J. Edgar

Après l’accueil plus que mitigé réservé à Au-Delàle pire film de sa carrière » scanderont nombres d’internautes), la place accordée à Eastwood dans l’estime du public semble malheureusement tournée. Si certains se montreront excités à l’annonce de son projet consacré à John Edgar Hoover, celui-ci se retrouve aujourd’hui qualifié de biopic conventionnel à la mise en scène ampoulée. C’est que depuis l’accueil dithyrambique de Gran Torino (a.k.a son trente-sixième adieu aux écrans) Eastwood peine à convaincre son audience. En fait, il s’agit probablement d’attente mal placée face à un auteur qui ne fait rien de plus que creuser avec talent son sillon. Le fantastique d’Au-Delà n’était qu’une excuse pour aborder un sujet (la mort) selon le point de vue de ses personnages. Le traitement du genre en lui-même lui passe par dessus la jambe et s’avère sans intérêt à l’écran. Etudiée sous cet angle, l’œuvre s’est retrouve assimilée à un trip lelouchien au surnaturel de bazar et aucunement comme la formidable étude de caractères qu’elle est. Car le Eastwood de ces dernières années n’est que cela. Un homme pétri d’humanisme qui tente de jeter un regard sur ses contemporains et à faire ressortir les émotions qui dictent leurs existences.

Or, le public ne semble pas ou plus désirer cela d’Eastwood. Son œuvre n’est appréhendée qu’à l’aune des genres auquel elle appartient et l’audience ne semble pas percevoir le regard humain que veut véhiculer Eastwood. Le même problème se présente avec J. Edgar. Déjà, à la sortie du formidable L’Echange, François Bégaudeau se lamentait que la corruption policière ne soit pas le vrai sujet du film en avançant que c’est ce qu’il aurait fait il y a quelques années. Qu’il adopte le point de vue d’un personnage pour véhiculer les émotions fondamentales liées à son histoire, ça semble lui passer au-dessus de la tête. D’une certaine manière, Eastwood ne devrait être que ce maverick fonçant dans le tas pour étaler violemment sur la table les problèmes de ce monde. Or à l’inverse, il ne s’arrête pas à un simple sujet et creuse pour trouver le noyau sentimental qui dicte ce dernier. C’est ce qui rend son œuvre si universelle et poignante. En ce sens, J. Edgar ne pouvait être le biopic à charge attendu contre le premier directeur du FBI.

Il ne s’agit pas de creuser la politique américaine comme l’espérait Guillemette Odicino de Télérama, ni même de rentrer dans les petits secrets d’un homme contrôlant les puissants grâce à ses fameux dossiers, personnels et confidentiels, construits sur des manœuvres douteuses. J. Edgar n’est absolument pas cela. Eastwood ne se concentre pas tant sur la construction du statut d’Hoover et la retranscription de ses actes que sur sa personnalité et son mode de pensée. Il faut dire que le script de Dustin Lance Black sert d’emblée les ambitions du cinéaste. Il aurait pu en être autrement au regard du précédent scénario signé par Black pour Harvey Milk. Récompensé par un oscar pour on ne sait quelle raison, ce dernier est à l’extrême opposé de la démarche eastwoodienne. Le portrait de l’individu y cédait le pas sur le militantisme le plus banal pour accoucher d’un biopic tout à fait basique. Toutefois, le scénario de J. Edgar offrait, lui, l’opportunité à Eastwood de s’épanouir. Black use d’une narration en flashback avec un Hoover vieillissant en train de dicter son autobiographie. Par ce dispositif, nous sommes invités dans la tête d’Hoover et épousons sa subjectivité. Les dernières minutes viendront d’ailleurs de manière prévisible remettre en cause l’authenticité des images que nous avons vues. Mais l’important n’est pas là. L’important n’est pas les faits, l’important est d’user de cette subjectivité pour explorer les mécanismes psychologiques d’Hoover.

C’est là que le talent d’Eastwood ressort. De la manière dont il est présenté, Hoover est un homme entièrement conçu et motivé par des idéaux. Tous ses actes sont dictés par les principes de justice et de protection du peuple. La voie convenue aurait été de démontrer comment son indéfectible croyance en ses idéaux le conduit à trahir le système qu’il sert par des actes malveillants. Mais ça ne sera pas le cas. Tout comme Hoover choisit les moments qu’il veut retenir de sa vie et exagère certains évènements, Eastwood opte à faire de cet idéalisme le moteur de sa réflexion. Hoover est donc un homme entièrement aux services de ses principes moraux. Jamais il ne dérogera à ceux-ci et cela vaut mieux pour lui car au-delà il n’est rien. Castré par une mère protectrice, il peine à communiquer lorsqu’il se laisse emporté par ses émotions et se montre globalement associable. Il suffit de voir la scène où il demande en mariage sa secrétaire qu’il vient juste de rencontrer. Il n’a aucune connaissance des sentiments liant deux individus et semble voir là une suite logique à leur échange. Hoover apparaît sans attache, pratiquement imperméable au monde qui l’entoure et qu’il veut pourtant préserver. Il croit à l’accomplissement des idéaux mais ne saisit pas l’impact de ceux-ci que ce soit en majorant (la fière présentation de son système de classement à la bibliothèque du congrès) ou en minorant (ses manœuvres d’intimidation) leur importance.

Avec l’âge, n’importe qui se pose cette question : est-ce que c’est le monde qui a changé ou est-ce son regard sur celui-ci qui a changé ? Hoover reste absolument immuable sur sa morale. La marche de l’Histoire n’a pas de prise sur lui. Lorsque Nixon rentre en investiture, Hoover croit revoir à la télé le défilé du président Roosevelt trente ans plus tôt. Eastwood amplifie d’ailleurs l’idée en reproduisant le même découpage. Le dispositif est renouvelé lorsqu’il rencontre le président avec un cadrage et un mouvement de caméra identique entre les deux périodes. Hoover est un roc qui se maintient dans sa position et ses idéaux. Toutefois, là où il se complaît dans l’erreur, c’est que ses idéaux sont eux-mêmes le reflet d’une époque. Son éducation lui a enseigné des valeurs appartenant à un temps révolu. Celles-ci l’auront guidé vers des accomplissements plutôt positifs (sa quête constante d’innovations scientifiques pour améliorer la chasse des criminel) ou négatifs (la perception de son homosexualité comme une maladie mentale). De ce fait, Hoover devient un vestige du passé ressassant le même discours en contemplant comment son exemple est devenu source de méconnaissance (le fiasco de son chantage sur Martin Luther King) ou une inspiration mal venue (les mises sur écoute de journaliste réclamées par Nixon).

« Il est temps que cette génération apprenne la différence entre le méchant et le héros » s’exclame sans fin l’excellent Leonardo Dicaprio sous une masse de latex mal fignolée (mais toujours mieux que celle, carrément abominable, de Armie Hammer). Une manière de se convaincre que le respect de ses idéaux lui a permis de livrer le meilleur de lui-même. Au bout du compte, il n’y avait pas lieu qu’Eastwood attaque cette figure. Tel qu’il le montre, il convenait de le laisser comme un exemple et à tout un chacun s’interroger sur sa condition et la manière dont il choisit de servir ses convictions.

Réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Dustin Lance Black
Production : Malpaso Productions
Bande originale : Clint Eastwood
Photographie : Tom Stern
Origine : USA
Titre original : J. Edgar
Date de sortie : 11 janvier 2012

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