La grande aventure Lego : Deviens ce que tu es

REALISATION : Phil Lord et Chris Miller
PRODUCTION : Animal Logic, Vertigo Entertainment, Warner Bros.
AVEC : Chris Pratt, Will Ferrell, Elizabeth Banks, Will Arnett, Morgan Freeman
SCENARIO : Phil Lord et Chris Miller
PHOTOGRAPHIE : Pablo Plaisted, Barry Peterson
MONTAGE : David Burrows, Chris McKay
BANDE ORIGINALE : Mark Mothersbaugh
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Animation
DATE DE SORTIE : 19 février 2014
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Emmet est un petit personnage banal et conventionnel que l’on prend par erreur pour un être extraordinaire, capable de sauver le monde. Il se retrouve entraîné, parmi d’autres, dans un périple des plus mouvementés, dans le but de mettre hors d’état de nuire un redoutable despote. Mais le pauvre Emmet n’est absolument pas prêt à relever un tel défi !

Paroxysme d’une œuvre éloquente, La grande aventure Lego est l’exemple parfait de produit transcendé. Au-delà de la commande, au-delà de l’assurance commerciale (l’industrie Lego, le cinéma d’animation, autant d’arguments pour convaincre un jeune public et la fratrie qui l’accompagne dans les salles), le film parvient à exister en offrant l’efficacité d’un sens du comique déluré, et, plus que l’étendue de son non-sens transgressif, il communique avec son public à la fois par un ludisme généreux et par le biais d’un questionnement existentiel. Le cinéma de Lord et Miller est une aventure épique. Et qui dit épique dit évolution, quitte à faire dévier les couloirs temporels. Clone High, leur série témoignant des fantaisies infinies de l’humour moderne de la génération Nickelodeon, avait pour protagonistes de lointaines copies de personnages historiques, à savoir Abraham Lincoln, JFK ou encore Gandhi. Cohérence, puisqu’il s’agit de confronter les modèles d’antan et la perdition d’une nouvelle jeunesse, volontiers marginale ou/et marginalisée. Et ainsi de se centrer sur l’humain. Et son développement.

HISTOIRES

Les genres investis par notre duo entretiennent tous un lien avec la thématique du changement. Qu’il s’agisse du film catastrophe, du film pour adolescents, du film d’aventures Joseph-Campbellien post-Star Wars. L’idée est de raconter la petite histoire dans la grande histoire, le changement individuel causé par un bouleversement massif. Ainsi, une catastrophe inouïe, causée par le protagoniste, va permettre à ce dernier de comprendre qui il est (Tempête de Boulettes Géantes). L’évolution des codes cinématographiques propre à un sous-genre, exprimé tout le long du film, n’est que l’état des lieux cinéphile qui masque l’essentiel, à savoir la fortification relationnelle des personnages principaux (21 Jump Street). Et le caractère exacerbé d’un système dictatorial, et par extension la lutte contre ce système, nous emmène vers un twist émotionnel qui se révèle être la véritable histoire du spectacle (La grande aventure Lego).

Au-delà de l’action frontale propre à l’entertainment le plus altruiste (cataclysmes fantastiques, courses-poursuite, explosions, bastons déchaînées, etc), c’est un discours éminemment personnel qui est proposé. Il n’est pas anodin de s’emparer de genres tels que l’actionner, le buddy movie ou le teen movie, tout à fait évocateurs pour un public qui en reste friand, et surtout issus d’une époque spécifique, à savoir les années 80-90, celle-là même où nos auteurs ont grandit. Du goût de la destruction typiquement enfantin (les gosses adorent Gremlins) à l’amour du potache, Lord et Miller ne font que revivre à travers leurs films la désinvolture de leur jeune âge et nous invitent à les suivre.

Ici, en choisissant de traiter un sujet adulte (une société proche des anticipations de Verhoeven) par les yeux d’un enfant dans un film pour enfants, nos cinéastes sautant le pas en prouvant que même un adulte (le personnage de Will Ferrell) peut redevenir un enfant, c’est-à-dire… un créateur. Et que l’ordre juste des choses n’est pas le discours habituel (la soi-disant « maturité » du sale gosse) mais la compréhension de ce que l’enfance a de plus noble, à savoir la création, qui prend volontiers la forme d’une « récréation ». Les quelques clins d’œil dispersés (à Peter Jackson, à Speed Racer, Star Wars, etc) en disent long sur la cinéphilie de leurs initiateurs (de la sf au western) et permettent en même temps à ces derniers de mettre en pratique ce dont parle Lego : l’inventivité. Le rythme trépidant des films de Lord/Miller naît donc d’une fièvre créatrice où, ambition personnelle s’il en est, ce sont les losers improbables et les passionnés qui finissent par vaincre. La victoire du nerd, un fantasme de cinéma devenu réalité. Chez Lord et Miller, ces deux dimensions ne sont pas antagonistes.

REGARDS

Il s’agit toujours de lier sa perception de la vie et sa pleine connaissance des modes d’expression les plus populaires qui soient. Au sein d’œuvres purement visuelles, débordant de couleurs et d’inventivité esthétique, c’est la perception justement, à savoir le point de vue, qui devient sujet principal. On en vient à l’importance de la culture : voir c’est comprendre, et comprendre c’est devenir. Ce focus porté sur la perception est au centre du film : Mr Business, qui propage l’illusion d’une perfection sociétale, ôte la vue au Mage bienveillant, quand l’Elu comprend la réalité de son don en devenant « voyant », c’est-à-dire en étant parcouru de visions et d’idées ingénieuses. La vision (du méchant) sera modifiée par le biais d’un passage dans une autre dimension (la nôtre) et ce suite à une chute métaphysique digne de 2001 L’odyssée de l’espace, œuvre qui associe le traitement colorisé de l’image au regard de son personnage.

Ce regard, qui est aussi celui du spectateur, aboutit à une lucidité : l’harmonie ne naît ni d’une « dictature positive » (le régime du « Everything is Awesome ») ni d’un désordre permanent, mais d’un contournement de l’ordre (consistant tout d’abord à respecter les instructions) qui aboutit à une pleine sérénité communautaire. Le concept Lego est tout à fait résumé : on suit les indications pour mieux les trahir par la suite. Après l’apprentissage et la maîtrise du jouet, il ne manque plus au joueur qu’à mettre en marche les rouages de son esprit fertile pour inventer ses propres mondes. Comme au cinéma, avant de rompre avec les codes il faut les assimiler.

Mise en abyme, puisque l’on parle bien d’une commande, d’une grosse machine à balancer sur le marché (LE film Lego), donc d’un contrat à respecter…et c’est à l’intérieur de cet engin calibré que nos deux larrons vont s’éclater et faire en sorte de concilier âme et publicité, conscience du produit et respect d’un public. Public qui n’est pas seulement considéré comme spectateur passif (ne serait-ce que par l’étendue des détails dont le film est gorgé) mais bel et bien traité comme un potentiel artiste, l’œuvre en question l’encourageant à être le Spécial, c’est-à-dire à mettre à profit son talent unique par l’expression artistique. Ce que certains qualifient d’opportuniste film d’animation brossant le « geek » dans le sens du poil n’est rien de moins en vérité qu’un appel à la découverte de sa personnalité intérieure.

Par ailleurs, ce rapport entre l’imaginaire et le réel est présent dès le soin apporté aux génériques de fin des comédies du duo. Celui de Tempêtes de Boulettes Géantes surligne la dimension « cartoon effréné » du film, celui de 21 Jump Street est une mitraille overdosante jusqu’à l’absurde de symboles propres au blockbuster (billets de banque, gyrophare, explosion, drapeau américain), quand celui de Lego, finalité d’un métrage nous attachant avec succès à des personnages qui n’étaient en apparence que de simples occupations pour gosses, il renvoie ces personnages-là à leur condition de briques. Il y a ainsi un décalage entre les attentes du public et le cœur du résultat final. Ces génériques déploient une quantité d’illustrations fantasques où les images parlent d’emblée au public (c’est vif, c’est éclatant, ça régale les yeux ou les oreilles) et présentent les œuvres sous leur aspect premier: dessin animé complètement délirant, sommet de portnawak, mise en avant de la si évocatrice brique Lego.

Le message est clair : derrière cet artefact tenant de l’imaginaire déployé et du fun décomplexé (avec cet usage constant d’une musique énergique), il y a le sens réel des histoires, ce qu’elles apportent au spectateur, ce qu’elles racontent, élément considérable s’il en est.

COMMUNAUTE

Le générique de fin devient de facto une note d’intention, soit une manière pudique de déclarer l’insouciance de l’œuvre (alors que cette même œuvre se révèle bien plus complexe que cela), soit une incitation pour le public à creuser ce vernis séduisant pour comprendre de quoi parlent les œuvres en question : de notre différence, des rapports houleux avec l’adulte et la notion de famille, de notre conditionnement face au jugement de l’autre (qu’il s’agisse de la vie citoyenne ou du lycée) et de l’urgence de s’en libérer, du plus grand que la vie qui transcende la normalité, et ce sous couvert, toujours, de romances premier degré. Amitié, compagnonnage et amour sont de la partie, et pour cause…

Cette construction personnelle, au sens littéral concernant Lego, ne se fait par le seul fait de l’individualité mais par le rapport à l’autre. Le carton d’ouverture de Tempête… le proclamait (« a film made by a lot of people »), 21 Jump Street n’était autre qu’un « film de potes » à la Joel Silver, quand La grande aventure Lego met en exergue l’importance du travail d’équipe. La création d’un film, la résolution des enjeux narratifs et la consécration intime ne peuvent se faire sans cette croyance en la force collective. Réflexion sur le cinéma (il y est question de l’ « idée originale »), Lego résume ce qu’est l’art selon Miller et Lord : même la chose la plus stupide possible (une pluie de glace au chocolat, un canapé superposé) peut être pleine de sens. C’est cette croyance en la dérision (le n’importe quoi se conjugue à la frénésie comme allégorie de la vie) qui fait la force de l’œuvre de Miller et Lord, puisque c’est cette potentielle débilité qui, élément dramaturgique, va soit condamner les personnages à une mort certaine (les catastrophes culinaires de Tempête de boulettes géantes) soit leur sauver la vie (le canapé-royal). Dans 21 Jump Street, le caméo des « véritables » héros semble d’abord futile et facile, avant que ces personnages, en seulement quelques minutes, prennent chair à nos yeux, jusqu’à leur fin touchante, ce qui démontre la difficulté à créer du gag gratuit qui simultanément est nécessaire à l’histoire. Ainsi, le running-gag de « Where’s my pants ? » trouvera finalement son utilité, le plateau de tournage de cette sitcom foireuse devenant l’axe de propagation par les caméras d’un discours révolutionnaire. Chez Lord et Miller, ce qui parait tout à fait idiot se révèle en vérité utile pour la narration, à l’étoffement des personnages voire même au discours du film : ce canapé à double-étage, c’est tout cela à la fois.

En comprenant ainsi que la culture n’est pas qu’un passe-temps comme un autre mais l’argument existentiel qui conduit à la réalisation de soi, le duo rejoint Edgar Wright en pertinence. L’imaginaire n’est pas tant le parasite du quotidien que le moyen de métaphoriser les enjeux de ce quotidien. Comme dans Spaced ou Scott Pilgrim (deux histoires de rupture et de couple), c’est tout un fleuve référentiel (comics, films, jeux vidéos) qui coule le long d’une histoire ordinaire (la relation entre un père et son fils) et c’est cette représentation imagée redoutablement ludique ; la transposition d’une réalité dans un univers de briques multicolores ; qui permet d’exprimer plus fortement les émotions, la personnalité, les désirs et l’état d’esprit du protagoniste.

FATHER AND CHILD

Ainsi, la filmographie des deux cinéastes est donc tout sauf un attrape-nigauds postmoderne. Il ne s’agit pas seulement de traiter d’une culture en la portant en étendard ou en la tournant en dérision, mais en la confrontant à autrui, en illustrant la relation étroite nourrie entre les personnages et une culture populaire foisonnante, et par-là même entre soi-même et sa culture. C’est par ce point qu’il faut comprendre l’utilité de traiter de figures volontiers naïves ou maladroites, puisque restées bloquées dans un stade spécifique, c’est à dire l’enfance ou l’adolescence. Un âge de compréhension, de découvertes, d’épanouissement, mais également (et principalement) une période de lutte sociale, de répression, de confrontation avec l’autorité et toute forme de supériorité qu’il va falloir affronter pour « devenir quelqu’un ». Alors que l’adolescent passe de stéréotype branque du loser de lycée à héros roulant une pelle à la belle du bahut, l’enfant quant à lui ne peut progresser que par le biais du regard du père.

Le refus de l’héritage familial restrictif pour affirmer sa propre personnalité, le dépassement de soi pour démontrer sa bravoure, la réappropriation d’un imaginaire (les jouets, eux-mêmes s’inspirant de la culture populaire) dans un objectif de catharsis, la démonstration par l ‘acte d’une même croyance qui est que « chacun est spécial », autant d’éléments narratifs élémentaires et nécessaires à la dramaturgie de l’œuvre qui imposent un constat… à savoir qu’il ne faut pas trahir son regard (ce que l’on est) mais modifier celui de l’autre (du père). Le père, c’est aussi ce référent culturel dominant qu’il faut savoir transcender pour affirmer son propre style (son originalité), objectif atteint ici, puisque derrière l’éclat de l’influence s’exprime l’âme des cinéastes. L’agressivité d’un humour fou semblait être une façon d’imposer sa jeunesse en toute fougue (« si ça fait trop de bruit, c’est que vous êtes trop vieux ») et Lego devient alors le passage fondamental vers une alliance des contraires (l’Elu fait la paix avec le « Méchant »), une fable qui a pour optique la cohésion parfaite entre l’enfant et la figure paternelle.

Enfants insouciants, Lord et Miller se forgent ainsi via cette œuvre-somme le regard du père, après avoir accouché de plusieurs rejetons aussi turbulents et hystériques que surdoués. Ce qui n’est pas sans rappeler l’industrie Pixar, royaume de trouvailles visuelles et de concepts-miracles, et plus précisément Toy Story 3… où il n’est pas tant question de jouets qui parlent que de notre rapport conflictuel à l’âge et au temps qui passe.

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