The Box

On a tous connu à un moment ou à un autre des intuitions qui se sont révélées exactes. Il y a en effet des pressentiments tellement instinctifs que lorsque se dévoile la vérité, aucun étonnement ne s’empare de nous. Prenons The Box, le troisième long-métrage de Richard Kelly. A la vision du film, on pense inexorablement au Prédictions d’Alex Proyas sorti quelques mois plus tôt. La structure des deux films est en effet étrangement similaire. Dans les deux cas, nous avons affaire à un pitch de base limité mais au concept potentiellement excitant qui se met à dériver vers des enjeux de plus en plus apocalyptiques. Du coup, il n’y a pas de surprise lorsque Kelly déclare en interview avoir travaillé un temps sur Prédictions avant de céder sa place à Proyas. L’anecdote est prévisible et permet de confirmer que Kelly a clairement voulu faire amende honorable après l’accueil désastreux de son Southland Tales. Pour sa dernière réalisation, il décide donc d’accepter de faire un film de studio. Préférant s’écarter de la délicate réalisation de Prédictions (pas un mauvais choix quant on voit dans quelle panade est tombée Proyas), Kelly s’oriente donc vers The Box, production de moindre envergure sur laquelle il a pu injecter plus facilement des préoccupations personnelles.

Le projet avait surtout de passionnant quant à savoir ce que donnerait la rencontre de l’univers de Richard Kelly avec celui de l’écrivain Richard Matheson. N’en déplaisent aux fans du cinéaste, il faut dire que sa réputation a toujours été quelque peu surfaite. Du talent, le bonhomme en a très certainement et rien que son premier film Donnie Darko est là pour le confirmer. Toutefois, cette admiration immédiate suite à ce premier essai masque le certain manque de maturité du cinéaste. Il joue encore de manière trop zélée sur le caractère abscons (limite hermétique) du projet, verse trop dans un mécanisme d’étrangeté pour l’étrangeté et donne l’impression d’un bout à bout de moments forts. Par conséquent, on pouvait considérer que l’approche de l’œuvre de Matheson lui donnerait la rigueur qui lui manquait jusqu’alors. En se basant sur d’inventifs concepts aussi originaux que forts, l’auteur de Je suis une légende s’est attelé durant toute sa carrière à créer de véritables toiles d’araignée narratives. Partant d’un point déterminé, il trace ainsi plusieurs lignes qui sont autant de direction à prendre dans la manière de considérer le sujet. Son écriture s’oriente ainsi vers les questionnements moraux, économiques, religieux, sociaux, philosophiques et humains que peuvent soulever le sujet, en n’oubliant pas de créer des ponts entre ces divers angles d’attaque. Il faut pourtant dire qu’aussi abouti et bouleversant soit The Box, la réussite du film ne tient pas particulièrement à cette structure. Par rapport aux possibilités offertes, le traitement n’est guère poussé et la toile d’araignée narrative façon Matheson s’avère surtout une toile de fond.

Face à la faible épaisseur de la nouvelle, Kelly préfère la développer par un surprenant système de digression auquel il est habitué plutôt qu’au travers de la délicate construction de l’écrivain. Transcrivant fidèlement la nouvelle dans la première partie, le réalisateur va au bout du compte partir dans des extrapolations autour de la morale de la nouvelle (connaissons-nous vraiment les gens ?). Ce qui tranche toutefois avec les précédents opus du bonhomme est qu’il s’attache beaucoup plus ici à la compréhension qu’aura le spectateur de son histoire. Si les nombreuses digressions du récit ne servent pas toujours directement le concept de base, le film ne pâtit jamais de ces écarts. The box reste parfaitement limpide et compréhensible de bout en bout. Le film comporte certes son lot d’étrangetés et de bizarreries mais celles-ci ne vont jamais désarçonner le spectateur. À l’inverse d’un film comme Cube de Vincenzo Natali, Kelly nous dévoile implicitement toutes les clefs de son univers et ne laisse finalement guère de zones d’ombre sur ces tenants et aboutissants pour peu que le lecteur soit attentif (c’est sûr qu’il ne fallait pas s’attendre à un thriller lambda avec plein de courses poursuites). Chose faite, il laisse toute l’attitude au spectateur pour se concentrer aisément sur son travail atmosphérique. Cette ambiance de conspiration à grande échelle teintée de prémices apocalyptiques rend d’ailleurs fort captivante l’œuvre et s’avère un choix plus logique que de chercher à maintenir la vaine complexité d’une intrigue qui s’évaporera probablement à la seconde vision.

Avec The Box, Richard Kelly semble définitivement avoir passé le cap de la maturité. Cela se sent d’ailleurs plus que jamais au niveau de ses références. Certes pas encore complètement digéré (impossible de ne pas voir dans ces zombies manipulés par une force supérieure une résurgence de L’invasion Des Profanateurs), l’étalage de ses influences s’inscrit parfaitement dans le cadre de sa narration. Il n’y a qu’à prendre cette étrange conversation téléphonique à la Lost Highway où le clin d’œil lynchien sert à mettre en évidence la menace qui pèse sur le couple. La mise en scène n’est pas en reste. Aussi simple qu’efficace, le réalisateur montre tout son respect pour les œuvres paranoïaques 70’s (on saluera d’ailleurs la qualité de la reconstitution jusque dans les fautes de goût). Cela ne l’empêche pas cela dit de s’amuser, notamment en faisant un pied de nez à 2001 par un renversement du régime de valeur géométrique instauré par Stanley Kubrick. Dans le mythique space opera, l’homme se retrouvait planté au sein d’une architecture basée sur des cercles. Une manière de symboliser la spirale dans laquelle est prisonnier l’humanité et qui ne peut s’en sortir et évoluer que grâce à l’apparition d’un monolithe. Kelly fait tout l’inverse : l’homme est symbolisé par des formes rectangulaires alors que l’architecture plus en rondeur est réservée aux forces supérieures. Les deux films proposent même chacun leurs points de jonction (HAL 9000 dans 2001 et la boîte dans le cas présent) entre les deux univers qui correspondent à un cercle au sein d’une forme rectangulaire ou carrée.

Faisant preuve d’une démarche pertinente et de clarté dans son écriture, The Box reste toutefois nébuleux dans ses questions de fond. Lorsqu’arrive le final au machiavélisme moralisateur (on retombe là dans du pur Matheson), on se demande quelles étaient les intentions de Kelly par rapport au sujet. Ce dernier se montre d’ailleurs assez fuyant sur ce point dans son commentaire audio, avouant vouloir laisser aux spectateurs le bénéfice de la réflexion. Toutefois cette conclusion entre exultation et nausée n’enlève pas la richesse d’une œuvre marquant l’accomplissement de son auteur. Car quelque soit le sentiment qui prédomine à la sortie de la salle (combien de spectateurs n’ont retenu que l’aspect misogyne de l’histoire), l’objet reste assez fascinant et dense pour qu’on souhaite s’y replonger avec plaisir.

Réalisation : Richard Kelly
Scénario : Richard Kelly
Production : Darko Entertainment
Bande originale : Arcade Fire
Photographie : Steven Poster
Origine : USA
Titre original : The Box
Date de sortie : 04 novembre 2009

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