Sans Issue

Disons bien qu’il n’y aurait techniquement pas lieu de s’appesantir outre mesure sur une production comme Sans Issue si celle-ci n’était pas réalisée par Mabrouk El Mechri. A l’instar de compatriotes comme Alexandre Aja, Florent Emilio Siri ou Mathieu Kassovitz, l’aventure américaine passe par l’acceptation de s’atteler à un projet qui s’apparente à un produit de consommation courante dans une industrie si productive. Pourquoi diantre gâcher son talent dans des projets ne nécessitant pas forcément de leurs compétences spécifiques ? Les raisons sont au moins aussi nombreuses qu’il y a d’intéressés et, pour la plupart, elles demeurent compréhensibles. De l’envie de profiter du professionnalisme et des moyens d’Hollywood pour satisfaire quelques fantasmes à la volonté de se forger une carte de visite pour monter des projets plus ambitieux et personnels, les explications ne manquent pas. Mechri a les siennes qui l’ont conduit à accepter Sans Issue. Le plus équivoque à la vision du film est que ce divertissement ne dépareille pas forcément avec le cinéma qu’il a développé. Le projet présente en effet des bases communes avec ses deux précédents long-métrages, ce qui en faisait un choix cohérent pour le réalisateur. Ses deux films avaient pour particularité d’investir un genre précis (le film de boxe pour Virgil et le film de braquage pour JCVD) en respectant ses codes et en y développant une galerie de personnages amoureusement croqués. Des personnages tournant souvent autour d’une cellule familiale présentant des disfonctionnements causés par différentes raisons (une longue série de mensonges incontrôlables dans Virgil ou l’aura de star dans JCVD). Par les épreuves inhérentes au genre, ces personnages vont acquérir la paix et pouvoir se réconcilier. Virgil se clôture ainsi comme JCVD sur un échange quasi-spirituel entre le père et le fils/fille. De belles constructions émotionnelles que Mechri doublait d’une incroyable maîtrise de la mise en scène, même si le monsieur passe ses commentaires audio à pointer les innombrables erreurs qu’il aurait commises. Tout ceci, on le retrouve au moins en partie dans Sans Issue.

Sans Issue ou The Cold Light Of Day en version originale (toujours aussi créatifs messieurs les traducteurs) est donc un thriller où le héros nommé Will Shaw se retrouve perdu en Espagne et obligé de récupérer une mystérieuse valise pour sauver sa famille kidnappée. Avant de rentrer dans le vif du sujet, le film prend toutefois la peine de nous dépeindre à son rythme la dite famille. Un clan dans lequel Will se sent peu à l’aise, notamment par rapport à l’autorité de son paternel. Malgré les accolades franches lors des retrouvailles, il ne fait nul doute que Will est un être isolé au sein de cette cellule. Sans même l’apparition de l’élément perturbateur, il est un homme livré à lui-même et qui n’a pas grand chose à perdre (un dialogue nous apprendra que sa vie professionnelle est un naufrage). L’intérêt de cette présentation tient également à la mise en scène choisie. Dès les premières secondes, Mechri le présente comme un être fuyant. La caméra le filme de dos entrain de marcher et les cadrages émasculent méticuleusement son identité. De manière prophétique, il était donc destiné à être celui qui sauvera sa famille afin d’y retrouver sa place.

Enjeux posés, le film peut alors déployer son périple d’action pour lesquels les scénaristes n’ont pas commis l’outrage de l’originalité. La trame restera ainsi dans des chemins bien balisés enchaînant à rythme régulier trahisons, poursuites, retournements de situation et altercations diverses… Rien que du très courant donc, évitant ainsi d’essayer de trop creuser la nécessité de débrouillardise d’un personnage en territoire inconnu. Là encore, c’est la touche de Mechri qui assure un minimum de classe au spectacle. Il prolonge ainsi les dispositifs de mise en scène posés dans l’introduction. Le réalisateur multiplie les cadrages et mouvements de caméra dénotant l’isolement du personnage et sa situation désormais précaire. L’utilisation de reflets et de panoramique à trois cent soixante degrés sont quelques-unes des idées régulières de sa mise en scène. Des effets assurant un lien émotionnel avec un personnage virant au punching-ball humain. La bonne surprise vient également d’un Henry Cavill convaincant dans le rôle. L’excellence de Mechri en matière de direction d’acteurs n’est plus à démontrer. Du piètre héros mythologique des Immortels, il tire une illustration crédible du quidam dépassé par les évènements. Il se définit d’ailleurs en réaction à ceux-ci et moins par sa psychologie. Cavill en devient une boule de nerfs attachante en la matière, ce qui s’inscrit bien dans un spectacle peu spectaculaire mais jouant sur une brutalité simple et immersive (voir l’étourdissante descente en rappel d’un immeuble).

Pour autant, ces moult efforts appréciables ne réussissent pas à faire sortir Sans Issue du lot. Le montage recèle en effet son lot de problématiques qui tendent à maintenir le film dans sa simplicité béate. De là à penser que Mechri n’a pas eu le contrôle total sur le produit final, il n’y a qu’un pas à franchir. Passons sur le sempiternel problème des scènes d’action ultra-découpées et demeurant dans le registre de l’illisible. Le souci tient à des approximations ou des erreurs autrement plus répétitives et dérangeantes vu la matière filmée. On fera ainsi la grimace face à une prolifération d’inserts plus ou moins inutiles permettant au spectateur d’éviter de se forcer à connecter deux neurones. Par exemple, ajoutons quelques plans sur un homme montant un fusil sniper. Ça évitera au spectateur de s’interroger sur l’origine d’un rebondissement à venir (et tant pis si le dit rebondissement est grillé au passage). Plus curieux, on sent que Mechri a maintenu la méthodologie de tournage qui lui est chère mais que le montage n’en respecte guère les intentions. Mechri aime les longues prises pour laisser les acteurs s’exprimer et n’hésite pas à avoir recours au plan-séquence. Une approche se sentant clairement dans Sans Issue au vu des mouvements de caméra de certaines prises. Pourtant, les scènes en question comme la fusillade du parking sont montées le plus banalement du monde. Les nombreuses idées parsemant le film sont là mais semblent inabouties et ne font qu’effleurer toutes les possibilités soumises afin d’élever son carcan.

Ironiquement, le final insiste sur cette idée de consécration partielle. Comme sur les précédents films de Mechri, la conclusion se fait sur une note de réconciliation. Mais celle-ci possède néanmoins une connotation amère. Même si il reste le moteur de la réunification, le dernier plan ne manque pas de montrer comment le héros reste finalement à l’écart de la cellule familiale. Tout a été accompli et pourtant tout n’est pas rentré dans l’ordre. Quelque chose est inachevé et insatisfaisant…

Réalisation : Mabrouk El Mechri
Scénario : Scott Wiper et John Petro
Production : Summit Entertainment
Bande originale : Lucas Vidal
Photographie : Remi Adefarasin
Origine : USA
Titre original : The Cold Light Of Day
Date de sortie : 2 mai 2012
NOTE : 3/6

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