Le Territoire Des Loups

REALISATION : Joe Carnahan
PRODUCTION : Scott Free Productions, Chambara Pictures, Inferno Entertainment
AVEC : Liam Neeson, Dallas Roberts, Frank Grillo, Dermot Mulroney
SCENARIO : Joe Carnahan, Ian Mackenzie Jeffers
MONTAGE : Roger Barton, Jason Hellmann
PHOTOGRAPHIE : Masanobu Takayanagi
BANDE ORIGINALE : Marc Streitenfeld
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Survival
DATE DE SORTIE : 29 février 2012
DUREE : 1h57
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Comme beaucoup de ceux qui choisissent de vivre au fin fond de l’Alaska, John Ottway a quelque chose à fuir. De sa vie d’avant, il garde le souvenir d’une femme, une photo qu’il tient toujours contre lui, et beaucoup de regrets. Désormais, il travaille pour une compagnie pétrolière et protège les employés des forages contre les attaques des animaux sauvages. Lorsque le vol vers Anchorage qu’il prend avec ses collègues s’écrase dans l’immensité du Grand Nord, les rares survivants savent qu’ils n’ont que peu de chances de s’en sortir. Personne ne les trouvera et les loups les ont déjà repérés. Ottway est convaincu que le salut est dans le mouvement et que la forêt offrira un meilleur abri. Mais tous ses compagnons d’infortune ne sont pas de son avis et aux dangers que la nature impose, s’ajoutent les tensions et les erreurs des hommes. Eliminés par leurs blessures, le froid, les prédateurs ou leurs propres limites, les survivants vont mourir un à un. Ottway va tout faire pour survivre avec les derniers, mais quelle raison aurait-il de s’en sortir ?

Dans notre rétrospective consacrée à Joe Carnahan, nous avons mis l’accent sur le regard humain du cinéaste sur ses personnages et la manière dont ils les opposent au chaos du monde ou de puissants systèmes. Si on poursuit sur cette optique, Le Territoire Des Loups pourrait paraître comme une anomalie dans sa filmographie. Appartenant au genre du survival, le film nous conte le périple d’une poignée de survivants d’un crash d’avion, parcourant le grand nord alors qu’ils sont poursuivis par une meute de loups. Comme il l’a toujours fait, Carnahan respecte les normes de base du domaine qu’il investit. Toutefois, le survival exigeant un isolement dans la nature la plus brute, il n’y a en soit plus d’oppression à contester et à abattre. Il n’y a pas de criminels à arrêter, il n’y a pas de saturation asphyxiante de l’information, il n’y a pas de gouvernement omniscient… Non, il n’y a plus que l’homme dans l’environnement le plus pur qui soit. Comment logiquement les personnages-types du cinéma de Carnahan pourraient s’accorder à ce créneau ? Toujours apte à penser son sujet de fond en comble, le réalisateur de Mi$e A Prix pense logiquement qu’ils ne le peuvent pas. Le Territoire Des Loups tend alors plus vers la marche funèbre que vers l’exaltation d’une vie primale retrouvée.

Techniquement, le survival cherche à exploiter la notion de retour à la nature comme une manière de mettre en exergue l’animalité de l’homme. On avance là sur la fameuse frontière entre le civilisé et le sauvage, le premier ayant généralement par rapport au second une apparence plus présentable et acceptable. L’histoire du Territoires Des Loups pourrait s’approcher de cette thématique. Malgré certains passages avançant consciencieusement le thème (la scène de repas suivi d’une provocation gore), il ne le porte pas comme message définitif. Expliquer à quel point l’homme n’est qu’un animal reviendrait à le réintégrer au sein du milieu naturel dont il s’est extirpé. Or, comme on le verra dans un passage où les personnages tentent difficilement de revenir sur leurs pas, tout retour en arrière est impossible. Le Territoire Des Loups est un aller-simple. Sans se revendiquer comme une œuvre fantastique, le film dénote par sa manière à jouer sur la frontière entre la vie et la mort (le basique titre français perd le caractère métaphorique du The Grey original). En raison de son environnement inhabité et immaculé, le grand nord s’apparente pratiquement à un purgatoire. Un aspect traversant même l’esprit d’un membre du groupe bien que là encore le film se refuse à y souscrire pleinement. Il n’empêche que ce sentiment sera allègrement nourri par la représentation quasi-elliptique et fantomatique de la menace des loups (voir leur formidable première apparition dans la nuit noire).

En soit, les personnages ont déjà expérimenté cette frontière de la vie et de la mort. Looser, criminel et autres repris de justice, ils ont choisit de s’isoler d’un monde auquel ils s’identifient pas. Le seul lien qu’ils entretiennent avec celui-ci viendrait de leurs familles et notamment de leurs enfants (Carnahan avouera dans le commentaire audio de Narc avoir une véritable fascination pour ce symbole d’innocence). Ça sera d’ailleurs leur seule motivation pour tenter de survivre (l’idée se retrouve en opposition dans la caractérisation des loups). Il apparaît alors ironique qu’ils acceptent de suivre quelqu’un (Liam Neeson taillé pour le rôle) qui a depuis longtemps perdu cette motivation. En soit, ce héros a déjà fait un travail en amont. Dès l’introduction, il se révèle à la lisière des mondes. Alors que les deux premiers plans du film enchaînent un paysage où retentit l’appel de la forêt avec une vision infernale de l’exploitation pétrolière, cette juxtaposition indique sa situation. Celui-ce tente déjà de se fondre dans une nature mortifère (il guette et abat les loups s’attaquant aux équipes) et se montre détaché par rapport aux autres (ils ne jettent même pas un œil à la bagarre se déclenchant dans le bar). Par là, il devient le guide inné (ou destiné, si on en croit l’interruption de sa tentative de suicide) pour accompagner les autres protagonistes vers l’au-delà que ce soit physiquement (la « révélation » finale sur une inéluctable destination) ou moralement (l’acceptation de la mort). Inutile de dire que Le Territoire Des Loups peut être démoralisant pour un public non prévenu. Plus on avance et que les morts s’enchaînent, plus la survie devient un concept abstrait et lointain. Semblant aspirer la moindre des forces des personnages par sa simple beauté, la nature devient un tombeau confortable où la mort s’accepte sans peur.

Si la narration avance sur le fil du rasoir entre les deux notions, il en va tout autant de la mise en images par Carnahan. Ainsi, les nombreuses disparitions jouent constamment sur l’idée d’une mort proche et se déroulant à la lisière des environnements. Un loup attaque un personnage s’éloignant un peu trop loin de la lumière du feu. Plusieurs loups se jetteront sur l’un d’eux, à la traîne de tout juste quelques mètres. Un autre, bloqué dans une rivière, n’atteint pas l’air libre qui est juste à trois centimètres de son visage. La maigre distance entre la vie et la mort est longuement illustrée (l’un des hommes se perdant dans des hallucinations qui aboutiront à son décès est présenté à l’écart du groupe et du feu) débouchant sur une certaine puissance poétique. Le final achèvera cette idée par l’utilisation d’un poème pour puissamment accentuer le sentiment de plénitude de celui qui en fait usage. De manière évidente, Carnahan reste toujours aussi attaché à la représentation de la mentalité de ses personnages. Il démontre ici constamment sa maturité de cinéaste que ce soit par l’utilisation des inserts pour les projections mentales des protagonistes (renforçant entre autres la séquence de crash) ou un soin édifiant du cadrage avec une utilisation judicieuse du hors-champ (la sublime mort contemplative).

Cette capacité à transcender les émotions de ses personnages alliée à la magnificence iconographique de son environnement (Carnahan n’a pas perdu au change en se séparant de Mauro Fiore au profit du directeur de la photographie de Warrior) fait du Territoire Des Loups un film en tout point fabuleux mais surtout une œuvre capable d’être revisitée et repensée à foison.

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