The Dictator

Il a été interdit d’Oscars, est arrivé, pour le Festival de Cannes, entouré de ses gardes du corps sexy et d’un chameau au Carlton passé pour l’occasion aux couleurs de la République islamique de Wadiya et s’est même offert, au large de la Croisette, de commettre en direct le meurtre d’une jeune femme qui, si l’on en croit les clichés parus dans la presse, lui aurait fait des remarques sur la taille de son sexe ! Ça n’est pas tout : il connaissait à l’avance le score du Super Bowl pour avoir acheté la chaîne NBC et a tenu à féliciter notre nouveau Président, « François Hollandaise », tout en regrettant que Dominique Strauss-Kahn, « violeur hors pair », ne l’ait pas emporté. Ces derniers mois, Sacha Baron Cohen était partout, même là où on l’attendait le moins. Ou devrait-on plutôt dire l’Amiral Général Aladeen. Car, lorsqu’il fait la promotion de ses films, le comique anglais n’est plus lui-même, seulement les personnages déjantés et controversés qu’il crée ! Celui-ci a fait tellement parler de lui que le film qui va avec n’a presque l’air que d’une petite aventure de plus, à côté de celles qu’il a connues en dehors des salles obscures. Reconnaissons donc déjà un talent à l’humoriste : au-delà de sa capacité à s’entourer d’une équipe de communicants visiblement hyperactifs, qui sont allés jusqu’à créer tout un site de la République (fictive) de Wadiya, Cohen sait inventer des figures bigger-than-life qui restent gravées dans les esprits au-delà des longs-métrages qu’il leur consacre.

Wadiya donc, quelque part à la place que serait censée occuper l’Erythrée si l’on en croit les cartes que l’on aperçoit dans le film. Dans un décor en toc, à l’artifice évident (et drôle en un sens), Aladeen y roule en 4×4 plaqué or, y parle un anglais dont on n’aurait jamais soupçonné qu’il se prêterait aussi bien à une « arabisation », y côtoie un Ben Kinsley dont on ne savait pas non plus qu’il pourrait aussi bien jouer les Arabes que les Indiens (dans Gandhi de Richard Attenborough, 1983) et une pléiade de stars hollywoodiennes qui défilent dans son lit. Les premiers temps du métrage sont purement jouissifs : la légende de ce personnage démesuré est posée à raison d’un gag à la minute ! Aladeen s’est ainsi mis au monde lui-même, a organisé ses propres Jeux Olympiques au cours desquels il a remporté 24 médailles d’or, est réputé ignare et a ainsi fait remplacer plus de 300 mots de la langue de Wadiya par son propre nom, causant un trouble chez ses citoyens ! Il l’avait déjà montré avec ses précédents opus : Cohen sait composer avec le monde qui l’entoure et en intégrer des données dans l’univers fictionnel qu’il crée : son personnage, pour commencer, est un dictateur qui en évoque bien d’autres, réels, tombés grâce aux Printemps Arabes ou malheureusement encore en place. Les attributs sont convoqués et moqués, nous renvoyant parfois – toutes proportions gardées – au Dictateur de Chaplin (1940) : le salut (il lève le bras, on lui embrasse l’aisselle), le titre officiel (« beloved oppressor » ou « supreme leader », avec une préférence pour le premier !) ou encore les défilés officiels, ici sur fond d’un gros rap US qui nous ramène à Ali G (2002). Le tout ne manque pas d’idées pour illustrer les excès du personnage : par exemple un lent zoom-arrière sur le « tableau de chasse » d’Aladeen, qui prend en photos les femmes qu’il s’est payées (la métaphore, ici, est évidente : en voilà un qui « baise le monde »). Parmi celles-ci, quelques visages connus comme Halle Berry, et une Megan Fox qui joue son propre rôle et annonce qu’elle doit aller rejoindre, après en avoir fini avec son dictateur préféré, le Premier Ministre italien ! Le show-business hollywoodien et la classe politique mondiale sont égratignés et l’humour est franchement gras, relativisé par le talent d’acteur de Cohen : on ne résiste pas à ses mimiques machiavéliques lorsqu’il assure, lors d’une conférence sur le nucléaire, que celui-ci « ne sera jamais utilisé pour attaquer Isr… ».

Mais dès lors que le film cherche à se trouver des enjeux (il faut bien) et à nouer une intrigue absurde vaguement inspirée de Mark Twain (Le Prince et le Pauvre, 1882), il impose également de grosses limites à son délire et se révèle moins surprenant, composé de passages plus attendus. Tandis qu’il se rend à New York pour répondre enfin aux critiques insistantes de l’ONU, le Général est victime d’un complot militaire et remplacé par un sosie, condamné, lui, à l’anonymat. Au côté d’une écologiste lesbienne jouée par l’irrésistible Anna Faris (l’héroïne de la saga Scary Movie et du Smiley Face de Gregg Araki), il découvre ce qu’est la vie d’un immigré issu du monde arabe. Le film devient dès lors, en marge de sa structure narrative trop éculée, une alternance pas désagréable de gags purement potaches et des tacles que Cohen aime réserver à la société américaine et ses travers. Côté délire de lycéen, on aime particulièrement ce sommet d’absurdité où Aladeen découvre les joies de la masturbation sur fond d’une musique too muchI can’t believe it’s happening to me, sic) et avec des images incroyables de libération (un panier de marqué au basket, un handicapé qui arrive à marcher). Ou encore ces passages hilarants qui ventent les « bienfaits de la dictature », notamment à l’échelle d’un magasin de produits bio.

On ne retrouve jamais complètement le pourfendeur ultra-audacieux des excès de la société américaine qui avait si bien su nous faire à la fois rire et réfléchir dans Borat (2006) et Brüno (2009). Cohen y créait des personnages complètement fous et les catapultait dans la réalité de l’Amérique ou du monde arabe d’aujourd’hui pour en révéler les travers. On se souvient encore de ce moment horrible où Cohen/Borat parvenait à faire reconnaître à son insu à un public de Texans en délire qu’ils aimeraient raser l’Irak de la carte et y tuer femmes et enfants, ou de cette entrevue culotée de Brüno avec Ron Paul, candidat à la Primaire Républicaine, où le personnage tentait de séduire le politique et révélait ainsi l’homophobie latente de celui qui se disait tacitement favorable à la cause homosexuelle. Dès lors que Sacha Baron Cohen revient ici, comme dans Ali G, à de la pure fiction, il perd de facto en virulence et en impact.

La monotonie de la mise en scène de Larry Charles n’est également rompue que de manière épisodique, lorsqu’il s’agit de singer le sensationnalisme parfois absurde des médias : la moquerie des commentateurs politiques qui brassent de l’air est par exemple très bien balancée, lorsque deux présentateurs décryptent en direct les pitreries d’Aladeen à l’ONU, cherchant bêtement à donner du sens à ce qui en est purement dépourvu (il tombe de la scène, « un signe clair qu’il faut que l’ONU se prosterne devant lui ») ! De même que les gags purement potaches, les piques plus politiques arrivent par intermittence, visent la société américaine de la peur (scène assez réussie dans l’hélicoptère, en compagnie d’un vieux couple d’Américains qui prend peu à peu Aladeen pour le commanditaire d’un « World Trade Center version 2012 ») et de la stigmatisation des populations arabes comme de potentiels ennemis de la nation. Le meilleur moment du film est assurément un long discours rhétorique où Aladeen recommande aux Etats-Unis d’opter pour un régime dictatorial, qui leur permettrait de réserver la richesse du pays à un centième de la population, d’ignorer les besoins des pauvres en santé et en éducation, de torturer les prisonniers étrangers, de mentir sur les motivations d’un départ à la guerre et d’utiliser les médias pour effrayer la population. « Je sais que c’est dur à imaginer pour vous, Américains ! » dit-il. Dans de tels passages, on oublierait presque que The Dictator n’est qu’une succession de vignettes à l’humour noir plus ou moins surprenant pour célébrer sans réserve l’audace caustique de Sacha Baron Cohen !

Réalisation : Larry Charles
Scénario : Sacha Baron Cohen, Alex Berg, David Mandel et Jeff Schaffer
Production : Sacha Baron Cohen, Alex Berg, Anthony Hines, David Mandel, Scott Rudin, Jeff Schaffer et Todd Schulman
Bande originale : Erran Baron Cohen
Photographie : Lawrence Sher
Montage : Greg Hayden
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 20 juin 2012
NOTE : 3/6

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