Hell Driver

REALISATION : Patrick Lussier
PRODUCTION : Millenium Films, Nu Image, Saturn Films
AVEC : Nicolas Cage, Amber Heard, William Fichtner, Billy Burke, David Morse, Katy Mixon, Pruitt Taylor Vince, Tom Atkins
SCENARIO : Patrick Lussier, Todd Farmer
PHOTOGRAPHIE : Brian Pearson
MONTAGE : Devin C. Lussier, Patrick Lussier
BANDE ORIGINALE : Michael Wandmacher
ORIGINE : Etats-Unis, France, Japon
GENRE : Action, Comédie, Fantastique, Nanar
DATE DE SORTIE : 23 mars 2011
DUREE : 1h44
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Milton est prêt à tout pour rattraper les fanatiques qui ont assassiné sa fille et kidnappé le bébé de celle-ci pour le sacrifier à la prochaine pleine lune. Avec la séduisante Piper, il se lance à la poursuite de Jonah King et ses adeptes, du Colorado à la Louisiane. Pourtant, le chasseur pourrait bien devenir le gibier : un homme mystérieux aux pouvoirs surnaturels, le Comptable, est lui-même à la recherche de Milton. Alors que la route devient le théâtre d’une véritable vendetta, une course-poursuite en cache une autre. Milton pourra-t-il rattraper King avant que le Comptable ne lui mette la main dessus ? Carburant à la rage et au bolide, Milton va poursuivre sa mission. Il n’a que trois jours…

Il y a quelques semaines sortait le deuxième épisode de Ghost Rider dont les premières images mettaient carrément l’eau à la bouche : le retour d’un des personnages les plus iconiques des comics Marvel, un Nicolas Cage vantant à travers les médias que ce film allait représenter le sommet de sa carrière, un premier trailer qui en foutait plein les mirettes, un script concocté par le scénariste de Dark City (David S. Goyer), et surtout, la présence de Mark Neveldine et Brian Taylor (alias les deux cinglés du diptyque Hyper tension) à la réalisation. Des arguments de taille qui promettaient un film taré et énervé, bien plus proche de l’univers des comics que son prédécesseur, et où le neveu Coppola allait une fois de plus s’en donner à cœur joie dans l’interprétation de la folie. Bref, malgré l’insulte suprême qu’avait représenté le premier épisode signé Mark Steven Johnson, on était déjà en train de signer le chèque : Ghost Rider 2, ça allait être vraiment bien. Moralité : on était juste très cons. Non seulement le résultat fut d’une rare pauvreté artistique (en plus de n’être jamais bourrin ou subversif), mais il a surtout su démontrer les limites du tandem Neveldine/Taylor, que l’on avait pu vanter jusque-là comme l’une des rares forces créatrices destroy et anticonformistes que le cinéma américain nous avait offert.

Certes, la sortie d’Hyper tension en 2007 avait fait l’effet d’un choc : un concept trash et hardcore assumé de la première à la dernière image, une réalisation caméra à l’épaule qui assumait sa laideur et sa beaufitude jusqu’au trognon, une star du cinéma d’action à fond dans l’excès et l’outrance (avouons-le, Jason Statham n’avait jamais été aussi cool), et surtout, une enfilade de scènes extrêmes à faire rougir un bataillon de marins-pompiers. Mais un second opus trop excessif et un autre film assez irritant (le foutraque Ultimate game) avaient su démontrer les limites du tandem : avec leur réalisation se limitant à relier des plans mal fichus provenant de micro-caméras posées un peu n’importe où et la vulgarité un peu trop ostentatoire de leur démarche, on pouvait se demander si la blague pouvait réellement fonctionner à force d’être sans cesse répétée. Et si l’on se permet de répondre par la négative avant de parler de Hell Driver, c’est parce qu’il va être question de changer un peu notre fusil d’épaule. La qualité intrinsèque d’une série B énervée et hardcore nous apparait désormais claire, pouvant même être résumée en trois principes : utilisation des codes du genre pour ne jamais les trahir, plongée habile dans la vulgarité crasse sans que la démarche ne paraisse ostentatoire, réalisation nerveuse qui filme sérieusement des choses superficielles. Un triple parti pris qui hantait déjà pas mal de films d’action récents (Mise à prix, Shoot’em Up, Piranha 3D…), et que l’on retrouve pleinement dans ce magnifique portnawak qu’est Hell Driver.

A première vue, le projet n’avait pourtant rien pour rassurer : outre son allure de série Z torchée en quatrième vitesse et de véhicule promo pour une star has been désireuse de multiplier les projets (sans doute pour payer ses impôts en retard), la présence de Patrick Lussier derrière la caméra n’était pas forcément la meilleure chose qu’il pouvait arriver. Non pas qu’il soit l’égal d’un Brett Ratner (faut pas déconner non plus), mais sa filmographie, incluant un minable reboot de Dracula et un remake passable du slasher Meurtres à la St-Valentin, était tout de même un signe négatif. Pour autant, si Hell Driver aura fini par sortir du lot malgré les mauvais avis à chaud qu’il aura pu susciter, c’est vraiment grâce à l’association entre un réalisateur prêt à se lâcher dans l’outrance et un acteur si imprévisible qu’on ne sait désormais plus vraiment ce qui se passe dans sa tête. En premier lieu de la réussite du projet, il convient donc d’aborder à nouveau le cas Nicolas Cage : oscarisé pour Leaving Las Vegas, consacré par ses prestations marquantes chez John Woo, Spike Jonze, David Lynch ou Brian de Palma, l’ex-mari de Patricia Arquette semblait avoir trouvé sa place parmi les acteurs les plus intéressants d’Hollywood, en alternant des films d’auteur prestigieux et des blockbusters cartonnant au box-office.

Mais voilà, depuis une dizaine d’années, on pensait le bonhomme égaré dans la même voie que Christophe Lambert, contraint d’enchaîner les projets commerciaux sans grand intérêt afin de payer ses factures. Que l’on se rassure (ou que l’on continue à s’inquiéter, c’est selon), Nicolas Cage est en pleine forme, assume tous ses choix et se lâche dans des prestations non-sensiques où son sens du cabotinage fait merveille. Sa méthode est simple : une approche « chamanique » du jeu d’acteur, lui permettant d’être littéralement possédé par un rôle (c’est lui qui le dit !) et de laisser parler ses émotions internes, presque à la manière d’un sorcier en plein trip. Du coup, au beau milieu d’une avalanche de bouses, il y avait la place pour deux ou trois prestations mémorables, avec, en tête de liste, ses rôles de paternel psychopathe dans Kick-Ass et de flic ripou cocaïné dans le Bad Lieutenant de Werner Herzog.

On ne va pas se mentir, Hell Driver n’est pas vraiment à ranger dans cette catégorie. Mais un apport assez inespéré vient contrebalancer la semi-déception que l’on pouvait ressentir lors de la sortie du film : l’utilisation du relief 3D. Tourné entièrement avec cette technique sans avoir subi de conversion ratée en postproduction, le film procure une étrange sensation, par ailleurs très perceptible lors de la redécouverte du film en format Bluray : si la 3D permet aujourd’hui d’accroître les différentes échelles de plan et d’élargir le champ d’action d’un écran de cinéma, il n’en reste pas moins un pur gadget formel qui peut aussi abattre le réel d’une situation, jouer avec la plasticité de la chair humaine et conférer un statut de jouet à tout élément du cadre (acteur, décor, costumes, etc…).

Du coup, avec son jeu atone et décalé, à la fois absent du rôle et sous l’emprise d’une force imperceptible, Nicolas Cage accède presque malgré lui à cette dimension chamanique qu’il pouvait rechercher, prouvant du même coup que son esprit et son corps sont aussi bien en accord qu’en contradiction lorsqu’il incarne un rôle. Il faut aussi le voir dans un rôle aussi encyclopédique, qui condense quelques-unes de ses anciennes prestations en les réactualisant sous un angle pince-sans-rire qui prête parfois à l’hilarité totale : une mine d’ange exterminateur halluciné qui renvoie au bad guy de Volte/Face, un look de freak romantique au volant qui évoque instantanément Sailor & Lula, le cabotinage excessif qui parcourait l’intégralité de Snake eyes, le petit regard ténébreux que l’on trouvait au détour d’un plan dans Ghost Rider, etc… La classe indéniable d’un acteur invraisemblable, désormais coincé dans une autre dimension, et qui n’a visiblement pas l’intention d’en sortir. On ne s’en plaindra pas.

En accompagnement d’une prestation d’acteur qui confine parfois au génie involontaire, Hell Driver ne manque pas d’arguments pour séduire les foules. Non pas en raison d’un scénario limité au strict nécessaire (un type revient des Enfers pour venger sa fille, assassinée par le gourou d’une secte sataniste), dont Lussier et son coscénariste Todd Farmer ont avoué n’avoir écrit qu’une seule version, mais avant tout pour le parti pris d’avoir intégré des ingrédients bien débiles dans une intrigue aussi limitée. Cela permet au film de bâtir une vraie autoroute de fun à partir d’un terrain vague, où les poncifs les plus cons du genre se greffent les uns derrière les autres, et cela en ferait presque le pastiche décérébré et inespéré des blockbusters hollywoodiens. En cela, Patrick Lussier réussit brillamment là où Robert Rodriguez n’en finissait pas de se planter : son film est de ceux qui assument leur connerie, leur laideur et leur manque de budget, sans jamais illustrer de façon frontale et surligneuse le second degré qui les habite, et surtout, il sait capter une action à travers un cadre soigné sans se lâcher dans le nanar foutraque façon Machete. Et par extension de ce parti pris, Hell Driver intègre sans problème cette catégorie de films bicéphales, dont la dimension nanardesque est tellement trouble et imperceptible qu’on finit par ne plus savoir s’il faut s’en payer une tranche ou tirer la tronche. D’un côté, le jeu halluciné de Cage et le maelström de gags trash qui parcourt le récit font pencher le film du côté du plaisir coupable hautement jouissif, et d’un autre côté, la minceur de l’intrigue (plate et peu captivante) et la laideur incommensurable des effets spéciaux (qui semblent parfois avoir été torchés sur un minitel) ne font que souligner la connerie ahurissante du projet.

Toutefois, c’est précisément dans cet entre-deux que le film de Patrick Lussier tire toute sa force : ne pas se regarder le nombril lorsque l’on souhaite se lâcher dans le grotesque, y aller franco sans se flatter l’ego, et laisser son récit minimaliste foncer pied au plancher sans regarder dans le rétroviseur. Le show d’esbroufe offert par le relief 3D donne naissance à quelques détails purement jouissifs, ne serait-ce que pour la présence de nichons siliconnés ou de quelques membres arrachés qui valsent vers nos orbites, mais paradoxalement, il n’est jamais aussi brillant que la fluidité avec laquelle Lussier lâche des tonnes de beaufitude texane dans un souci de je-m’en-foutisme très bien revendiqué. A ce titre, rien ne manque au catalogue des poncifs : gunfights burlesques où le fusil à pompe fait de gros dégâts, rednecks barbus qui ont visiblement confondu le gel douche avec l’huile de vidange, bimbos dénudées qui ont sans arrêt le feu au niveau de l’entrejambe, dialogues bien débiles où se mêlent vulgarité crasse et frime mal calibrée, décors anachroniques où les usines désaffectées côtoient des bars bouseux dignes d’un saloon de western, etc… C’est au milieu de cette piscine de portnawak, au ridicule totalement assumé et parfois un peu orientée comic-book, que Cage se lâche dans l’excès, cohabitant avec une flopée de seconds rôles bien gratinés, entre une Amber Heard ultra-sexy au minishort moulant (la plus belle femme au monde, ça ne se discute pas !), un Billy Burke en gourou sataniste dont le look ridicule de redneck gothique fait moins peur que sourire, et un William Fichtner en démon magicien qui donne une interprétation démente et dégénérée de l’agent Smith. Des prestations souvent assez fabuleuses où tout le monde s’en donne à cœur joie, assumant pleinement le cliché qu’ils incarnent et n’essayant pas d’y changer quoi que ce soit.

D’un bout à l’autre de son film, Patrick Lussier s’éclate à condenser tout ce que le film d’action hollywoodien peut faire de plus débile, et, condition sine qua non de la réussite de l’entreprise, ne fait jamais son malin en cherchant à redéfinir les codes du genre. Non, il choisit au contraire de se lover dedans, de ne rien changer à l’univers qu’il investit, et de miser sur l’excès pour atteindre une sorte de jubilation graphique. Et si l’excès de connerie a très souvent ses limites au sein du genre, il peut parfois trouver une vraie singularité, opérant ici à travers l’amas de références mainstream (le cinéma des années 70 y est aussi bien célébré que revisité), le trash utilisé comme pur ressort comique (on en retiendra surtout un excellent gunfight post-coïtal) et l’insertion de détails souvent très croustillants dans chaque échelle du cadre (voir ce plan joyeusement blasphématoire où Cage ressuscite au beau milieu d’une église, avec une photo de Jésus crucifié en arrière-plan sur le mur !). Le reste, entre séquences sexuées, gore outrancier et dialogues mal élevés, est au diapason d’un projet aussi accompli. Et avec le relief 3D en guise de bonus bienvenu, les pires excès du genre sont désormais prêts à déborder de l’écran, histoire d’inonder son audience avec une connerie qui, ne nous voilons pas la face, est aussi l’une des raisons fondamentales qui poussent à nous rendre dans les salles obscures. Tout ce que Ghost Rider 2 aurait dû être réside à la puissance mille dans Hell Driver, et on s’en veut terriblement de ne pas s’en être rendu compte un peu plus tôt.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Joe Carnahan – The Human Factor

Rétrospective Joe Carnahan :

Fermer