Freeway / Freeway 2

Question : pourquoi une sélection en festival peut-elle décider à elle seule de l’avenir d’un film ? Pas facile de répondre. Et pourtant, c’est dire à quel point les exemples ne manquent pas, les vainqueurs comme les victimes. Si l’on prend le festival de Cannes pour exemple, la liste serait assurément bien longue : Eric Rochant voyant ses rêves réduits en cendres avec le rejet critique des Patriotes en 1994, Jacques Audiard bénéficiant d’un encensement planétaire pour son Prophète en 2009, Luc Besson hué et incendié en 1988 pour un Grand bleu jugé creux et inepte (le public aura toutefois eu l’intelligence de prouver le contraire) ou Apichatpong Weerasethakul enfin révélé au grand public avec une Palme d’Or inattendue pour Oncle Boonmee en 2010. Par chance, le film dont il va être question ici n’aura pas eu les honneurs d’une sélection cannoise, mais plutôt la relative discrétion du festival de Cognac. Enfin, quand on dit « relative », tout est relatif : le film aura quand même trusté toutes les récompenses (dont le Grand Prix), et aura finalement bénéficié d’un statut culte quasi instantané. Sacré coup de bol pour son jeune réalisateur à l’époque totalement inconnu (Matthew Bright), et surtout, une des rares preuves de l’accord parfait entre les qualités d’une œuvre et l’accueil qui lui est réservé. Voilà donc Freeway, petit thriller vicieux sorti en 1997 qui aura connu un incroyable carton dans les vidéoclubs et obtenu une aura de film générationnel pour bon nombre de cinéphiles. Juste retour des choses, dira-t-on, pour un film dont les promesses étaient alléchantes et qui réussit à les tenir jusqu’au bout. Jugez plutôt : sous la houlette d’un Oliver Stone désireux de se lancer dans la production et d’un Samuel Hadida toujours aussi attaché à lancer de nouveaux talents au sein de projets fortement influencés par le cinéma américain, le jeune Matthew Bright s’était lancé dans un projet totalement fou : revisiter l’univers des contes de fées sous un angle trash et moderne, avec pour optique artistique d’en revisiter les codes tout en les pervertissant.

Pour tous ceux qui n’auraient jamais remarqué que les contes de fées ont toujours été les véritables ancêtres du cinéma horrifique (même le Blanche-Neige de Walt Disney pouvait largement suffire à traumatiser des générations entières d’enfants !), le film intervenait pile poil pour en faire ressortir toute la cruauté sous-jacente et pour s’adonner à une virée « sex, drug & rock’n’roll » dans une Amérique tarée au-delà du raisonnable. Et comme ce film culte est désormais disponible en DVD (avec, en guise de méga-bonus, sa suite complètement dégénérée), autant ranger sa bonne conscience dans le placard d’où elle n’aurait jamais dû sortir et revenir aux bases du cinéma d’exploitation, à savoir le plaisir de savourer du bon cinoche déviant et transgressif qui tâche sans faire tâche. D’emblée, on l’aura bien compris en regardant attentivement l’affiche du film : comme le montre le tatouage sur l’épaule de l’héroïne, c’est bien « Le Petit Chaperon Rouge » qui va être le conte de fées passé à la moulinette sauvage d’un réalisateur sacrément secoué du bulbe. Ici, pas de gamine désireuse de rendre visite à sa grand-mère malade, mais plutôt une adolescente nihiliste, égarée entre un beau-père qui n’arrête pas de la peloter et une mère junkie qui se prostitue pour payer sa dose de crack. Au bord de péter un câble, la belle décide de larguer son existence pourrie pour rejoindre sa grand-mère, vivant quelque part au loin dans une caravane. Sauf qu’en chemin, elle croise un pédopsychologue qui se propose de la prendre en stop pour la conduire à destination, mais qui, derrière son allure de quadragénaire bien sous tous rapports, cache en réalité un Grand Méchant Loup totalement détraqué…

La suite ? On ne la révélera surtout pas, tant l’intrigue s’évade des passages obligés du conte pour vriller dans un dévissage magistral de nos attentes. Vu que l’analyse est nécessaire, disons simplement que les rôles de bourreau et de victime vont peu à peu s’inverser, que l’environnement cradingue et caricatural des premières minutes va laisser la place à une ambiance aussi dérangeante que tragique, et que la fable sociale ne va surtout pas faire dans la dentelle. Sorte de road-movie qui se mue très vite en psychodrame nihiliste épicé de dialogues trash, Freeway est un film authentiquement mal élevé qui autopsie les bas instincts d’une Amérique à deux visages en même temps qu’elle met sérieusement à mal son identité a priori figée. Et surtout, le film ne prend jamais de gants dans la démonstration, n’hésitant pas une seconde à tutoyer le grotesque (rien que le maquillage du bad guy mutilé génère des fous rires incontrôlables !) ou le mauvais goût assumé, poussant son immaturité jusque dans ses ultimes retranchements, quitte à perdre son spectateur en cours de route (on l’admet, pas mal de longueurs sont à déplorer, surtout dans la première demi-heure). Et surtout, cela fait longtemps qu’on n’avait pas vu une héroïne aussi incorrecte, aussi irrévérencieuse, aussi brutale et, surtout, aussi ambiguë derrière son statut apparent de victime sociale : en délivrant ici une performance d’actrice tout bonnement sidérante, la belle Reese Witherspoon, à l’époque totalement inconnue, nous prouvait au début de sa carrière qu’elle n’était pas encore bonne à incarner les blondes futiles (La revanche d’une blonde, Fashion victime) ou les épouses de chanteurs décédés (Walk the line). Quant au multi-talentueux Jack Bauer (ou Kiefer Sutherland, je ne sais plus…), il s’éclatait une nouvelle fois à jouer les psychopathes pervers avec un plaisir hautement communicatif.

Aussi étonnante soit-elle, la réussite de Freeway mettra pourtant du temps à se préciser, malgré le tsunami qu’il aura laissé lors de son passage enthousiaste à Cognac. Et comme souvent, lorsqu’un film accède au statut de « culte », il ne faut pas poireauter trop longtemps pour s’apercevoir que la poule ne tarde jamais à pondre à nouveau des œufs d’or. Par chance, l’existence de Freeway 2 ne résidera pas totalement d’un calcul marketing, Matthew Bright ayant en réalité songé très tôt à l’hypothèse d’une trilogie de films basés sur le même concept. Et après « Le Petit Chaperon Rouge », c’est au tour de « Hansel & Gretel », sans doute l’un des contes les plus sombres et les plus dérangeants jamais créés, d’être revisité sous cet angle moderne et déjanté. Et comme les suites sont souvent synonymes de surenchère à tous les étages, Bright a choisi d’appuyer encore plus fort sur le champignon pour ce second opus, quitte à partir un peu trop souvent en roue libre. Narrant la fuite de deux adolescentes évadées de prison qui vont trouver accidentellement refuge dans une confiserie maléfique, cette suite sidère par sa cruauté et ses outrances : outre un côté lesbien très prononcé et une succession d’idées détraquées à faire rougir un bataillon de curés, Freeway 2 ose aller encore plus loin que son prédécesseur en exploitant de façon branque la piste du cannibalisme et de la pédophilie au travers d’une dernière partie digne d’un gros Z barré, où l’inattendu Vincent Gallo se voit grimé de façon hilarante en sorcière transexuelle et adepte de rites vaudous.

Un peu trop excessive dans sa démarche et pas toujours très maîtrisée dans sa mise en scène de l’excès (on imagine que son absence de distribution en salles et sa généreuse interdiction aux moins de 18 ans trouvent leur origine là-dedans), cette séquelle souffre également de l’absence de Reese Witherspoon, la débutante Natasha Lyonne (aujourd’hui devenue une habituée de la saga American pie) n’étant pas dotée du même charisme et de la même folie rebelle. Reste une audace indéniable et un jusqu’au-boutisme parfois réjouissant, donnant du même coup à cette suite des allures de trip mystique illuminé qui partirait en sucette à chaque séquence. Ce qui, en soi, suffit à susciter la curiosité sans pour autant aboutir à un nouveau film culte… En guise d’information de dernière minute, à l’heure actuelle, on attend toujours un hypothétique Freeway 3, que Matthew Bright souhaiterait transposer dans l’univers des « Trois Petits Cochons » et qui pourrait donner à n’en pas douter un film encore plus fou que les deux autres. Le producteur Samuel Hadida ayant déjà le script sous la main, on peut s’attendre à voir ce projet sortir du papier pour devenir une réalité. Il y a encore tant d’étapes à explorer sur cette autoroute de la provocation…

Réalisation : Matthew Bright
Scénario : Matthew Bright
Production : Brad Wyman, Chris Hanley, Oliver Stone, Samuel Hadida, Victor Hadida
Bande originale : Danny Elfman
Photographie : John Thomas
Montage : Maysie Hoy
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 3 septembre 1997

Réalisation : Matthew Bright
Scénario : Matthew Bright
Production : Brad Wyman, Chris Hanley, Oliver Stone, Samuel Hadida, Victor Hadida, Peter Locke
Bande originale : Louise Post, Kennard Ramsey
Photographie : Joel Ransom
Montage : Suzanne Hines
Origine : Etats-Unis
Année de production : 1999

1 Comment

  • J'aime beaucoup également Freeway, un film attachant, politiquement incorrect et totalement barré, qui offre à l'excellente Reese Witherspoon un de ses meilleurs rôles. Je n'ai pas vu la suite en revanche, mais ça ne me tente pas vraiment.

    "en délivrant ici une performance d’actrice tout bonnement sidérante, la belle Reese Witherspoon, à l’époque totalement inconnue, nous prouvait au début de sa carrière qu’elle n’était pas encore bonne à incarner les blondes futiles (La revanche d’une blonde, Fashion victime) ou les épouses de chanteurs décédés (Walk the line)."

    Tu entends par là qu'elle n'a pas livré d'aussi bonnes performances par la suite ? Si je suis d'accord pour dire qu'elle n'est pas inoubliable dans Fashion Victime, je la trouve parfaite dans Walk the line et La revanche d'une blonde, et bien d'autres films où elle apparaît tel Pénélope, Détention Secrète ou L'arriviste.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Antichrist

Sublime histoire d’amour et dérive cinématographique unique en son genre, le film maudit de Lars Von Trier est surtout un...

Fermer