Demolition Man

REALISATION : Marco Brambilla
PRODUCTION : Silver Pictures, Warner Bros
AVEC : Sylvester Stallone, Wesley Snipes, Sandra Bullock, Nigel Hawthorne, Denis Leary, Benjamin Bratt, Bob Gunton, Bill Cobbs, Glenn Shadix, Rob Schneider, André Gregory, Troy Evans
SCENARIO : Daniel Waters, Robert Reneau, Peter M. Lenkov
PHOTOGRAPHIE : Alex Thomson
MONTAGE : Stuart Baird
BANDE ORIGINALE : Elliot Goldenthal
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Comédie, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 2 février 1994
DUREE : 1h55
BANDE-ANNONCE

Synopsis : En voulant arrêter en 1996 le psychopathe Simon Phoenix, le sergent John Spartan se rend coupable d’homicide par imprudence et se retrouve alors condamné à l’hibernation, tout comme Phoenix. Ce dernier s’évade en 2032 et se révèle trop fort pour une civilisation où le crime et la force brute ont disparu. Seule chance de l’arrêter : faire sortir John Spartan de son sommeil cryogénique…

Lâchez une double dose de testostérone crâneuse dans un futur digne du monde des Bisounours, et admirez les dégâts. Un mémorable duel Stallone/Snipes pour l’actionner le plus décomplexé des 90’s.

Ah là là, c’était mieux avant… Pas sûr qu’on aurait dû écouter la zik de ce cher Francis pour autant, ni même se shooter aux reportages-terroir du JT de Jean-Pierre Pernaut. Surtout quand on voit ce qu’est devenu le futur. Il n’empêche qu’avant, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’était l’année 1996. Cette année-là, c’était la liesse générale, il y avait de la vie à tous les coins de rue. Il y en avait tellement que le monde semblait littéralement prendre chaud. Le paradis s’appelait Los Angeles, et c’était la destination idéale pour tous ceux qui considéraient le chaos, la débauche et l’ultraviolence comme des valeurs reconnues pour leur utilité publique. Eh ouais, cher visiteur du futur, dans cette cité où les anges avaient le feu aux fesses, tu pouvais te sentir libre dans une société bien schtarbée où les gardiens de la loi étaient bien plus aptes à finir effondrés sur le sol qu’à le faire trembler sous le poids de leurs bottes de balèzes qui se la pètent. Tu pouvais te réveiller le matin avec la certitude d’être en insécurité totale toutes les heures de la journée. Tu pouvais aussi te demander si l’été n’était pas arrivé un peu trop vite, avant de te rendre compte qu’une paire de grenades avaient transformé ton jardin et ta piscine en terrain vague cramoisi (c’est fou ce qu’il peut faire chaud en hiver !). Tu pouvais acheter un flingue plus facilement qu’une boîte de petits pois, vu qu’on était en Amérique, la seule, la vraie, celle de l’Oncle Sam, n’existant que pour voir son peuple se la couler douce dans un océan de schizophrénie sociale. Tu pouvais aussi partir en voyage dans un avion pour finir involontairement incinéré sous les agissements d’un taré mental adepte du chaos généralisé. Et si tu avais un peu de chance, tu pouvais être sauvé par un flic super-balèze aux méthodes expéditives, à côté duquel ce cher Harry Callahan passerait pour un disciple du dalaï-lama.

Seulement voilà, tout ça, c’était le bon temps. Aujourd’hui, nous sommes en 2032, et là… comment dire… les choses ont un peu changé. Vu qu’une poignée de bobos crétinoïdes avaient tendance à considérer que les gars du dessous faisaient un peu trop de bruit, au risque de déranger leur petit confort bourgeois, voilà qu’un docteur du nom de Cocteau (rires) s’est réveillé un beau matin dans sa robe de chambre, en se disant qu’il fallait changer notre bon vieux Big Mac bien gras en chou-fleur bio sans sel ni garniture. Ainsi donc, nous voici dans le pire des enfers, à savoir un authentique jardin des Bisounours où tout est trop clean pour être honnête, où tout le monde s’habille comme chez Raël après avoir subi un lavage de cerveau digne du traitement Ludovico (vu que le sexe et la violence ont été bannis des comportements humains), où la flicaille n’est là que pour donner des ordres avec le tempérament et l’agressivité de Casimir, où tout ce qui fait du mal à l’être humain est interdit sous peine d’amende (surtout les gros mots !), où tu bois du milkshake banane-carotte entre deux utilisations de coquillages dans les chiottes (quelqu’un peut-il m’expliquer ?), où ton autoradio crache des pubs consuméristes pour mioches à la place d’un bon gros morceau de métal à faire péter la sono de ta caisse, et où tu ne fais rien de ta journée à part glander dans ton appart top design, taper la causette avec un PC qui te fait la morale et faire l’amour à ta femme par télépathie… Ah, j’allais oublier : tout ceci n’était qu’un film. Et pas n’importe lequel : sans doute l’actionner futuriste le plus hilarant et le plus décomplexé des années 90.

La sortie d’Expendables 2 n’en finissant plus de faire grimper le mercure des fantasmes de tous les cinéphiles biberonnés au cinoche d’action testostéroné, on s’autorise donc un petit apéritif nostalgique afin d’évoquer ce magnifique plaisir coupable qui n’en est d’ailleurs pas un, film d’action désormais archi-culte suite à un nombre incalculable de rediffusions sur la TNT, et dont la majorité des répliques et des scènes restent gravées dans les mémoires de tous ceux qui n’ont pas encore isolé leurs neurones de sale gosse dans un caisson cryogénique. Un caisson dans lequel finissent donc les deux plus grands dangers des années 90 : d’un côté, John Spartan (Sylvester Stallone), flic bourrin et adepte de la méthode forte, davantage porté sur le langage fleuri que sur le débat constructif, et de l’autre, Simon Phoenix (Wesley Snipes), psychopathe peroxydé et impitoyable pour qui la seule règle semble être de foutre la merde partout où ça lui chante, dans la joie et la bonne humeur. A l’issue d’une scène d’ouverture musclée au cœur d’un Hollywood dévoré par les flammes et les graffitis, le deuxième est arrêté pour être condamné à finir le restant de ses jours dans un congélo, mais vu que le premier a fait une petite bourde (oh, rien de bien grave : une trentaine de civils innocents sont morts par sa faute), il est condamné à devenir son glaçon de compagnie. Et quand les deux se réveillent dans un futur où la violence a laissé place à la gentillesse la plus vomitive que l’on puisse imaginer, on imagine déjà les dégâts que ces deux éléphants vont produire dans ce paisible magasin de porcelaine. Car, oui, dans un univers futuriste où l’agressivité physique est désormais bannie et incontrôlable (il faut y voir un flic énoncer « ne pas être formé pour faire face à ce genre de violence ! ») et où dire le mot de Cambronne est encore plus grave que de griller un feu rouge, il n’y a rien à attendre d’autre que le retour au chaos total, seul et unique rempart au puritanisme ambiant (ici personnifié par un scientifique aux allures de gourou évangéliste).

Avec tout cela, on pouvait attendre un actionner fun à la sauce Joel Silver (qui est d’ailleurs le producteur de la chose), voire même un film d’anticipation enragé et bien virulent à la sauce George Orwell (qui est d’ailleurs cité plus d’une fois), ou même, pourquoi pas, un Idiocracy avant l’heure. Au lieu de quoi, on ne saura jamais trop pourquoi, il a sans doute dû se passer la même chose que dans Brazil : un cafard est très certainement tombé dans la machine à écrire du scénariste, ce qui a transformé le mot « actionner » en « déconneur ». Ainsi donc, si Demolition Man prend soin de débuter comme n’importe quel actionner manichéen et dopé à la testostétone (la scène d’ouverture est efficace mais sans grande originalité), il se détourne très vite de sa voie d’origine pour virer dans la satire socioculturelle la plus décontractée, certes moins trash et provocatrice que du Verhoeven, mais tout aussi fendarde. D’ailleurs, en regardant le générique de début, nul doute que l’on doit cette approche décalée et originale au scénariste Daniel Waters, un type détesté des critiques pour son mauvais goût récurrent dans un grand nombre de productions de l’époque (on lui doit le script de Ford Farlane et du gros portnawak Hudson Hawk !) et dont le seul titre de gloire reste d’avoir été l’auteur du script du mythique Batman, le défi de Tim Burton. Ici, le bonhomme se lâche dans l’humour débile et les dialogues cyniques, opérant un joyeux doigt d’honneur à la quête de perfection et à la paranoïa sécuritaire d’une Amérique puritaine, et expédiant au mixeur toute notion de bon goût, le tout dans une farandole de gags bien décalés et d’ultra-violence omniprésente qui s’équilibrent à merveille.

Là où l’on sera un peu surpris, en revanche, c’est en voyant la présence de Marco Brambilla derrière la caméra. Certes, à l’époque, le type signait là son premier film de cinéma après avoir fait ses armes en majorité dans la publicité, mais par la suite, à l’exception d’une comédie oubliée avec Alicia Silverstone (Excess Baggage), il est surtout devenu l’un des plasticiens les plus reconnus de la planète, exposant ses créations photo/vidéo dans de nombreuses collections privées. A titre d’info, on lui doit aussi récemment l’un des segments du film à sketches Destricted, tournant autour du thème de la pornographie. Cela étant dit, sans être aussi fort et visionnaire qu’un John McTiernan (faut quand même pas exagérer…), Brambilla faisait tout de même preuve d’un certain talent, sa mise en scène étant suffisamment élégante et alerte pour ne pas céder aux effets de style, sans oublier une superbe production design qui favorisait l’immersion dans cet univers futuriste. Côté acteurs, la surprise est plus forte : dans des rôles initialement prévus pour Steven Seagal et Jean-Claude Van Damme, Sylvester Stallone et Wesley Snipes s’en donnent à cœur joie, le premier dans la désorientation permanente jouée au premier degré, le second dans la décontraction sadique traitée sous un angle excessif. Des rôles où le manichéisme s’efface peu à peu, le film s’amusant à transformer la dystopie redoutée en utopie cauchemardesque. En se retrouvant dans des époques différentes, Spartan et Phoenix ne changent pas et sont condamnés à revivre le même duel (ce n’est pas un hasard si leurs retrouvailles dans le futur sont entamées par une bagarre au cœur d’un décor artificiel des années 90), quitte à ce que leur schéma interne en devienne anachronique.

Du coup, en insistant (et en appuyant !) jusqu’au bout sur les irréductibles clichés que véhiculent leurs incarnations du flic badass et du méchant déjanté, les deux acteurs ne sont pas loin de rattacher Demolition Man à ce que John McTiernan avait exploré dans le tout aussi décalé Last Action Hero, à savoir l’immixtion du héros du film d’action américain dans un contexte temporel qu’il redéfinit à sa propre sauce. Dans l’idée, il sera un peu exagéré d’y voir une grande cogitation sur les codes du genre, mais tout de même, le simple fait de voir Stallone en train de parodier sa propre image (« C’est pas bien de cogner sur les gens… Enfin si, des fois, c’est bien… ») constitue une gourmandise très stimulante pour le cinéphile. A ses côtés, l’inattendue Sandra Bullock (qui porte ici le même nom de famille qu’un grand auteur de SF) s’éclate à sortir des répliques badass à côté de la plaque, le scénario file droit vers son objectif sans oublier de glisser des détails bien croustillants dans chaque ligne de dialogue (par exemple, saviez-vous que Schwarzie était en réalité le… chut !!!), et les scènes d’action XXL montent en crescendo jusqu’à un climax opératique en diable. Trois raisons supplémentaires pour se replonger encore et toujours dans ce bijou d’action décontractée qui n’a pas pris une seule ride. Par contre, rien à faire : toujours pas pigé à quoi servent ces trois foutus coquillages…

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