Magma

REALISATION : Pierre Vinour
PRODUCTION : CinéCinémas, Les Enragés
AVEC : Mehdi Nebbou, Natacha Régnier, Arly Jover, Aurélien Recoing, Lise Tiersen, Brigitte Barilley, Damien Taranto, Bénédicte Vanderreydt, Thierry Der’ven, Jean-François Bourinet
SCENARIO : Pierre Vinour, Pascal Mieszala
PHOTOGRAPHIE : Eric Weber
MONTAGE : Emmanuel Jambu
BANDE ORIGINALE : Zone Libre
ORIGINE : France
GENRE : Drame, Thriller
DATE DE SORTIE : 17 novembre 2010
DUREE : 1h38
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Un jour, au cours d’un séminaire dans un hôtel isolé en Auvergne, Paul Neville met en danger son mariage avec Christie en entamant une liaison avec sa voisine de chambre. Mais le jour où les amants décident de tout quitter pour vivre leur passion, la jeune femme disparaît. Suspecté par la police, Paul se voit aussi envahi par d’étranges pulsions. Pour découvrir ce qui est arrivé à sa maîtresse, il devra d’abord se connaître lui-même…

Les titres des deux longs-métrages de Pierre Vinour ont un point commun : évoquer la matière en fusion, rester au plus proche du physique afin de mieux fouiller le psychique. Après l’homme-étoile menacé d’implosion, voici donc l’inconscient humain au sens large, ce magma qui sommeille sous l’écorce (sous la peau). Là encore, de nouveau une incursion sur les terres d’Auvergne et du Limousin si chères au réalisateur où va se jouer un singulier dérèglement des sens. Et une fois de plus, le dérèglement vise aussi bien le protagoniste que le spectateur, preuve que le cinéma de Vinour se crée et se ressent de la même manière. Tout pareil, donc ? Non. Magma a du neuf à proposer sur le plan formel : à la radicalité sèche de Supernova [Expérience #1] se succède ici un Scope splendide dont les couleurs sensiblement désaturées font se confondre les matières humaines et minérales. On voit d’ici le principe : un individu enfermé dans sa psyché, qui, désireux de larguer les amarres avec le réel, investit un territoire tellurique qui reflète les tourments massifs de son inconscient. Sauf que, deuxième nouveauté, le récit adopte ici clairement la matrice d’un thriller. Non pas un suspense à la Hitchcock qui donnerait d’entrée une avance au spectateur, mais plutôt un suspense en suspens, un trip quasi hallucinatoire sur fond d’étendues volcaniques et de tourbières granitiques. Et pour refléter l’individu désireux de fuir le réel, Vinour choisit une idée géniale : un ingénieur en télésurveillance qui épie les autres – dont sa propre famille – autant qu’il se sent lui-même épié. Cela vous rappelle Lost Highway ? Normal. Mais plus qu’à David Lynch (influence tangible dans le précédent film de Vinour), Magma renvoie à l’un de ses transfuges, hexagonal celui-là : Gilles Marchand, cinéaste de Qui a tué Bambi ? et de L’autre monde dont on retrouve ici le goût du mystère narratif et des menaces en sourdine. Le résultat est troublant. Extrêmement troublant.

Tout part ici d’un séminaire en Auvergne, dans lequel Pierre Vinour donne à nouveau sa propre définition du corps administratif : un cocon aliénant et intolérant qui ne cesse d’arrimer toujours plus fort l’humain aux enjeux matériels et protocolaires, ici symbolisés par un hôtel de montagne aux allures de blockhaus. Tout ce qui intéresse le cinéaste relève de l’introspectif, de l’échappée belle vers l’extérieur qui revient à fouiller son propre intérieur. Le héros, Paul Neville (joué par un impeccable Mehdi Nebbou), est atteint d’une peur des grands espaces – l’agoraphobie – qui le pousse à rester cloisonné dans sa chambre. Et c’est sa rencontre avec une jeune et jolie institutrice espagnole, Ainhoa (Arly Jover), qui l’amènera à sortir de sa chambre pour aller au contact de la beauté des hauts-plateaux auvergnats, promesse d’un horizon infini et d’une idylle en gestation. Jusqu’à ce que la belle, visiblement harcelée par son ex-mari, ne disparaisse soudain sans aucune explication, laissant Paul désemparé et forcé de cacher à sa propre famille sa relation avec la disparue. Peu à peu hanté par le souvenir de cette idylle, il retournera en Auvergne sur les traces de cette histoire d’amour qui semblent avoir toutes disparues, et ce alors qu’un policier coriace (Aurélien Recoing) se met à le soupçonner d’être à l’origine de la disparition d’Ainhoa. En l’état, un scénario de polar tout ce qu’il y a de plus classique, avec mystère au milieu et résolution à la clé. A l’écran, un vaste labyrinthe psychique où la personnalité tourmentée de Paul (dévoré par ses peurs et ses pulsions) se traduit par une errance dans des paysages désertiques où semble régner une menace qui ne dit jamais son nom.

Magma se révèle être un film assez composite dans les influences qu’il charrie plus ou moins consciemment : un peu d’Atom Egoyan par-ci (beaucoup de jeux sur les écrans et les miroirs qui cernent le genre humain), un peu de Philippe Grandrieux par-là (une approche sensorielle via un montage riche en diffractions et en brouhaha sonore), un peu de Nicolas Roeg aux entournures (une marâtre flippante au faciès de sorcière), mais avant tout une subjectivité tous azimuts qui fait tout vivre et tout ressentir à hauteur d’un héros que l’on devine dangereusement instable. La sobriété de la réalisation n’est ici qu’apparente : les audaces plastiques de Vinour invitent à voir toujours au-delà des apparences (c’est fou comme les décors brumeux de l’Auvergne évoquent les étendues d’une planète inconnue), et même le corps humain, dénudé en gros plan ou couvert en plan large, est toujours filmé comme un paysage, voire comme une chaîne de montagnes sous laquelle s’agitent des forces surnaturelles (plan marquant d’un visage recouvert d’insectes grouillants). Quant à la bande-son, on manque clairement de mots, tant elle suffit à faire de Magma un film qui se regarde avec les yeux autant qu’avec les tympans. Composé par le groupe de post-rock Zone Libre (auquel participe Serge Teyssot-Gay, guitariste de Noir Désir), ce rock expérimental constitué de guitares saturées et de sonorités angoissantes ne cesse ici de dialoguer avec les images, allant même jusqu’à lier l’aspect contemplatif de la mise en scène à celui qui formait en partie l’identité des westerns US, eux-mêmes chargés en vastes étendues avec beaucoup de poussière et très peu de vie. En outre, même quand le film se fait muet, la bande-son laisse toujours apparaître une sorte de bourdonnement dans le fond, un peu comme si de la lave circulait entre les plans. Comme quoi, parfois, une mise en scène de cinéma n’a pas besoin de grand-chose pour dessiner un jeu de causalité entre la nature et l’organique.

En opposition aux vastes étendues minérales, les décors fermés que Magma nous fait visiter parviennent aussi à se répondre eux-mêmes. Chacun d’eux est ici à lire comme une « maison », que ce soit un cocon familial et moderne strié par la souffrance du présent (Natacha Régnier joue ici une épouse fragile et altruiste sur le point d’imploser) ou une vieille bâtisse marquée par les démons du passé (on n’aura aucune difficulté à déceler un trauma d’enfance derrière tout ce tohu-bohu mental). Même une simple ballade à Vulcania parvient à faire effet dans l’idée de renvoyer l’humain à son tempérament volcanique, sec au-dessus, bouillant en-dessous. Tous ces petits effets de correspondance – très subtils car jamais surlignés avec insistance par les choix de mise en scène – aident ici à rassembler les pièces du puzzle avant qu’un brutal retour à la réalité ne casse la subjectivité du découpage au profit d’une objectivité sèche, éclairant tout ce qui a pu se passer en surface sans pour autant tracer de point final à ce qui relève de la profondeur. Sans lenteurs ni lourdeurs, dépourvu des codes trop figuratifs de l’installation vidéo et nourri aux racines les plus dignes de l’expérimental, le cinéma tellurique de Pierre Vinour atteint ici un pic supérieur. Ballade sensorielle ou expérience introspective, au fond, c’est kif-kif. Disons un magma filmique qui s’écoule silencieusement mais sûrement sous les terres d’une production hexagonale qui, d’une année sur l’autre, ne sait plus comment amener ses plus hauts sommets à cracher publiquement leur plus belle lave. Sortir ces objets cinématographiques non identifiés de la confidentialité qui leur sert de crevasse sera bien le meilleur service à lui rendre.

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