Auschwitz

REALISATION : Uwe Boll
PRODUCTION : Boll KG, Event Film Productions
AVEC : Steffen Mennekes, Arved Birnbaum, Friedhelm Gärtner, Maximilian Gärtner, Uwe Boll
SCENARIO : Uwe Boll
PHOTOGRAPHIE : Mathias Neumann
MONTAGE : Charles Ladmiral
BANDE ORIGINALE : Jessica de Rooij
ORIGINE : Allemagne
GENRE : Drame, Horreur
DATE DE SORTIE : 1er juillet 2014 (en DVD)
DUREE : 1h11
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Au lendemain de la chute du nazisme, la nation allemande a dû prendre conscience de l’incroyable machination qui a conduit ses élites à organiser la plus grande tragédie de l’Histoire. En confrontant des lycéens à une mise en scène réaliste du quotidien du camp d’Auschwitz, Uwe Boll sonde la jeunesse de son pays et établit un examen des consciences après trois générations. Terreau fertile des négationnistes, le manque de conscience et d’empathie de cette nouvelle génération dresse l’effroyable constat de l’oubli nourri du tabou, de la rancœur et de l’ignorance…

Le voilà donc enfin, ce fameux Auschwitz que l’on pensait bien ne jamais voir sortir un jour en France, qui plus est avec le réalisateur le plus haï du monde aux commandes d’un sujet aussi brûlant. Le résultat, nanti d’une réputation polémique suite à la diffusion sur le Web de son perturbant trailer, débarque donc directement en DVD sans ticket préalable pour la salle obscure. Pour quel résultat ? Bizarrement pas (tout à fait) celui que l’on aurait imaginé, surtout de la part d’un type comme Uwe Boll. Il serait inutile de revenir en détail sur la carrière du réalisateur teuton, dont le titre de « plus mauvais cinéaste au monde » n’est plus un secret pour personne. Contentons-nous de dire que, d’un vaste potager d’adaptations calamiteuses de franchises de jeux vidéo qui auront nourri tant d’envies de meurtres chez les geeks jusqu’à un art consommé de la provocation immature (dont le point d’orgue fut son victorieux combat de boxe contre des journalistes lors de la promotion du très vulgos Postal), Uwe Boll n’a pas à rougir de son épouvantable réputation. Reste que malgré des qualités de mise en scène toujours aussi nulles, le bonhomme a opté récemment pour un virage radical dans sa filmo, en s’emparant de sujets d’actualité au service d’un cinéma choc et très premier degré. A une exception près (le huis clos carcéral Stoic, de loin son film le plus correct), on a vu ce que ça a donné : un nihilisme mal canalisé sur la crise économique (Assault on Wall Street) ou la jeunesse nihiliste (Rampage) jusqu’à une surenchère pas possible dans la violence racoleuse avec Darfur. Et en osant aborder l’Holocauste, il visait très haut. Forcément trop haut.

Uwe Boll avoue d’ailleurs en interview avoir pensé à Auschwitz pendant le tournage de son film sur le génocide au Darfour, en voyant à quel point l’homme continuait de répéter les mêmes erreurs au gré des époques. L’objectif était donc clair : laisser de côté les films sur les héros résistants, décrire le processus d’extermination dans les camps de concentration et aborder le sujet en compagnie des jeunes générations, dont le manque de connaissances laisse le champ libre à l’oubli, à l’ignorance et au négationnisme. D’où le choix finalement assez réfléchi d’opter pour un docu-fiction en trois temps : 1) une partie documentaire où Boll interroge des lycéens sur leurs connaissances très limitées autour de l’Holocauste, 2) une reconstitution crue et sèche du quotidien du camp d’Auschwitz, 3) un retour au mode documentaire où le débat lycéen passe au niveau supérieur, strié ici et là de plusieurs documents d’archive. Auschwitz, un film pédagogique ? Curieusement oui, et c’est sur ce point précis que le film fait d’abord évoluer notre surprise vers une relative adhésion. Du moins avant de constater que tout sonne faux ou creux là-dedans.

A partir du prologue, où Uwe Boll présente face caméra son intention artistique en étant conscient de sa position délicate (« Je suis responsable de ce film »), tout le film semble guidé par une approche réflexive anormalement succincte (1h10 de métrage : une durée trop courte pour un sujet pareil !) et ordonné selon un déballage d’informations le plus simpliste possible. Le cinéaste résume alors l’historique du camp d’Auschwitz en à peine deux phrases, balance deux ou trois statistiques sans les étayer et se contente d’un panel de huit ou dix lycéens, filmés dans une salle de classe, pour appuyer son propos sur l’ignorance généralisée des jeunes sur le sujet. D’autant que les réactions de ces derniers, souvent peu crédibles ou signes d’un détachement suspect, créent le doute : débat spontané ou reconstitution bidonnée ? Difficile à dire. En même temps, ce que l’on pourra extraire de ces discussions ne brasse rien d’inédit sur ce que tant de cinéastes (surtout Alain Resnais avec Nuit et brouillard ou Claude Lanzmann avec Shoah) ont déjà pu révéler par le passé. L’intention était louable, mais le désir d’Uwe Boll de capter un débat générationnel tangue fatalement entre la redite bancale ou la fiction factice. Surtout lorsque le constat final se limiter à ressasser ce que l’on sait déjà depuis longtemps : pour résumer, ce sont nos décisions qui peuvent changer les choses et faire en sorte que de telles horreurs ne se reproduisent plus jamais… Merci, on n’est pas cons.

Reste la partie centrale, moralement inflammable, qui coupe net le débat en deux sans transition. S’y déroule alors sous nos yeux l’enfer des déportés du camp d’Auschwitz, reconstitué avec sécheresse et crudité, du voyage en train jusqu’au four crématoire. Uwe Boll ne dissimule rien, d’un petit enfant tué d’une balle en pleine tête jusqu’à une caméra placée dans le four où brûle le corps d’un jeune déporté, en passant par les horribles effets du Zyklon B et l’arrachage de dents sur les cadavres. Les défenseurs de la non-représentation directe de la Shoah trouveront ici de quoi hurler au scandale absolu, même si, contre toute attente, Boll fait parfois preuve d’une certaine sobriété. En effet, sa mise en scène utilise le Scope en limitant l’usage de la caméra portée, réduit les effets de colorimétrie (la photo frise parfois le noir et blanc), évite les effets de style (hormis quelques ralentis) et la musique pompière (seul un air de piano pesant trouve ici sa place), privilégie les gros plans sur les acteurs (même si ceux-ci jouent souvent très mal) et crée parfois une intéressante mise en tension parallèle (l’attente des nouveaux déportés devant le camp tandis que les précédents attendent la mort dans la chambre à gaz). Le film se veut donc cru, stylistiquement sobre, sans pathos ni effets de style, élargissant son dispositif de docu en l’installant dans un cadre de fiction. Mais on a vite fait de ne plus croire à une quelconque amélioration chez Boll, qui aura ici vite fait d’enfiler à nouveau son masque de sale gosse indécrottable.

Déjà, au vu des images d’archives que les médias nous ont gravé dans le cortex, on ne mettra pas longtemps à constater que ce camp, qui se limite ici à trois maisons, deux poteaux électriques, un grillage de barbelés et une cheminée de four crématoire, n’a presque rien à voir avec l’architecture du véritable camp d’Auschwitz. Ce côté cheap se justifie peut-être par le budget serré du film, mais pose un souci de crédibilité, un peu comme si un gamin reconstituait un camp de concentration dans son jardin et la cave de sa maison. Et outre un symbolisme neuneu (voir l’immatriculation « SS-666 » sur une moto allemande), on aura surtout droit au gros détail qui tue : Uwe Boll lui-même dans le rôle d’un officier SS qui patiente devant la porte d’une chambre à gaz remplie de déportés agonisants. Même si le cinéaste avoue avoir remplacé un acteur au dernier moment, le plan paraît si déplacé et honteux qu’il frise la provocation répugnante. Le genre de doigt d’honneur qui aurait eu davantage sa place dans une scène coupée de Postal et qui entérine à lui tout seul l’échec total du projet. Ainsi donc, le plus polémique dans un film comme Auschwitz n’est finalement pas tant de vouloir choquer en osant tout montrer, mais d’installer le doute sur la sincérité réelle de son réalisateur, encore trop flemmard et inconscient dans sa mise en scène pour pouvoir s’attaquer au plus délicat des sujets. Et en un sens, c’est sans doute ce qui pouvait lui arriver de pire.

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