D’entrée, il y a un malentendu qui risque de se frayer un chemin au cours des sorties ciné de cette semaine : Le moine marquerait le retour de Dominik Moll après une longue période d’absence (son dernier film, Lemming, n’a pourtant que six ans d’ancienneté). Or, ce serait oublier que le bonhomme, également co-scénariste pour son collègue Gilles Marchand (L’autre monde, Qui a tué Bambi ?), n’a jamais cessé de prendre son temps avant de revenir à la réalisation, y compris lorsque son plus gros succès (Harry, un ami qui vous veut du bien) lui conférait, outre un César amplement mérité, le statut de nouveau génie du cinéma de genre français. En outre, brouiller les pistes et jouer sur les attentes du public n’est pas seulement une habitude de la part du cinéaste pour bâtir une filmographie hors normes, c’est aussi quelque chose qui se répercute au sein de son propre travail artistique. Et même si la semi-déception est cette fois-ci assez flagrante, Le moine est bel et bien un film de Dominik Moll. Toutes les composantes de son style sont à nouveau répercutées dans cette adaptation du roman de Matthew Gregory Lewis : l’immixtion du Mal dans un cadre hautement réaliste, la paranoïa comme vecteur dramatique, une atmosphère faussement paisible où se nichent des forces invisibles. Un triple programme qui, le temps d’une stupéfiante scène d’ouverture, laisse béat d’admiration : un moine silencieux et immobile (Vincent Cassel), au visage doucement éclairé mais cerné par de lourdes ténèbres, écoute la confession d’un seigneur pervers (Sergi Lopez), au visage dissimulé derrière une grille mais assez facile à distinguer. A peine cinq minutes de métrage, et le film est déjà au sommet, créant une atmosphère lourde tout en annonçant clairement la suite des événements : pour cet homme de Dieu, empreint d’une forte conviction et d’une pureté toujours vivace, persuadé que la résistance à la tentation n’est qu’affaire de volonté et de soumission à Dieu, la lutte contre le Mal est d’ores et déjà perdue d’avance. Or, ça, c’est que l’on devine avant même le début de l’intrigue. Reste désormais à filmer ce processus, à décrire de façon symbolique les étapes successives, et c’est justement là que le film trébuche plus d’une fois.
Comme on le soulignait, ce moine, prénommé Ambrosio, se croit imperméable à toute forme de tentation. Pour lui, la faiblesse reste la porte ouverte à la corruption, le manque de fermeté à exprimer son amour à Dieu est la première étape au retour du diable, et tout écart, qu’il soit jugé infime ou grave, mérite le châtiment. Ce qui rend le personnage plus vulnérable qu’il ne le laisse paraître provient de plusieurs aspects, que Moll aura eu peut-être la mauvaise idée de détailler dans l’intrigue de façon un peu trop rapide : il est un enfant abandonné par ses parents qui fut déposé devant la porte du monastère dont il est désormais l’un des résidents les plus engagés, ses quelques pensées l’amènent parfois à se recueillir dans un jardin idyllique et garni de roses rouges, et la méfiance de ses congénères envers lui le feraient presque passer pour un intrus dont la place dorée finirait à un moment par s’effriter. C’est tout le problème du film que de se livrer à un trop-plein d’informations dès le début du film, anéantissant ainsi toute perspective d’immersion dans l’inconnu, et surtout, réduisant son spectateur au rôle de témoin passif qui voit tous les pièges arriver un par un et qui sait à l’avance que le héros ne pourra les éviter. Tout comme la plupart des films démonstratifs et didactiques qui cantonnent leur fond à une illustration stricto sensu des passages obligés, Le moine échoue trop souvent à créer le malaise ou le trouble, la faute à un scénario sans grand intérêt et aux ficelles narratives parfois énormes. Il faut y voir comment Moll ose surmultiplier les plans de gargouilles ou de statues sur les murs du monastère (dont certaines à forme phallique ou à visage effacé) et tente même le diable en élaborant des sous-intrigues narratives qui ne servent honnêtement pas à grand-