REALISATION : M. Night Shyamalan
PRODUCTION : Columbia Pictures, Overbrook Entertainment
AVEC : Will Smith, Jaden Smith, Sophie Okonedo, Isabelle Fuhrman…
SCENARIO : Gary Whitta
MONTAGE : Steven Rosenblum
PHOTOGRAPHIE : Peter Suschitzky
BANDE ORIGINALE : James Newton Howard
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Science-fiction
DATE DE SORTIE : 05 juin 2013
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Après un atterrissage forcé, Kitai Raige et son père, Cypher, se retrouvent sur Terre, mille ans après que l’humanité a été obligée d’évacuer la planète, chassée par des événements cataclysmiques. Cypher est grièvement blessé, et Kitai s’engage dans un périple à haut risque pour signaler leur présence et demander de l’aide. Il va explorer des lieux inconnus, affronter les espèces animales qui ont évolué et dominent à présent la planète, et combattre une créature extraterrestre redoutable qui s’est échappée au moment du crash. Pour avoir une chance de rentrer chez eux, père et fils vont devoir apprendre à œuvrer ensemble et à se faire confiance…
Depuis La Jeune Fille de l’eau, rien ne va plus pour M. Night Shyamalan. Commercialement, tout allait encore bien pour le bonhomme (enfin, à l’international parce qu’au niveau américain c’est la catastrophe). Cela n’empêche pas ses dernières réalisations d’avoir souffert de dézingages en règle comme si l’ascension miraculeuse du golden boy devait être sanctionnée par une déchéance expéditive. La Jeune Fille de l’eau marquera cette rupture tout aussi bien du point de vue critique que cinéphile. Les premiers n’apprécieront guère de voir un confrère traité en pseudo-intellectuel pompeux tout juste bon à se faire dévorer par un loup monstrueux. Les seconds, eux, pointeront du doigt la mécanique cinématographique du bonhomme commençant à s’émousser. Bref, le monde tourne le dos à celui qui fut hâtivement érigé en nouveau Spielberg. Triste constat mais qui l’est bien moins que ce qui s’ensuivra. Plutôt que faire face à cet accueil pour se relever, Shyamalan s’en retrouvera accablé.
Face à Phénomènes, on sent que le moule s’est brisé. Sur le papier, Shyamalan reste fidèle à sa conception d’un cinéma où il prend un genre (ici le film catastrophe) et l’aborde sous un angle intimiste. Or, il tente de renouveler cette formule phare. Un choix judicieux en soi face à certaines limites posées par son incursion dans l’heroic fantasy. Mais toutes ces modifications ne font que dénaturer ce qui constituait l’essence de ses précédentes œuvres. La machinerie devient banale et semble tourner à vide malgré des instants d’inspiration évoquant le meilleur de son art. Tentant de pousser la logique de réinvention jusqu’au bout, Shyamalan s’essayera ensuite au grand spectacle avec Le Dernier Maître de l’air. Débarrassé de tout aspect gimmick, cet essai dans le blockbuster le conduit ainsi à montrer sans ambages tout ce qu’il avait tendance à suggérer antérieurement. Le résultat ne procure là encore guère d’enthousiasme puisque diluant encore un peu plus la saveur de son art dans un produit normé malgré des références ambitieuses (Hayao Miyazaki en tête de ligne). De tels films si éloignés de Sixième Sens ou Incassable, tendent à se laisser convaincre par une presse marquant son désintérêt ou son dédain pour le bonhomme. L’ex-enfant prodige récolte ainsi un nouveau bide au box-office US avec After Earth.
Pour Shyamalan, After Earth était pourtant la chance de concilier les approches de ses deux précédents long-métrages. Sur le papier, il renoue avec le concept d’une histoire où les codes du genre (science-fiction au versant post-apocalyptique) se structurent intégralement autour du point de vue et donc du ressenti de quelques personnages définis (la grande majorité du film se déroule avec seulement deux acteurs qui n’apparaissent que très peu ensemble à l’écran). Toutefois, After Earth est aussi une production imposante avec la peinture d’une Terre revenue à l’état sauvage et tout un bestiaire à créer pour la peupler. Ironiquement, cet aspect n’était pas dans le projet de base. Au contraire, l’histoire imaginée initialement par Will Smith était bien plus modeste et s’accordait d’une certaine manière plus avec la vision artistique de Shyamalan. Le pitch était déjà là (un enfant doit trouver de l’aide pour secourir son père après un accident de voiture en forêt) mais le contexte futuriste ne s’est imposé que plus tard suite à des discussions avec le scénariste Gary Whitta (Le Livre D’Eli). Or, l’ambition s’est gonflée jusqu’à atteindre un stade assez incontrôlable. Bien que non crédité au générique, Stephan Gaghan (Traffic) et Mark Boal (Zero Dark Thirty) ont également mis la main à la patte. Le scénariste de bande dessinée Peter David pond de son côté un pavé de trois cents pages détaillant le contexte de l’univers. Will Smith voit ainsi After Earth suivre la méthode de la franchise intermédias mélangeant film, roman, bande dessinée et jeu vidéo. Une masse de travail accomplie par des personnes talentueuses mais qui finit par vampiriser le produit premier, à savoir le film. Car c’est bien cette quête d’opulence qui va détériorer la qualité d’After Earth.
Le fait est que l’univers inventé n’est pas le sujet du film mais uniquement l’environnement où se jouent une histoire et des enjeux plus modestes. Logiquement, on doit s’attendre à ce que la narration joue sur cette modestie en dévoilant en toute simplicité l’univers par les actions quotidiennes des personnages. Conformément aux préceptes de Shyamalan, le film se structure autour d’eux. Mais tout comme Oblivion récemment, c’est par un discours scolaire que tout nous sera présenté. Un choix qui bloque donc directement le processus d’identification aux personnages pourtant nécessaire au film et surtout qui est une manière maladroite de faire accepter l’univers. Globalement, l’exposé proposé ne convainc guère. Celui-ci se présente comme un folklore dont la durée prise pour le détailler finit par mettre en avant son manque de crédibilité (on invente des combinaisons de survie qui changent de couleur en fonction des situations mais incapables de s’adapter aux changements de température). La production design relativement pauvre n’est pas non plus étrangère à ce sentiment. Mais la frustration véritable vient du fait que les éléments primordiaux du contexte science-fictionnel ne sont pas exploités au profit de l’histoire.
L’erreur majeure tient presque au titre. L’action se passe sur une Terre abandonnée et où la nature a repris ses droits. Les personnages retournent en un sens à une Terre originelle où ils pourraient reconstruire leurs relations. Or, à l’exception d’une scène (les peintures rupestres inspirant un plan au héros), le fait que la planète soit la Terre n’implique rien. Il aurait pu s’agir de n’importe quel autre astre, cela n’aurait rien changé. Il en va de même pour le rapport à la nature et à la faune de notre planète d’origine. Si le film y tire de belles images, celles-ci ne mènent pas à grand chose. Il y a parfois des idées en ce sens mais elles tombent lamentablement à plat dans leur exécution. On pense par exemple à cet aigle géant, ange de miséricorde servant pendant un instant de père de substitution lorsque le héros perd le contact avec son véritable paternel. Une utilisation du contexte plutôt maligne si la scène arrivait à s’articuler de manière pertinente, l’explication de cette intervention demeurant hasardeuse pour ne pas dire grotesque.
Le film partait néanmoins d’office avec un handicap en raison de son principal initiateur. Ce qui aurait dû être l’évident moteur du film est bizarrement son frein le plus important : la collaboration de Will Smith avec son fils Jaden. Un souci se résumant tout simplement par le gouffre insurmontable entre leurs personnalités et leurs personnages à incarner. Will Smith, père aimant qui veut démontrer au monde le talent d’acteur de son fils en le plaçant à la tête d’une production à plus de cent millions de dollars, incarne le général Cypher Raige. Ce dernier est une figure autoritaire qui a effacé ses émotions afin de combattre une race d’alien et assurer la survie de sa famille. Smith a beau faire son possible pour interpréter le personnage, il n’arrive pas à trouver le ton juste pour incarner cet être marqué par l’incompréhension de sa progéniture et la difficulté à exprimer ses sentiments. Il en ira de même pour Jaden Smith dont l’intégralité des moments de colère et de doutes sonne faux par l’admiration pour son attendrissant paternel. Un handicap donc, jamais compensé par un récit ne trouvant pas son équilibre entre ses différents aspects et laissant dépérir l’histoire.
D’une certaine manière, After Earth finit par ressembler à ce qu’aurait donner Le Territoire Des Loups si Joe Carnahan n’avait pas eu les coudées franches. Les deux films suivent la même voie du récit de survie représenté avant tout comme une exploration d’émotions humaines. La scène du crash se veut d’ailleurs similaire. Carnahan filmait ainsi la dislocation de l’avion en se concentrant intégralement sur Liam Neeson. Shyamalan tente la même approche mais en employant un découpage si peu immersif qu’il ne dégage aucun ressenti. On en vient d’ailleurs à imaginer que le réalisateur aurait, il fut un temps, eu l’audace de la construire sous forme de plan-séquence, ce que certaines compositions de cadre laissent supposer. Au final, le film n’arrive jamais à évoquer un quelconque désordre sentimental et on se moque bien du destin de ses personnages. Shyamalan n’a toujours pas retrouvé le feu sacré. Le Dernier Maître de l’air se concluait sur un héros acquérant la totale maîtrise de ses pouvoirs. After Earth sur un personnage ayant dominé sa peur. Shyamalan, lui, poursuit inexorablement son chemin.