Avec Django, la mort est là

REALISATION : Antonio Margheriti
PRODUCTION : Arlington International Pictures, Super International Pictures
AVEC : Richard Harrison, Claudio Camaso, Spela Rozin
SCENARIO : Antonio Margheriti, Renato Savino
PHOTOGRAPHIE : Riccardo Pallottini
MONTAGE : Otello Colangeli
BANDE ORIGINALE : Carlo Savina
ORIGINE : Italie, Allemagne de l’ouest
GENRE : Western
DATE DE SORTIE : 21 mai 1969
DUREE : 1h21
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Après s’être emparé d’un trésor, Django voit les membres de sa bande décimés par un mystérieux assassin. Après plusieurs morts violentes, le périple de Django pour châtier les meurtriers se transforme en chemin de croix…

“Margheeeriiitttiii !!!”. Parmi les rares gags vraiment hilarants du tétanisant Inglourious Basterds, il y a cette vocifération d’un Eli Roth tentant désespérément de convaincre le polyglotte Christoph Waltz de ses origines italiennes. C’est également pour Tarantino l’occasion d’insérer un de ses inévitables coups de coudes cinéphiliques. Il s’agit effectivement d’un clin d’œil au réalisateur italien Antonio Margheriti. Ce dernier est typiquement le genre d’artisan qu’affectionne Tarantino mais le choix d’un hommage à l’occasion d’une telle scène est un choix d’autant plus pertinent (et amusant) si on connaît le travail du bonhomme. Dès son premier long-métrage Le Vainqueur De L’Espace, Margheriti sera confronté à une règle imposée qui l’accompagnera sur pratiquement toute sa carrière. En effet, il a pour objectif de faire passer ses productions misérables tournées en Italie pour des films américains. C’est ainsi qu’il signe la quasi-intégralité de ses films sous le pseudonyme Anthony Dawson (à la base ce devait être Anthony Daisies mais l’intéressé s’est rendu compte que ça faisait trop chochotte). Que Tarantino ait donc choisi son patronyme pour le subterfuge foireux de la troupe d’Aldo Raine s’avère une plaisanterie parfaitement dosée. Pour autant, la compétence de Margheriti en matière d’art du camouflage est d’un niveau beaucoup plus appréciable. C’est que Margheriti fait toujours preuve d’efforts d’invention pour masquer les limites de ses moyens. Cela est suffisant pour en faire un réalisateur attachant à défaut d’être brillant. Margheriti ne se cherche pas grand artiste et se contente du rôle de faiseur dont le principal mérite est de connaître parfaitement son métier. L’éclectisme de sa filmographie parle pour lui et son inégalité encore plus. De la science-fiction au peplum, de l’horreur gothique au film de guerre, du film d’aventure au western, le réalisateur s’est attelé à tout ce qui se présentait à lui. De tous ces genres, le western lui permettra de concrétiser deux de ses œuvres les plus estimées : Et Le Vent Apporta La Violence et Avec Django, La Mort Est Là sur lequel nous allons nous arrêter.

Procédons tout d’abord à une petite remise en contexte. En 1964, Sergio Leone définit durablement le western spaghetti avec Pour Une Poignée De Dollars. Le genre du péplum a été usé jusqu’à la moelle et le cinéma italien trouve là sa nouvelle mine d’or. Le genre prend rapidement son essor. Deux ans après le premier volet de la trilogie du dollar, Sergio Corbucci sort Django et donne naissance à une sorte de sous-genre. Si une suite officielle verra le jour vingt ans plus tard, le patronyme Django va pulluler sur les affiches sans qu’aucun lien ne s’établisse avec le film de Corbucci. Django devient une accroche, une marque de fabrique déclinable à foison. En dix ans, plus d’une trentaine de films se voient affubler d’un Django dans son titre. L’impact marketing est d’autant plus généralisé que la mention Django peut apparaître uniquement dans un titre alternatif italien, américain ou français. C’est d’ailleurs le cas pour Avec Django, La Mort Est Là, un titre français qui n’a pas grand chose à voir avec le Jokko Invoca Dio… e Muero italien et encore moins avec le Vengeance américain.

Margheriti est donc très clairement à la tête d’un produit calibré au sein d’une fabrication à la chaîne. Le choix de Richard Harrison en tête d’affiche est d’autant plus équivoque. Sergio Leone l’avait envisagé pour le rôle principal de Pour Une Poignée De Dollars avant de se rabattre sur Clint Eastwood (parce que lui savait monter à cheval). Il était donc un choix logique pour incarner un personnage taillé pour être un émule de l’homme sans nom. Que ce soit dans ses postures, ses costumes ou son maquillage, le film verse dans un pur effet de mimétisme avec l’immortel personnage incarné par le grand Clint. Mais bon, aussi réussie soit la dégaine du personnage, l’interprétation d’Harrison est, elle, très loin d’égaler l’original. En ce sens, il conviendrait alors de classer Avec Django… dans le registre du bidon de lessive inintéressant et même assez méprisable pour son opportunisme. Mais c’est là que le talent artisanal de Margheriti entre en jeu et assure au film l’humilité qui le sauvera.

De tous les titres dont le film fut affublé, le plus approprié est probablement le Vengeance américain. C’est le titre le moins original, le plus simple et finalement le plus proche de ce que raconte le film. Ce dernier savoure à l’excès le minimalisme de son intrigue et en assume toutes les composantes. En effet, l’histoire est on ne peut plus basique. Django (ou Jokko donc, dans la version originale) traque d’anciens compagnons d’armes qui l’ont doublé sur un casse et tué un de ses amis. Sur ces fondations, le film ne s’octroie aucune digression. L’ouverture montre d’office le meurtre à l’origine de la vendetta de Django (une étonnante séquence d’écartelage). A la scène suivante, Django obtient les infos sur la localisation de ses futures victimes et s’en va leur rendre visite un par un. La narration est ainsi plus que mécanique et ne se laisse aller à aucune prétention. L’attrait se construit non sur le contenu des séquences que sur leur emballage. Margheriti use de son cinémascope avec élégance, élabore de prenantes montées de tension et se lâche dans une violence percutante et rocambolesque. Il y a cette constante envie de stimuler le spectateur en orchestrant des compositions de cadres soignées où se télescopent des idées plus étonnantes comme cette caméra accrochée aux éperons des bottes qui vont égorger un malotru.

Ironiquement, le film perd de sa force lorsqu’il tente de s’écarter de cette simplicité. Si Avec Django… a acquis une certaine réputation, c’est pour le caractère fantastique que prend son intrigue. Cela est un peu exagéré même si cet aspect est bel et bien présent. Django découvrira que l’un de ses amis n’est en fait pas mort et est celui qui l’a trahi. Incarné avec extravagance par Claudio Camaso (nul autre que le frère de Gian Maria Volonte), ce vil personnage assume sa mort civile en se terrant dans une grotte tel un cadavre dans sa tombe. Le côté « traque d’un mort » n’est pas forcément très neuf mais Margheriti lui donne un certain poids par le décor de la dite grotte où se déroulera le final. Celui-ci présente en effet un jeu de composition et de couleurs baroques des plus surprenants pour un western. L’ambiance devient résolument étrange même si le script ne l’exploite pas aussi bien que la caméra.

Ce qui était censé être une plus-value dessert au bout du compte une mécanique simple mais classe. Celle-ci donnait d’ailleurs tout son poids au portrait du personnage principal. Avec sa violence plus exacerbée, le western spaghetti a souvent montré son mépris pour certains piliers moraux du western traditionnel. Avec Django… en fait la régulière démonstration. Suivant une ligne directrice fixe, Django est le seul personnage s’affirmant comme un héros. Il est un hors-la-loi, un renégat et pourtant il est le seul qui a l’ambition de bousculer ce qui ne va pas. En traversant le film, on croise en effet toute une collection de personnages lâches ou peu aptes à prendre leurs responsabilités. Un riche propriétaire perd ses terrains lors d’une partie de poker de toute évidence truquée. Il préfère partir la queue entre les jambes plutôt que de contredire cette injustice. Une ville est sous le joug d’un gang de bandits. Les habitants se terrent chez eux alors qu’ils sont plus nombreux. Quant au chasseur de primes chargé de récupérer le magot dérobé, il ne fait absolument rien durant tout le long-métrage. Sans lui apporter de l’aide, il suit tranquillement Django en sachant que sa vengeance le mènera directement au trésor. Django est donc le seul personnage du film qui prend les choses en main et, malgré sa moralité douteuse et des agissements aucunement altruistes, cela suffit à créer un véritable attachement envers ce personnage incarnant un semblant d’héroïsme.

Il serait ainsi aisé de critiquer Avec Django… pour son manque d’ambition et sa conception mercantile. Mais en assumant son dépouillement narratif et en construisant une réalisation efficace, il offre un spectacle alléchant à suivre et c’est sans nul doute tout ce que Margheriti souhaitait nous proposer.

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