quelque 15 millions de dollars, soit plus que le budget du film de Michel Hazanavius, estimé à 12 millions de dollars sur IMDb ! Lorsque le film est passé, à quelques jours du dernier Festival de Cannes, d’une sélection hors compétition à la Compétition Officielle, l’influence de Weinstein a été évoquée : séduit par l’audace du parti-pris de Hazanavicius, sur laquelle peu d’autres pontes hollywoodiens auraient parié, il avait convaincu Thierry Frémaux de donner au film sa chance – à raison, puisque Dujardin est reparti avec le Prix d’interprétation masculine. On évoquait alors un distributeur américain hors normes, qui promeut ses « poulains » avec une passion qui fait plaisir à voir. On ne saurait nier cet amour manifeste des films, mais on ne saurait pas non plus fermer les yeux sur le fait que, pendant l’Awards Season, Weinstein devient plus que jamais un féroce compétiteur, prêt à à peu près tout pour s’assurer chaque année le plus grand nombre de nominations aux Oscars et, si possible, quelques récompenses. Comme l’écrit Patrick Goldstein, il y a huit millions d’histoires à propos d’Harvey Weinstein, et au premier coup bas dans la course aux médias, on pense immédiatement à lui : par exemple en 2009 lorsque les journaux américains suggèrent que les producteurs de Slumdog Millionaire ont exploité les jeunes acteurs indiens.
Weinstein est incontournable. Il est l’un de ces rares producteurs/distributeurs dont toute la profession connaisse et évoque le nom. Les soirées qu’il organise à Hollywood voient défiler les plus grands noms : comme par exemple au mythique Chateau Marmont de Sunset Boulevard pour fêter les nombreuses nominations aux Oscars du Discours d’un Roi (qui s’avèrera effectivement être le grand gagnant : ceci explique cela ?) ou l’after-party qu’il donnaît dimanche dernier au Beverly Hilton, dans le palace même où se sont déroulés les Golden Globes ! Forcément, tout le monde était là et pouvait féliciter les trois gagnants de « l’écurie Weinstein » (et leur assurer de voter pour eux pour les Oscars ?) :
Meryl Streep, Jean Dujardin et Michelle Williams à l’after-party donnée par Harvey Weinstein après les Golden Globes
Lors d’une projection évènementielle de The Artist à Los Angeles, il a fait intervenir face au public rien moins que deux des petites-filles de Charlie Chaplin, qui n’ont pas manqué de dire que leur grand-père aurait assurément adoré le film. Si l’on suppose que les membres de l’Académie votent pour des films qu’ils apprécient sincèrement, on remarque que Weinstein a un don indéniable pour faire aimer les films, des facultés de communicant sans pareil, une réactivité record aux publications sur le cinéma, qu’il prend chaque jour en compte pour remodeler légèrement sa stratégie.
Dès lors, beaucoup de nos questionnements sur les Golden Globes et les Oscars trouvent sans problème leurs réponses. Pourquoi ne trouvera-t-on que trop peu (voire pas) The Tree of Life et Drive, Shame (hormis pour la prestation hallucinante de Michael Fassbender, déjà nommé au Golden Globes) et Take Shelter aux Oscars ? Pourquoi Jessica Chastain y sera-t-elle sûrement nommée (comme aux Golden Globes) pour le Meilleur second rôle féminin, mais pour la niaiseuse Couleur des Sentiments et pas The Tree of Life et Take Shelter, qu’elle illumine de bout en bout ? Pourquoi Michael Shannon, pourtant incroyable dans ce dernier film, passera-t-il sûrement à la trappe ? Pourquoi même Eastwood ne sera-t-il peut-être pas de la partie ? Tout simplement parce que les équipes de ces films-là n’ont soit pas les moyens de se lancer dans une campagne médiatique d’une telle ampleur, soit parce qu’elles n’en ont tout simplement pas l’envie – et c’est tout à leur honneur. Le grand Clint se soucie-t-il vraiment de remporter des Oscars, lui qui depuis trente-cinq ans élabore, tourne (en partie) et monte les films tel un sage tranquille dans le studio de Malpaso, son îlot au sein des grands studios de la Warner Bros (voir le dossier des Cahiers du Cinéma n°674), et rencontre avec constance d’honnorables succès ? Malick, qui n’est déjà pas venu chercher, par timidité, sa Palme d’Or au dernier Festival de Cannes, penserait-il une seule seconde mettre un pied dans le Kodak Theatre de Los Angeles, qui accueille la cérémonie des Oscars ?
Malheureusement moins qu’une reconnaissance artistique indubitable (Weinstein a tout de même réussi à faire nommer en 2001…Chocolat de l’infâme Lasse Hällström !), les résultats des Oscars rendent compte d’un buzz hollywoodien tantôt légitime, tantôt artificiellement créé, ou du moins gonflé. Ne remettons pas en cause toute l’histoire d’une institution mythique. Gardons seulement à l’esprit que, lorsque Meryl Streep remportera le 26 février prochain son deuxième Oscar de la meilleur actrice (elle en a également reçu un pour le meilleur second rôle), elle le devra autant à son propre talent qu’à celui du distributeur de son film. Dans son acceptance speech des Golden Globes, elle osait remercier « Dieu : Harvey Weinstein ». Au-delà du trait d’humour, cette adresse au soutien financier du film mais surtout (c’est ça qui nous intéresse) de la campagne de l’Awards Season ne paraît avoir choqué personne à Hollywood. On imagine alors – pris soudain par le délire de l’argent nous aussi ? – que toutes les fois où les starlettes hollywoodiennes gémissaient « Oh my God ! » sur la scène du Kodak Theatre, elles invoquaient le producteur/distributeur de leur film.
1 Comment
« Chez ces mesdames, on a Nicolas Kidman en Virginia Woolf (et avec protesse nasale, un bonus non négligeable) dans The Hours (2003), Charlize Theron considérablement enlaidie dans Monster (2004), Felicity Huffman en transexuel dans Transamerica (2006), Marion Cotillard pour La Môme (2009) : le sacre de Meryl Streep cette année pour sa prestation en Margaret Thatcher n’est qu’une nouvelle illustration d’une tendance qui se vérifie également aux Oscars, mais dans une moindre mesure. »
Il y a eu aussi Reese Witherspoon en June Carter dans Walk the line qui a remporté une petite vingtaine de récompenses ;) (je sais, je fais chier avec elle, mais c’est comme ça :p).
Sinon cet article est très intéressant. C’est vrai que ce genre de cérémonie privilégie certains types de films ou de prestations, mais dans la plupart des cas, il faut tout de même avouer qu’elles récompensent des grands films ! Sinon, je ne préfère même pas penser à tous ces problèmes d’argent. Je préfère imaginer qu’une personne a gagné un prix parce qu’elle le mérite, tout simplement (traitez moi de naïf si vous le voulez, et vous aurez peut-être raison).
Le palmarès des golden globe cette année me semble en tout cas juste, même si je regrette que Bérénice Béjo n’ait rien remporté car sa performance est tout aussi incroyable que celle de Jean Dujardin (mais la concurrence plus rude, malheureusement). Petite déception aussi pour Harry Potter 7, que j’aurais aimé voir récompensé. Mais qui sait, les nominations aux oscars ne sont pas encore arrivées ;)