REALISATION : Roman Polanski
PRODUCTION : A.S. Films
AVEC : Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric
SCENARIO : Roman Polanski, David Ives
PHOTOGRAPHIE : Pawel Edelman
MONTAGE : Hervé De Luze, Margot Meynier
BANDE ORIGINALE : Alexandre Desplat
ORIGINE : France
GENRE : Comédie dramatique
DATE DE SORTIE : 13 novembre 2013
DUREE : 1h33
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…

Ce n’est pas la moindre des surprises liées à Roman Polanski que celui-ci ne parvienne, l’année de ses quatre-vingt ans, à nous étonner d’une manière que l’on n’attendait plus : en s’apaisant. Dire cela, c’est dire en creux à quel point le cinéaste était demeuré, ces dernières années, « énervé ». Sans tellement de conséquences pour autant : livrant une charge contre l’impérialisme américain en forme de thriller à twist (The Ghost-Writer, 2010) puis une critique des convenances et des travers de la bourgeoisie réduite à un jeu de massacre savoureux mais assez vite oublié (Carnage, 2011), Polanski semblait enfermer sa virulence dans de petits systèmes trop bien bouclés. En dehors d’échos entre la réclusion des personnages et celle qu’avait subi le réalisateur, les lignes de fuite manquaient pour que ces films trouvent en nous un écho comparable à celui d’une grande oeuvre comme Le Pianiste (2002). Evidemment, une douleur profonde est plus durablement marquante qu’un agacement momentané voire un simple regard narquois… Parce qu’il est farceur plutôt que dénonciateur, ludique plutôt que programmatique, La Vénus à la Fourrure change la donne. Et parce que Polanski y fait cette fois-ci preuve d’ironie vis-à-vis de lui-même en même temps que d’une grande affection vis-à-vis d’autrui, on est sûr que cet opus-là saura nous marquer bien plus durablement que ses prédécesseurs.

S’il avait pu se rajeunir pour le rôle, on parie que Polanski se serait lui-même mis en scène ici comme il l’avait fait, pour la dernière fois, dans Le Locataire (1976). D’ailleurs, la ressemblance de Mathieu Amalric avec le cinéaste tel qu’il était dans cet opus en question est saisissante, au-delà d’une coupe de cheveux savamment restituée. D’ailleurs aussi, il y a dans La Vénus à la Fourrure une volonté de se tourner vers sa filmographie passée en en re-déclinant les grandes obsessions en version de chambre et en en re-convoquant tout un tas de petites traces sans que celles-ci ne viennent jamais ensevelir ce que Polanski a à exprimer de neuf. La nouveauté, c’est donc l’auto-mise en scène avec auto-ironie. Le cinéaste joue la distanciation vis-à-vis de son propre art (le pouvoir du metteur en scène joué par Amalric est mis à mal par sa muse d’un soir) pour mieux, progressivement, non pas réimposer sa toute-puissante mais retrouver son pouvoir de séduction premier. Autrement dit, toujours le jeu doucement étourdissant l’emporte sur la pompe théorique ou la démonstration autosatisfaite.

Le jeu en est un de rôles ici. D’abord vulgaire, à priori aussi peu intéressante que toutes les autres qu’il a auditionnées voire même carrément à côté de la plaque, Vanda subjugue Thomas dès lors qu’elle entre dans le rôle qui – tiens donc! – partage son prénom. A mesure que leurs essais de lecture ensemble se muent en une répétition de la pièce qu’il a écrite et qu’elle semble connaître par coeur, Thomas et Vanda sont pris dans un tourbillon identitaire où les cartes ne cessent d’être redistribuées entre eux deux. Amalric et Emmanuelle Seigner renouent sous nos yeux avec l’essence même de la notion de jeu. Leur plaisir semble immense : ruptures de tons, faux-semblants et ambiguïtés (ou « ambivalences », comme s’évertue à corriger Thomas) nous font nous perdre délicieusement quelque part entre la pièce écrite par Thomas, la « réalité » du film et celle – supposée, fantasmée – de la relation Polanski-Seigner. Tous les excès du jeu – comme de la forme, on y vient – sont là pour niveler et entremêler réalité, fiction et autobiographie jusqu’à un vertige jouissif.

Aux décrochages (trop?) persistants de son personnage d’actrice, Polanski oppose la tendance du metteur en scène à l’impatience et à l’incompréhension. Tandis que la première crée sur demande l’artifice émotionnel, le second est prisonnier de névroses incurables et finit littéralement enchaîné à l’instrument de l’assouvissement des passions qu’il réfrène. Si le cinéaste prolonge donc ici son travail du cloisonnement, c’est non plus comme thématique autobiographique (liée à son assignation à résidence) mais comme renvoi à l’emprisonnement intérieur du personnage d’Amalric et comme condition de l’épuisement des deux uniques personnages, de leurs ressources et de leurs masques jusqu’à dévoilement de leur essence. Une essence qui relèverait ici d’une mythologie ré-appropriée avec légèreté par un Polanski qui plaçait d’emblée son film sous le patronage du mystique (qui avançait légèrement au-dessus du sol vers le théâtre décrépi dans le générique de début ? Vanda ? une déesse ?) et y injecte toujours un humour barré. Ainsi de ces grands moments de solennité potentielle désamorcés par un hilarant accent « à la Marlene » ou encore une langue de tirée…

De même que le spectateur finit par être suspendu à un regard ou un sourire en coin d’Vanda, enfin magnifiée, toute-puissante (et cela vaut aussi pour Emmanuelle), celle-ci semble assujettir la moindre dimension de l’oeuvre à son contrôle. La voilà qui s’improvise éclairagiste, costumière, accessoiriste, qui change de coiffure, rafraîchit son maquillage. Elle est à elle seule tous les corps de métiers liés à la création de l’illusion et semble dicter l’évolution de la mise en scène vers plus d’expressionnisme voire même jusqu’à une irréalité rapprochable de celle des Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948), où l’affect de l’héroïne débordait sur la scène et au-delà (idée reprise depuis dans Black Swan de Darren Aronofsky, 2011).

Filmant du théâtre, exploitant au maximum les jeux d’éclairages et les moindres accessoires ou éléments de décors, osant quelques petites saillies fantastiques, Polanski semble effectuer un mouvement proche de celui d’Alain Resnais, autre octogénaire, avec Vous n’avez encore rien vu (2012). Dans les deux films, le théâtre y est approché comme une forme primitive de la mise en scène cinématographique pour mieux y réinjecter progressivement de l’artifice purement propre au 7e Art. Mais tandis que la manière qu’avait Resnais de se tourner vers les acteurs qu’il a aimés avait quelque chose de morbide (« comment mettre en scène ma propre mort ? »), Polanski livre un hymne aux acteurs et aux femmes avec un sens de l’auto-dérision réjouissant et une quasi grivoiserie revigorante.


Gustave Shaïmi

Fréquenter les salles obscures seul et de manière pluri-hebdo dès ses 10 ans, ça laisse autant le temps d'être curieux de mille choses que de voir se dégager des préférences... Carbure à l'émotion avant tout et n'aime rien plus qu'un film à la fois exigeant et potentiellement populaire (Chaplin, Leone, Kubrick, Wilder, Kurosawa, Eastwood, etc.).
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