Gravity

REALISATION : Alfonso Cuarón
PRODUCTION : Warner Bros, Heyday Films, Esperanto Filmoj
AVEC : Sandra Bullock, George Clooney
SCENARIO : Alfonso Cuarón, Jonas Cuarón
PHOTOGRAPHIE : Emmanuel Lubezki
MONTAGE : Mark Sanger, Alfonso Cuarón
BANDE ORIGINALE : Steven Price
ORIGINE : Etats-Unis, Royaume-Uni
GENRE : Drame, Thriller
DATE DE SORTIE : 23 octobre 2013
DUREE : 1h30
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Pour sa première expédition à bord d’une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l’astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu’il s’agit apparemment d’une banale sortie dans l’espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l’univers. Le silence assourdissant autour d’eux leur indique qu’ils ont perdu tout contact avec la Terre – et la moindre chance d’être sauvés. Peu à peu, ils cèdent à la panique, d’autant plus qu’à chaque respiration, ils consomment un peu plus les quelques réserves d’oxygène qu’il leur reste. Mais c’est peut-être en s’enfonçant plus loin encore dans l’immensité terrifiante de l’espace qu’ils trouveront le moyen de rentrer sur Terre…

Alfonso Cuarón est définitivement un cas à part au sein de la sphère cinéphile. Pendant un long moment, on a pu le décrire de façon très simple : un honnête réalisateur multipliant les commandes hollywoodiennes (on lui devait notamment De grandes espérances avec Gwyneth Paltrow) pour revenir de temps en temps à son Mexique natal, histoire d’y shooter les destins de jeunes chauds comme la braise en caméra portée (le brûlant Y tu mama tambien). Le simple fait d’avoir aussi réalisé le meilleur film (voire le seul bon film ?) de la saga Harry Potter en y incluant son point de vue de metteur en scène était même une preuve d’infiltration maîtrisée. Et après, silence radio. Là où ses compatriotes Guillermo Del Toro et Alejandro Gonzalez Iñarritu (qui formaient avec lui le fameux « Tequila Gang ») continuaient d’enchaîner les chocs filmiques et de récolter moult éloges un peu partout sur le globe, Cuarón restait dans l’ombre, à l’image d’un talent surdoué mais potentiellement laissé de côté. Un gâchis que Les fils de l’homme aura achevé avec fracas : certes, le film se ramassa violemment la gueule au box-office et fut boudé par le public, mais depuis, un culte s’est vite emparé du film, reconnaissant en Cuarón un incroyable talent sur lequel il allait falloir compter. Survival politique imaginant un futur totalitaire construit sur la stérilité des femmes, ce film-choc traduisait avec brio le propos humaniste de son cinéaste, nous forçant à traverser (en plan-séquence) les pires épreuves aux côtés d’un homme chargé de protéger le futur de l’humanité. Une telle virtuosité de la mise en scène combinée à un humanisme aussi déchirant avait de quoi nous vriller le cœur et les orbites, laissant envisager un choc largement supérieur pour la suite. Et il aura donc fallu sept ans d’attente pour que Gravity débarque.

La puissance inouïe dégagée par ce chef-d’œuvre instantané est aux antipodes de ses ambitions narratives, lesquelles paraissent ici d’une simplicité désarmante. Par rapport à ses précédents travaux, on perçoit très justement un certain écart en termes d’enjeux dramatiques au sein du projet artistique de Cuarón. Là où Les fils de l’homme englobait une thématique universelle et collective dans un environnement chaotique (en gros, traverser une guerre jonchée de péripéties infernales avec une femme représentant l’espoir de l’humanité), Gravity fait mine de partir d’un enjeu a priori moins imposant et plus individualiste (une femme se bat pour sa survie) pour, en définitive, toucher à des émotions plus fortes et se muer en éloge du rassemblement. Il faut bien l’avouer, le synopsis est si simple et évident qu’il pourrait tenir sur une moitié de confetti : au cœur d’une mission de routine dans l’espace, le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock) et l’astronaute Matt Kowalsky (George Clooney) voient leur navette spatiale heurtée par une série de débris d’un satellite détruit (un phénomène hélas bien réel, appelé le « syndrome de Kessler ») et se retrouvent alors éjectés dans le vide spatial, privés de liaison radio et menacés de voir leur niveau d’oxygène tomber à zéro d’ici peu de temps. La survie s’organise alors, autant que possible.

La première idée consiste à aborder ce canevas précis de survival sous l’angle (toujours extrêmement payant) du dépassement des limites. Ici, on découvre très vite que le personnage de Stone est mû par un terrible traumatisme, et que cette idée suffira à la pousser à transcender ses capacités, à dépasser ses peurs et à atteindre ses objectifs. Tout est affaire de croyance chez elle, mais toujours envers la science et sa capacité à utiliser des éléments impromptus (un bouton par-ci, une station spatiale chinoise par-là). Fort heureusement, Cuarón ne tente à aucun moment d’y injecter une quelconque forme de lourdeur illustrative, qu’elle soit philosophique ou religieuse, qui aurait alors pu donner à ce jeu de survie une connotation trop marquée. Certes, rien n’empêche d’y toucher du doigt quelque chose qui pourrait se relier à des concepts multiples (le film est suffisamment ouvert et universel pour le permettre), et il y a même fort à parier que la densité démentielle de cette intrigue linéaire n’aura pas fini d’alimenter un grand nombre de débats et d’analyses (nous allons y venir un peu plus bas). Sauf qu’ici, on insiste, Cuarón ne fait pas mine d’aborder une thématique trop explicative. Entièrement guidé par la seule force de sa mise en scène, il reste fixé à son aventure, à son déroulement, à la captation en temps réel du vif d’une situation ainsi que de tout ce qui peut la rendre dramatique et prenante, avec un souci du réalisme qui touche au faramineux. On avait d’ailleurs presque oublié que les films les plus riches de sens sont généralement ceux qui font mine de ne pas l’être.

Pour autant, ce gage de modestie narrative ne fait heureusement passer en rien le résultat pour une admirable démo technique où une intrigue bancale aurait juste servi à combler les trous. De façon plus affirmée qu’avant, Cuarón passe ici clairement au scanner pour révéler la moelle épinière de son cinéma : un art quasi sidéral qui vise à l’effacement pur et simple des frontières (fond/forme, narration/technologie, tradition/innovation) au profit d’un équilibre harmonieux entre des forces qui peuvent en général être considérées comme antagonistes. Le simple fait d’évoquer ces « forces » entre tout de suite en résonance avec le titre même du film, amenant ainsi le concept de « gravité » au cœur même des enjeux. A l’image de deux forces tirent chacune l’une sur l’autre dans l’espoir de créer une dynamique égale ou d’une force attractive poussant deux corps à se confronter (soit la définition même du concept de force gravitationnelle), les oppositions binaires se déclinent d’un bout à l’autre du métrage, chacune tirant à part égale face à l’autre, sans prédominance : l’humour décontracté de Kowalsky contre l’angoisse intérieure de Stone, l’attraction terrestre contre la tentation du vide spatial, l’instinct de survie contre l’abandon vers le néant.

Mais de la part d’un cinéaste comme Cuarón, pour qui l’espoir et le rapprochement forment les deux mamelles de cette abolition totale des barrières (morales, sociales et spirituelles), la notion de gravité s’incarne surtout à travers l’idée d’une réunion mutuelle : d’abord celle des deux astronautes dans l’espace pour joindre leurs forces et rester aussi soudés que possibles (ce qui nous vaut d’ailleurs une blague marrante de Kowalsky autour de l’effet de son magnétisme sur la gent féminine), ensuite celle d’une astronaute avec elle-même qui rassemble ses forces et son intelligence pour contrer la catastrophe (la panique joue alors un rôle d’équilibre, retranscrite par les pulsations du cœur et la fréquence du volume respiratoire), enfin celle d’un être humain avec le monde qui affronte la fatalité par un courage des plus absolus, pleinement consciente de ce qu’elle a pu réussir à accomplir. Qu’importe la fin de ce fabuleux voyage sous forme de lutte acharnée contre le vide : au bout du compte, seul le voyage lui-même, seule la somme des péripéties qui le composent aura permis d’accomplir cet exploit, cette réconciliation tant désirée. Gravity serait-elle donc en soi l’ultime aventure humaine ? Osons le terme, aucune honte à avoir, parce qu’il n’a rien d’exagéré. Le choc s’avère beaucoup trop dévastateur pour que l’on se permette de faire preuve de modestie.

Ceux qui ont pu voir Les fils de l’homme n’ont certainement pas pu oublier ce qui rendait le film à ce point éblouissant : une maîtrise sidérante du cadre, du découpage et de l’implication émotionnelle au sein d’un univers capté sous tous les angles. Joie extrême de constater que Gravity amène la patte Cuarón sur le terrain du surpassement de ses propres capacités, et ce en raison d’un point très précis : désormais, il faut quitter la Terre pour investir l’espace. Pour un cinéaste basant son travail sur l’équilibre entre un récit émotionnellement graduel et une réalisation aussi immersive que possible, l’utilisation du plan-séquence se justifiait de lui-même : Cuarón est de ces cinéastes qui suivent l’évolution d’une scène sur la continuité, qui captent une multitude de détails en jaugeant une situation jusqu’à ce qu’elle bascule sur un autre registre, et qui, au-delà de tout le reste, font de leur caméra un œil omniscient, témoin d’une scène dramatiquement intense qui abolit là encore une autre frontière, celle qui sépare l’activité de la passivité. Dès son hallucinant plan-séquence d’ouverture, long d’une bonne quinzaine de minutes, la caméra virevolte en spirale autour d’une navette spatiale en activité, serpente entre les deux protagonistes tout en alternant les points de vue en fonction du dialogue, et ce jusqu’à un événement tragique qui lance enfin le déroulement de l’intrigue. A ce moment-là, la durée du plan est alors stoppée au profit d’une coupe si fluide et logique qu’on ne la remarque même pas. Pure logique d’un découpage pensé en amont, qui apparait tout à coup lumineux.

Il est d’ailleurs intéressant de noter l’emplacement exact de ses coupes sur l’ensemble du film : d’une part, les plans-séquences ne sont ni envahissants ni primordiaux (malgré leur nombre relativement élevé), et d’autre part, les coupes voulues par Cuarón sont toujours utilisées à bon escient, n’éludant jamais l’utilisation des ellipses ou même du champ/contrechamp au détour d’une scène tragique. Tout est guidé par l’intensité émotionnelle de la séquence, et il n’y a rien d’étonnant à percevoir dans chaque nouveau basculement d’échelle ou de pulsation l’arrivée d’une nouvelle coupe : le film se relie à son protagoniste comme à son spectateur, créant ainsi un lien intrinsèque avec lui. Et de temps en temps, dans l’espoir de porter cette connexion intime vers les sommets, la caméra de Cuarón va même jusqu’à franchir les limites du possible en osant un plan-séquence rapproché qui intègre l’intérieur du scaphandre d’un astronaute pour se muer en vue subjective quasi étouffante. Immersion absolue au profit d’une gravité totale qui déroule chaque nuance du spectre des émotions possibles sur grand écran.

Alors, forcément, à force de franchir à ce point les limites, on pourrait craindre que Cuarón se mette de moins en moins à l’abri du revers de toute forme de prise de risques, à savoir le trop-plein d’idées et d’astuces qui ferait s’écrouler la totalité du château de cartes. Mais là encore, le fait de calquer la fluidité de son filmage sur le schéma interne de son héroïne aura vite fait de supprimer toutes nos craintes, ou plutôt de nous pousser à réévaluer après coup ce qui aurait pu passer pour de la facilité. Une scène-clé du film, placée logiquement dans la dernière demi-heure, pose d’emblée cette question en choisissant de réintégrer momentanément dans le récit un élément narratif que l’on croyait éjecté depuis un long moment (on ne révèlera surtout pas de quoi il s’agit), mais pour autant, le fait d’intégrer cet élément au cœur d’un plan-séquence qui reste connecté au désespoir interne du personnage fait tout passer comme une lettre à la poste. Question d’identification, bien sûr, et c’est peu dire à quel point elle agit à la perfection, mais aussi la preuve d’un profond respect envers la suspension d’incrédulité du spectateur.

De bout en bout, on se surprendra sans cesse à écarquiller les yeux pour tenter d’y trouver un détail qui ferait défaut ou qui tenterait de nous faire décrocher du réalisme absolu du récit, mais rien n’y fait. Il est d’ailleurs aberrant, voire carrément insultant, de considérer Gravity comme un film de science-fiction là où tout ce qu’il contient reste au profit d’une œuvre de pures émotions dignes d’un pur film dramatique, quand bien même il se déroule en apesanteur. Aucune place, ici, pour les clichés et les codes inaliénables du cinéma de science-fiction : tout est vrai, arrimé à un souci du détail et de la pratique en accord avec le travail d’un astronaute et son instinct de survie en cas de force majeure. Aucun spectaculaire ampoulé, aucune scène d’action qui viendrait surcharger un récit d’une ahurissante limpidité : chaque élément d’action se révèle concis, pioché dans le réel et le crédible, sans bout de gras superflu.

On en vient directement à ce réalisme absolu du vide spatial, jusque-là titillé de très près par la réalisation glaciale et solennelle de Kubrick sur 2001 l’odyssée de l’espace, et que de trop récentes œuvres spatiales, d’Apollo 13 à Sunshine en passant par les nombreux plans virtuoses du Mission to Mars de Brian De Palma, avaient choisi de laisser en arrière-plan au profit de la peinture de destins humains confrontés à l’éloignement terrestre. Gravity ne quitte jamais des yeux le monde extérieur, et ce au travers d’un reflet (très fréquent) du globe terrestre dans le scaphandre des deux astronautes : qu’elle soit figée (dès que le calme prenne le dessus sur la tension) ou captée de façon elliptique dans l’énergie d’un mouvement de caméra (surtout lorsque l’héroïne se met à partir en vrille), la Terre se voit réduite à un statut de satellite dessiné sur l’arrière-plan. Trouver un repère (en l’occurrence la Terre) devient ici autant un outil de survie qu’une façon de retrouver le lien intrinsèque qui relie le corps humain à sa gravité première, l’humain à ses origines, l’intime à l’universel.

Le rapport à l’espace atteint un nouveau stade lorsque la caméra s’attarde, au détour d’un plan, sur un lever de soleil, sur une aurore boréale en formation, sur un continent illuminé par les lumières des villes, ou plus simplement sur la désintégration progressive d’une station spatiale éparpillée en mille morceaux (merci au relief 3D pour retranscrire aussi bien chaque micro-détail d’un tel événement). L’imagerie technologique du film, quasi minimaliste, est ainsi employée pour décupler l’impact du spleen existentiel, ce que Cuarón réussit à faire ressentir par une direction d’acteurs impeccable (jamais Sandra Bullock n’avait été aussi grande actrice) et un découpage d’une perfection absolue. Le travail sur le son n’est d’ailleurs pas en reste : de la musique hypnotique signée Steven Price, passant de l’électro planante à des mélodies quasi orchestrales, en passant par la gestion magistrale des effets sonores (silence total lorsque le vide spatial s’impose dans sa plus parfaite « nudité »), chaque scène porte en elle le pouvoir d’anéantir le sens de l’ouïe pour au contraire le combiner à celui du toucher. Plus clairement, Cuarón réussit à captiver son audience en connectant sa bande-son sur les vibrations et les pulsations ressenties par ses personnages (on « entend » tout à travers eux, à travers leurs gestes), tout en usant au maximum des basses fréquences pour maximiser l’impact sensoriel.

Une telle impression de liberté n’est pas sans évoquer une autre tentation, totalement en accord avec la tonalité désenchantée du récit : celle de quitter la gravité terrestre pour s’abandonner à l’espace intersidéral, à son silence froid et paisible, à cette sensation de flottement, à cet irrésistible désir de basculer dans le vide. Cette idée n’est pas sans rappeler la plupart des scènes sous-marines du Grand Bleu, où l’eau, décrite autant comme un paradis bleuté que comme un liquide amniotique, dégageait un pouvoir d’attraction insensé sur son héros apnéiste. D’une certaine façon, Gravity rejoue presque le même schéma, mais le porte au centuple en évoquant symboliquement le thème casse-gueule du retour à la vie et de la renaissance. D’abord reliés par un simple câble lors de leur dérive commune au sein d’un cosmos quasi utérin, les deux astronautes ne sont pas sans évoquer deux organismes reliés par un cordon ombilical (la débutante étant « guidée » par le professionnel, tout comme un fœtus se voit alimenté par sa mère), jusqu’au moment fatal de la séparation qui signe l’entrée du nouveau-né vers la prise de conscience de son statut (à peine arrivée dans la station spatiale, Stone se met à flotter en position fœtale). La suite du récit, vaste enchaînement de pépins à résoudre et de risques nécessitant une dose de courage démentielle, est la continuité logique de ce processus, forcément achevé par un retour enfin accompli à la gravité terrestre, où l’on verra un organisme marcher avec difficulté mais enfin autonome, enfin prêt à prendre sa destinée en main.

Cet adieu à la spatialité chaotique pour réintégrer le plancher des vaches achève de faire de Gravity une œuvre inouïe sur la transformation (ou l’évolution, soyons plus logiques) d’un organisme humain : il n’y a qu’à voir les travellings vertigineux au sein des coursives d’une station spatiale (qui évoquent presque une sorte de vaisseau sanguin malade dans lequel Stone serait un globule blanc chargé de le réparer) ou la simple morphologie d’un module spatial Soyouz en panne dont la forme évoquerait autant un cercueil qu’un humain à la dérive (les rayons du soleil n’en éclairent que la « silhouette », ce qui rend le plan en question plus qu’évocateur). Et dans cette façon de capter physiquement les nuances progressives d’un organisme, Cuarón nous laisse ici dans le même état que le film de Kechiche (l’autre grand événement de ce fabuleux mois d’octobre, sorti deux semaines plus tôt) : euphorique, sans souffle, littéralement épuisé, comme face à une expérience de vie qui n’aurait jamais de fin et dont on aurait ressenti toutes les phases de mutation.

Une heure et demie de métrage : doit-on s’étonner de trouver le film beaucoup trop court ? C’est bel et bien si peu au vu de l’immersion démente (pas une seconde d’ennui ou d’inattention n’est possible durant tout le film) et en même temps juste le strict nécessaire pour amener une trame aussi linéaire vers l’épuisement total de sa sève dramatique. En cela, Cuarón signe le seul film depuis très longtemps à avoir su abolir le temps et l’espace au profit d’un champ des possibles qui s’élargirait à l’infini. On se prend alors à croire que des cinéastes comme Stanley Kubrick (jusque-là le génie absolu du réalisme spatial) et Mikhaïl Kalatozov (que l’on imaginait imbattable sur la conception de plans-séquences impossibles) n’étaient en réalité pas morts : durant toutes ces années, ils avaient juste flotté dans l’espace, dérivé vers l’infini et au-delà, développant leur style pour finalement fusionner en une entité parfaite du nom d’Alfonso Cuarón. Et on aura beau chercher une comparaison similaire en terme d’immersion, c’est inutile : on n’a jamais vu un truc aussi révolutionnaire sur un écran de cinéma. Tout comme le fœtus astral de la fin de 2001 l’odyssée de l’espace prophétisait l’imminence d’un nouveau stade de l’humanité, Gravity constitue d’ores et déjà un monolithe noir massif, signe du début d’une nouvelle ère pour le 7ème Art. Toute résistance est inutile. Le futur est là. Allez-y.

1 Comment

  • Kathnel. Says

    A la relecture de l’article, j’ai de nouveau plongé avec émotion dans l’univers hors limite de ce film (comme il est sublime, ce plan séquence grandiose du début). Cuarón a un réel talent, souvent mal récompensé et Gravity fut pour ma part, une expérience sensorielle hors du commun. Difficile de garder les pieds sur terre, en équilibre , à la sortie de la salle de ciné tant j’avais encore cet éprouvé de vertige , cette sensation d’avoir été immergée dans l’espace de l’infiniment grand et par identification, dans les épreuves épuisantes de la détresse. Dans les oscillations de la proximité et de l’éloignement , partager cette impression d’être comme un corps flottant sans gravité . Dans ce survival pas comme les autres, se révèle la nécessité pour Stone ( excellente S Bullock) de refaire le parcours de la naissance , étapes par étapes. Une Odyssée dans le vide abyssal, dans les chaos du corps et l’effrayante solitude, dans la fascination du rien et de la finitude. Pour cette héroïne ,sortir de la déréliction, saisir dans ce sursaut, l’occasion de se rattacher à l’existence , de retrouver peu à peu le courage de survivre et dans le chemin du passé au présent, de renaître à elle -même. La mise en scène de Cuarón est spectaculaire, viscérale tout au long de cette aventure dramatique hors du commun, qui finalement nous parle à chacun de la résilience. Merci pour cet excellent article.

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Lire les articles précédents :
La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2

Courte-Focale.fr : Critique de La vie d'Adèle, d'Abdellatif Kechiche (France - 2013)

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